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Blanck Mass

Paris, Petit Bain - 16 septembre 2015

Live-report par Julien Soullière

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Changement de programme. On devait aller à la Machine du Moulin Rouge, on ira finalement au Petit Bain, délaissant de ce fait les abords des théâtres pour les quais sans fin de la Seine.
On passe devant les bassins de la piscine Joséphine Baker, visibles depuis le tarmac au travers de grandes baies vitrées. On s'amuse de cet arc-en-ciel de bonnets de bain, de ces corps ridicules car immergés dans l'eau, de ses mains et ses têtes qui s'agitent plus ou moins bien au rythme d'instructions qui nous sont inaudibles. Mais on se les imagine plutôt bien. Et puis, ça y est, le petit cube vert s'offre à nos yeux. Nous y sommes. On pénètre sans mal dans cette salle de concert flottante, amarrée ici pour une durée infinie. Un acte criminel. Car oui, une embarcation n'a bien qu'un seul rêve : voguer.
Il y a pire que d'attendre. Attendre debout. Les jambes sont rapidement lourdes lorsque la nuit a effacé le jour depuis longtemps déjà. Les minutes ne veulent plus rien dire. Seul reste un épais bloc, le temps, qui passe, ou plus exactement, qui ne semble pas décider à passer sans lutter.

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C'est vers 21h qu'entre sur scène celui que nous sommes venus voir. La crinière en berne, lissée au plus proche de son crâne, le blond Benjamin semble d'abord imperturbable, trop concentré pour partir à l'aventure, puis arriveront des titres qui mettront à mal son statisme, l'empêchant de rester maître de la situation. Cette dernière s'emballe, s'intensifie, et voilà que l'anglais montre de sérieux signes de faiblesse, il gesticule, se trémousse, communie un peu plus encore avec nous, nous tous qui ne sommes plus trop conscients de nous-même, qui nous laissons bouger, vivre l'instant juste parce qu'il n'y a aucune raison de ne pas le faire. Il ne fait ni chaud, ni froid, il n'y a ni trop de monde, ni trop peu. Tout semble parfait, hors du temps et des consciences.
En fait, ça fait mal, mal de savoir que le bonhomme joue ce soir pour ne rien gagner, du moins rien d'autre que de l'estime, ce qui est déjà bien, un investissement en vue des fois prochaines. Ce qu'il y a, c'est qu'il joue gratuitement ce soir, faute de places vendues, faute d'avoir un nom qui parle suffisamment, même dans une ville monde comme Paris.
Lui, on ne sait pas trop ce que ça lui fait, on ne sait pas si ça lui est déjà arrivé, si ça lui arrivera encore. On pensait que le succès d'estime rencontré par Fuck Buttons le mettait à l'abri du mauvais temps. Il n'y a pas d'invincibilité. En tout cas, il joue avec passion, comme si de rien n'était. Et peut-être que pour lui, finalement, il n'y a rien.

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Ça fait mal, aux yeux, aux oreilles, au ventre, mais ça nous fait du bien en même temps. On a l'impression d'être sous l'eau, sous une masse sombre et froide, et pourtant, jamais on ne sent vraiment venir la fin. On est piégé, c'est beaucoup et si peu à la fois, à la merci d'un déchaînement de sons et d'images qui s'entendent pour former l'étau qui nous étreints.
Mais de cette apocalypse, il ne naît pas que de la fureur. Les mélodies sont là, bien décidées à ne pas être oubliées, à ne pas refuser le combat. Elles s'affirment, font tout ce qu'elles peuvent pour atteindre nos oreilles et conférer au spectacle son infinie aura, appuyer plus que de raison la folie qui s'en échappe par hectolitres. On oublie l'homme derrière les machines, derrière la musique. Il s'efface, se cache pour que jamais nous ne nous détournions de l'essentiel. Il faut bien un artisan, un nom que les foules puissent s'approprier, scander, un nom à garder en mémoire pendant un temps ou un peu plus encore, mais c'est le fruit de son labeur qui doit être à l'honneur. Ce soir, c'est le cas. Et c'est bien.
Seul commandant du navire, Benjamin nous a fait arriver à bon port. C'est un bon commandant. Un bon commandant à la tête d'un beau bateau. Et il nous inviterait une fois encore qu'on partirait à nouveau.