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The Comet Is Coming

Paris, La Gaîté Lyrique - 16 novembre 2022

Live-report par Adonis Didier

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Le plus dur, en festival comme en semaine de surf, c'est le troisième jour. Quand le corps découvre qu'il a mal mais ne s'est pas encore habitué à avoir mal. Et pourtant on est encore là, et tout le monde s'accorde sur le fait qu'on va bien s'amuser ce soir. Troisième jour du Pitchfork Music Festival 2022 à Paris, et cette fois-ci une soirée s'éloignant assez largement du rock pour s'ouvrir vers des horizons plus lointains, allant de Chicago, Illinois aux côtes océaniques de la Guinée, pour se terminer sur une baleine stellaire du futur floquée du drapeau britannique.


Un programme chargé qui commence donc par NNAMDÏ, aussi connu sous le nom de Nnamdi Ogbonnaya, artiste hip-hop mais pas que de la ville de Chicago, et co-fondateur du label Sooper Records. Venu présenter son nouvel album, dont il va jouer une très grande partie ce soir, NNAMDÏ se présente avec un groupe au swag très sérieux, lui-même arborant une combinaison couleur pistache tagguée de haut en bas, et portant son blaze dans le dos. Le gars est prêt pour les travaux, nous aussi, et ce qui marque vite, c'est cette très belle voix qui se balade un peu partout, des aigus divinement soul aux éventuels graves de crooner, le monsieur chante extrêmement bien, rappe tout aussi bien, et sait aussi envoyer la sauce sur des sons teintés de pop-rock, nous présentant alors une voix qui rappelle étonnamment celle de Mat Bastard (Skip The Use).
Michael, le bassiste, et sa six cordes envoient des beats d'éléphant sur Touchdown, Ryan le batteur ne se contente pas de sa dégaine à la Will.I.Am et nous prouve encore une fois que les batteurs de blues-jazz-soul-hip-hop formés à Chicago sont d'une classe à part, et NNAMDÏ court partout, occupe l'espace entre pas de danse et grands gestes illustrant ses paroles fortes. L'ambiance chauffe plus vite que prévu, Johnny le guitariste termine I Don't Wanna Be Famous monté sur une caisse sous la façade, le hip-hop proposé ici est vrai, organique, ça envoie, ça hurle, avec toute l'énergie du monde, et sans passer son temps à prendre des poses de starlette.
Le plaisir pris avec le public est sincère, un public entraîné dans l'affaire et qui n'aura pas le temps de se demander s'il est chaud. Avec Dedication, NNAMDÏ donne un petit cours d'avant-chanson pour nous permettre de reprendre le refrain, refrain qu'il finira en courant comme un fou dans le public, sans oublier son masque chirurgical s'il vous plait. Une aventure qui l'obligera à s'asseoir un peu, ce qu'il nous propose de faire aussi en bon français. La réplique est préparée, son nouvel album se dénommant Please Have A Seat, ceci expliquant aussi le pourquoi du comment il a des chaises dessinées des cuisses aux mollets sur sa combinaison. Sa demande de comment traduire « I have a big ass in French » est sans aucun doute moins préparée, et nous laissera entendre, hilare, une tentative de prononcer « j'ai un gros cul » dont on ne détaillera pas ci-avant le résultat final. Une petite discussion sur la qualité fantastique de la nourriture française plus tard, le show se termine déjà, avec moult hurlements hors microphone et une nouvelle descente dans la foule concluant un set de grande qualité. On n'avait jamais entendu parler de NNAMDÏ avant la soirée, on le connait un peu mieux maintenant, et on a surtout très hâte de le revoir dans la capitale de la gastronomie et des champignons.


