Hey ! Oh ! Let's Go ! Avant que la planète ne parle plus que de football pendant un mois (et que la Serbie ne réalise au passage le hold-up du siècle), profitons de cette belle semaine dédiée aux groupes émergents, ou devrais-je dire aux « headliners de demain », que nous propose le Pitchfork Music Festival Paris 2022. Bien que nous restions nostalgiques des éditions à la Grande Halle de la Villette où une formation shoegaze succédait à un MC grime avant d'enchaîner sur la dernière sensation électro-pop, cette version multi-salles étalée sur huit jours ne manque pas de panache en jouant à fond la carte de la nouveauté et de l'avant-garde. On ne se rend pas à ce festival pour écouter son groupe préféré, bien mieux que ça, c'est là qu'on le découvre. Si novembre se trimballe la sale réputation de mois le plus déprimant de l'année, la sélection audacieuse de l'événement musical agit bien mieux qu'une boîte de Prozac sur notre blues pré-hivernal.
Les festivités débutent ce lundi 14 novembre à la Gaité Lyrique avec une programmation 100% UK, dont le line-up a été finalisé à la toute dernière minute, à la suite des annulations de Dehd et Yot Club. Les remplaçants n'ont pourtant rien de simples faire-valoir et on se réjouit même de la présence de O. et DEADLETTER, venus partager l'affiche avec Black Country, New Road.

L'honneur de déclarer le festival ouvert revient aux énigmatiques
O., duo visiblement peu concerné par leur référencement Google et dont on se gardera bien de définir le style qui devrait toutefois comporter des termes du type « post », « jazz », « punk » ou « électro ». Après s'être fait remarquer en assurant la première partie de la tournée européenne de black midi, les anglais viennent tout juste de sortir leur premier single chez Speedy Wundeground, le label de Dan Carey, ce producteur présent sur tous les bons coups (Fontaines D.C, Wet Leg, black midi, Black Country, New Road ou Squid), faisant de lui une sorte d'Alan McGee version 2022. Le groupe composé de Tash Keary à la batterie et Joe Henwood au saxophone baryton nous avait séduit l'année dernière au Cabaret Sauvage, ce soir il nous a tout simplement terrassé.
Sur le papier, on n'aurait pas parié notre paie sur un duo batterie-saxo de musique instrumentale quasi-inconnu du public, à tendance jazz expérimental, jouant les bouche-trous et programmé un lundi à 19h30. Pourtant, O. vont délivrer une prestation impressionnante d'intensité, mettant une sacrée pression aux groupes suivants. Il y a un an, leur musique nous avait paru complexe et intellectuelle, presque un peu convenue dans son approche arty et déstructurée, aujourd'hui celle-ci se fait fluide et organique, bien plus surprenante car aussi accessible que radicale et inventive. On a beau ne connaître aucun des morceaux, on se fait embarquer sur chaque titre dans un grand-huit sonore et sonique, toujours captivant et ne connaissant pas la moindre baisse de régime. Avec ce démarrage en trombe, le festival respecte ses engagements, car si l'on doute que O. ne deviennent de véritables headliners avec leur style exigeant et leur volonté farouche de rester dans l'ombre, on est certain d'avoir assisté à la naissance d'un groupe hors du commun dont on suivra les futures sorties avec la plus grande des attentions.

Les outsiders O. venant de casser la baraque,
DEADLETTER, dernière hype post-punk londonienne, dont la presse d'outre-Manche ne cesse de tresser des louanges, sont d'autant plus attendus au tournant. Leurs premiers singles nous ont confirmé qu'ils avaient bien digéré les influences de The Fall et Gang Of Four et leur EP
Heat!, prévu pour le 18 novembre, qu'ils avaient les épaules pour concurrencer Yard Act ou Do Nothing. Il fallait donc juger sur pièce en live, pour voir si le sextet mené par Zac Lawrence était bien « the next big thing » ou si ces belles promesses allaient rester lettres mortes. La réponse ne s'est pas faite attendre longtemps, au bout de deux morceaux, dont l'énergique
Pop Culture Connoisseur, on a compris de quel bois sont faits DEADLETTER. Un chanteur charismatique, un groupe occupant pleinement la scène avec l'aisance des formations chevronnées et l'insolente énergie des jeunes pousses, des titres efficaces prenant toute leur ampleur sur scène, il n'en faut pas plus pour comprendre que la groupe est pas qu'une lubie de quelques journalistes britanniques jamais avares pour distribuer les bons points, mais bien un sacré groupe de rock dont l'avenir s'annonce plus que prometteur. Parti sur de très hauts standards, le set ne fera que prendre de l'ampleur, Zac tombant la chemise en demandant plus de chaleur avant d'entamer un
More Heat! brûlant à souhait pour finir avec le dévastateur
Zeitgeist, sur lequel le groupe semble pleinement saisir l'esprit du temps. On voulait voir. On est venu, on a vu, on part convaincu.

Si la majorité du public est venue voir
Black Country, New Road, un des plus beaux joyeux bordels que nous ait offert le Royaume-Unis ces dernières années, auteurs de deux sublimes albums faisant le pont entre Slint et Arcade Fire et qui n'ont jamais vraiment quitté nos platines, les deux invités surprises ont livré des sets d'un tel puissance qu'on craint qu'ils ne volent la vedette à la tête d'affiche du soir. Nous les retrouvons sans Isaac Wood, leur chanteur et guitariste, qui a quitté le groupe à quelques jours de la sortie de
Ants From Up There à la suite de problèmes de santé mentale et dont le grain de voix si particulier manque tant, sans Georgia Ellery, la violoniste en tournée avec son groupe Jocsktrap, tout aussi passionnant et qui risque vite de l'occuper à plein temps et surtout sans leurs chansons, le sextet ayant décidé de ne plus jouer de titres des deux premiers albums par solidarité pour leur ami Issac Wood. Le groupe se trouve ainsi dans l'obligation de se réinventer. Cette décision radicale oblige Black Country, New Road à ne pouvoir jouer que huit titres, n'en ayant pas composé plus depuis le début de l'année et à livrer un très court spectacle d'à peine trois-quarts d'heure. On découvre en direct ces nouveaux morceaux qui semblent suivre l'orientation chamber-pop du deuxième album mais dans une veine moins emphatique. Si les musiciens maîtrisent toujours aussi bien leurs instruments, le groupe semble un peu brouillon et peine à interagir avec un public qui aurait sûrement rêvé d'entendre
Concorde ou
The Place Where He Inserted The Blade. Au cœur de cette semi-déception nous auront tout de même droit à un moment de grâce comme seuls Black Country, New Road savent en produire. Pendant
Turbines/Pigs, élégant piano-voix, tout le groupe s'assied devant la batterie, laissant May Kershaw, seule au microphone et claviers, occuper pleinement ce moment suspendu avant de lentement se lever pour l'accompagner dans un final aussi jouissif que grandiloquent. On sait le groupe dans un moment de transition, devant faire face au départ de son leader et dans l'obligation de récréer intégralement son catalogue. On ne lui tiendra donc pas rigueur de cette prestation un peu frustrante pour les fans que nous sommes, certains que les anglais sauront vite trouver leur nouvelle route.
Cette soirée mettant à l'honneur le saxophone, instrument présent chez les trois groupes de ce line-up, ouvre avec brio cette nouvelle édition du Pitchfork Music Festival à Paris. On file vite se coucher pour prendre des forces pour cette semaine de marathon musical et surtout pour pouvoir vous racontez en direct-live la suite de nos aventures durant cette semaine de concerts.