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King Crimson

Juan-Les-Pins, Jazz à Juan - 16 juillet 2019

Live-report par Louise Beliaeff

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Que reste-t-il du rock progressif en 2019 ? Mardi 16 juillet, deux monstres sacrés du genre, Magma et Kim Crimson, en ont donné une réponse sous les pins centenaires de Juan-les-Pins, devant la mer Méditerranée, à l'occasion de la 59e édition du Festival Jazz à Juan.

Il y a 59 ans, un certain Christi-an Vanderschueren a douze ans, il écoute en boucle John Coltrane, Art Blakey avec The Jazz Messen-gers ou encore Chet Baker, qui lui offre sa première batterie à cette même époque. Nourri par ces multiples influences, Christian Vander fonde quelques années plus tard Magma et devient l'un des pilier d'une musique d'un genre nouveau en Europe : le rock progressif. 50 ans plus tard sous la pinède Gould, les adorateurs du Zeuhl sont venus nombreux. Son Altesse Sérénissime le prince Albert II de Monaco, grand amateur de rock, est même aux premières loges. 20h30 pétantes, Magma convoquent l'assemblée, et même les cigales, à leur ronde psychédélique.

Le groupe, qui n'est évidemment pas la formation d'origine, est centré sur la batterie de Christian Vander. Tous vêtus de noir, les huit personnes sur scène créent une harmonie quasi mystique. Au chant, Hervé Aknin délie des paroles énigmatiques en kobaïen. Les choristes Stella Vander et Isabelle Feuillebois ajoutent une nappe harmonique aiguë. Une couleur supplémentaire est apportée par le vibraphone de Benoît Alziary. Dans ce décor si idyllique, le soleil se couchant dans les flots bleus, Magma installent un univers sombre, explorant les déconstructions rythmiques, mélodiques, dévoilant les recherches de leurs expérimentations folles en cours depuis maintenant des décennies.

Les membres de Magma interprètent d'abord Köhntarkösz. Les solos s'échangent, les musiciens sortent et rentrent sur scène, trois choristes s'ajoutent au moment de jouer Mekanïk destruktïw kom-mandöh. Bien que le public soit assis, et très silencieux, la fin des morceaux est ponctuée de vives applaudissements. On peut lire sur les visages des fans de la première heure une grande satisfaction, certains connaissent tout par coeur, à la moindre respiration. Après une heure et demi de show, le groupe s'éclipse sans rappel. Les aficionados regrettent de n'avoir pas entendu Zëss, le morceau sorti le mois dernier. « Ce concert, comme tous les autres, est dédié à John Coltrane ». Rideau.

Changement de décor pour l'arrivée de King Crimson. Trois batteries et tout leur attirail de percussions différentes (dont une cymbale en forme d'aile de chauve-souris), sont disposées sur le devant de la scène. De quoi impressionner avant même d'avoir émis un moindre son. Dans le public, des tee-shirts à l'effigie de l'album mythique du groupe (In the Court Of The Crimson King, 1969) fleurissent sous la pinède Gould. Une voix préenregistrée prévient l'audience que le groupe ne souhaite pas être pris en photo ou en vidéo pendant la performance. King Crimson ont leurs exigences. Ils ne seront d'ailleurs pas filmés de près par les caméras du festival. Au grand dam des spectateurs des gradins éloignés.

La nuit est tombée quand les sept membres actuels de King Crimson menés par le pilier Robert Fripp entrent en scène sans emphase. Tony Levin à la basse, au Chapman stick et contrebasse électrique, Mel Collins au saxophone et flûte traversière, Jakko Jakszyk à la guitare et au chant. Ils se placent chacun derrières leur instrument avec discrétion et les batteries de Pat Mastelotto, Jeremy Stacey et Gavin Harrison prennent la parole en premier. Les trois instruments percussifs offrent une introduction bluffante, un trio rythmique où chaque coup donné sur un fût ou une cymbale trouve un sens, une place propre. Certaines frappes sont données à l'unisson, la précision des batteurs dé-montre une très grande virtuosité ainsi qu'une impressionnante concentration. Le son est plus fort, plus imposant que pour Magma. La bande de Robert Fripp déroule un set majestueux, alternant entre vieux morceaux remaniés et plus récentes compositions.

Une énergie spectaculaire se dégage de leur musique, pour autant, les membres de King Crimson restent plutôt statiques, à commencer par Robert Fripp, assis en fond de scène sur une estrade. Le groupe ne communique ni oralement, ni visuellement. Leur commutation est sans aucun doute plus profonde, une communion tacite, dans la musique. Le set est ultra en place, carré. Chaque silence est millimétré. Les percussions sont en totale symbiose et le public, sous le charme. Les circonvolutions rythmiques et mélodiques du rock progressif emplissent l'espace sonore. Aucun spectacle visuel n'est prévu par le groupe, si ce n'est le balais des baguette des batteurs, mais le show est assuré mais leur technique redoutable, leur maîtrise chirurgicale d'un genre qu'ils ont eux-même créé en Angleterre à la fin des années 1960.

Que ce soit pour Magma ou King Crimson, les formations évoluent, les groupes n'ont pas la même forme qu'à leur début. Des membres sont partis, d'autres ont rejoint l'aventure. La musique, elle, évolue aussi, des variations sont apportées, des arrangements remaniés. Mais l'essence du rock progressif n'a pas cillé. Son public non plus. Les adorateurs des débuts de ce rock étrange, complexe et parfois effrayant, ont été comblés. Ils ont retrouvé ce qu'il avait aimé à l'époque, se sont téléportés dans un temps révolu. Que reste-t-il du rock progressif en 2019 ? Tout, et rien. Tout, car l'essence, le nectar est toujours intact. Rien, car ce rock date et le public n'a pas bougé. Et c'est sans doute ici que réside la beauté d'un tel concert : parler à la nostalgie d'un public fidèle, des adolescents d'hier aujourd'hui grisonnants, assis sur une chaise en plastique bleue, portant un tee-shirt trop étroit bien repassé pour l'occasion. Ce public-là, mardi 16 juillet 2019, avait dix-sept ans.
setlist
    Hell Hounds Of Krim
    Pictures Of A City
    Cirkus
    Epitaph
    Radical Action II
    Level Five
    Islands
    Drumzilla
    Moonchild
    The Court Of The Crimson King
    The ConstruKction Of Light
    Indiscipline
    Starless
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    21st Century Schizoid Man
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