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Blanck Mass

Paris, Point Éphémère - 9 mai 2017

Live-report par Julien Soullière

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Cela faisait longtemps, bien trop longtemps, que nous n'avions plus passé les portes d'une salle de concert parisienne. On évacue donc rapidement les raisons de cet amer constat pour laisser l'ambiance du soir se faire une place bien chaude au fond de nous. La bière blonde est douce, le temps agréable, et les discussions vont bon train dans un cadre qui se veut la parfaite rampe de lancement pour le concert à venir bien que celui-ci sera en toute logique plus bruyant et moins ensoleillé que cette délicieuse fin de journée en ville.

Une première partie n'est jamais chose aisée à assurer. Le jeune Sébastien Forrester, seul au centre d'un arsenal musical des plus fournis, s'exécute néanmoins avec une franche détermination. Foncièrement électronique, son set s'accompagne tout du long de percussions aussi classieuses que bienvenues, assurées par un artiste soucieux de nous plaire : l'œil alerte, il n'aura cesse de scruter la salle à la recherche du moindre signe qui viendra valider le travail fourni. A en croire les réactions du public pendant et entre chaque morceau, il devrait avoir obtenu la confirmation tant espérée : celle que sa musique touche et fera parler d'elle.

C'est passé quelques minutes après la fin de la mise en bouche que l'intriguant Benjamin John Power prend possession de la scène, sur un fond sonore féroce et saturé, aussi imprévisible qu'un fourbe orage d'été. En fond de scène, un écran. Sur celui-ci, une main invisible feuillette une banque d'images, tantôt colorées, tantôt glauques, à la manière du patchwork frénétique de scénettes qui introduit tout long-métrage de l'écurie Marvel. Il n'est aujourd'hui pas rare que le set d'un artiste s'accompagne de visuels propres à prolonger un univers consciencieusement charpenté, et dès lors, l'expérience proposée au public apparait comme la plus totale, le concert auquel on assiste devient le terrain de jeu de tous nos sens. Ce soir, la partition de Blanck Mass n'aurait pas été aussi prenante sans l'utilisation sans-bornes d'effets visuels en tout genre.

Ça, c'est pour le côté-pile. Le côté-face, lui, réserve quelques menues surprises aux petites-natures. Car cette frénésie de tous les instants s'accompagne bel et bien d'un haut degré de férocité. Le groove de Blanck Mass, qu'il est difficile de perdre de vue sur Please ou Silent Treatment, n'est jamais laissé sur le bord de la route, mais il tend éventuellement à s'écraser face au volume sonore et à la hargne déployée par le maître de lieux, notamment lors d'interludes bruitistes au possible qui s'accompagnent volontiers des râles métalliques déversés par l'artiste dans son micro, qui lorgne l'espace de quelques instants sur les plates-bandes d'un chanteur de métal lambda.

La foule des grands soirs n'a pas daigné montrer le bout de son museau, mais ce qu'il y a d'âmes humaines semble prendre son pied. Les mètres carrés alentours prennent l'allure d'une rave-party, avec ses adeptes de tecktonik, dont les bras et les jambes décrivent des trajectoires pour le moins improbables, ses fanatiques au comportement stoïque, qui ne loupent pas un millième du spectacle en cours malgré leur regard qui semble dirigé vers le vide, et les amateurs de mousse qui ne prennent de plaisir qu'en parlant fort et semblent bien plus séduits par le doux bruit des tireuses que par ce qui découle des grosses enceintes. Et nous, on est bien malgré la violence qui imprègnent les lieux : tout paradoxalement, on se vide l'esprit des pensées qui ne nous veulent pas du bien. Preuve que la musique est bonne en tout temps, et en tout endroit.

Ses cheveux toujours impeccablement plaqués sur le crâne, Benjamin John Power tire sa révérence après un rappel arraché sans trop de mal par l'assistance. On quitte le Point Éphémère la tête en ébullition et le cœur léger. Il faudra penser à ne pas attendre aussi longtemps pour revenir fouler le sol d'une salle de spectacle.