Le temps de se prendre une petite bière et de se raconter les potins de la journée, il est temps d'y retourner, Falle Nioke déboulant sur scène sans prendre de gants, et ce malgré la température extérieure en baisse. Originaire de Conakry en Guinée et basé au Royaume-Uni depuis seulement quatre ans, celui-ci débute la première date française de sa jeune histoire par un speech introductif en français sur le fait que nos ancêtres ont réduit les siens en esclavage. L'ambiance se tend quelques secondes, l'audience étant quelque peu incertaine pour la suite, douchée par ce brusque et inattendu retour aux réalités de notre histoire coloniale, mais le discours se conclut par de bons mots, des mots de pardon, de lutte contre le racisme, des mots nous amenant à une musique qui respire la région guinéenne et les origines de Falle Nioke. Accompagné d'un batteur japonais, d'un claviériste allemand, et d'un bassiste français, sa musique se construit sur une base provenant de Guinée, de Guinée-Bissau, de Sierra Leone, à laquelle s'ajoutent des influences funk et électro, pour devenir quelque chose que l'on décrirait comme de la synth-funk guinéenne si on devait nous demander notre avis.
La première partie de set se laisse vivre, un peu statique, le groupe se regarde et profite. Leywole marque le véritable début du concert, Falle Nioke venant enfin chercher le public, qui prend cette chanson irréelle en pleine face, dont les chœurs de basse semblent tout droit sortir du tronc d'un baobab centenaire, et dont les lourdes frappes parcourent le sol et résonnent contre les murs. La suite nous amène à danser, on passe du funk au disco, sans jamais perdre la base de vue. Falle nous invite à bouger notre corps tel un serpent, avant de s'asseoir et d'amener à son côté un gongoma, instrument traditionnel percussif du nord du golfe de Guinée, sorte de xylophone à quelques lamelles monté sur une calebasse creusée servant de caisse de résonance et de surface de frappe. Ainsi, on en joue en faisant tinter les lamelles avec les doigts de sa main gauche, pendant que la main droite frappe le rythme en tapant le côté de la caisse. Cet instrument est l'occasion d'un voyage pour découvrir une culture qui nous est malheureusement bien inconnue, Falle lance un chœur repris par le public, jusqu'à ce que lui-même s'arrête de chanter pour écouter les gens face à lui, et comme il le dit « je veux même plus chanter, juste écouter ».
La communion est réelle, entre un homme qui découvre enfin une France dont on lui a tout dit à l'école, mais sans lui parler de son cœur, et ce cœur de la France qui entonne d'une même voix une mélodie provenant d'un pays dont on ne lui a rien appris. Car ne vous y trompez pas, le cœur de la France c'est bien son peuple, et son peuple est composé de toutes les personnes qui vivent ce beau pays, dedans ou dehors, quel que soit l'endroit où vous êtes né, vos préférences sexuelles, vos goûts alimentaires, ou encore comment vous appelez les pâtisseries. Un beau moment, un message d'intérêt général, et la fête redémarre, Falle tombe le gilet et finit la dernière torse nu pour notre plus grand plaisir visuel, « on va foutre le bordel ». Oh que oui, la salle est maintenant chauffée à blanc, et voilà que se profile déjà une comète dans le ciel.


The Comet Is Coming auront rarement aussi bien porté leur nom. Les trois figures mystiques débarquent sur scène, nous passant le CODE d'entrée pour le portail hyper-spatial menant à leur monde. Danalogue The Conqueror, entouré de ses claviers et son énorme ampli de basse derrière lui, porte des lunettes fumées assorties à un poncho en toile de jute, faisant sans doute de lui le clodo du futur le plus doué musicalement qu'il nous ait été donné de voir jusqu'ici. Betamax tabasse comme d'habitude sa batterie à base de rythmes tous plus flous et évolutifs les uns que les autres, pendant que King Shabaka, énorme ânkh dorée autour du cou, pulvérise les astéroïdes en vue avec son saxophone mitraillette et son jeu caractéristique.
A la lecture de ces lignes, vous venez sans doute de cligner plusieurs fois des yeux avant de vérifier que vous n'aviez pas interverti par inadvertance la tisane nuit calme avec le pochon de weed. Rassurez-vous, ça fait toujours ça la première fois qu'on découvre le cosmic-jazz techno-transe délivré par The Comet Is Coming. On y retrouve l'âme de l'improvisation chère au jazz, la recherche de sonorités d'un autre monde, ainsi qu'un besoin de faire danser les voyageurs pour les aider à mieux supporter le long trajet intersidéral. Un groupe bien calé, donc, entre le hangar techno de Berlin, l'électro de Manchester, les mysticismes de l'Afrique, et les anneaux de Saturne, mais surtout un groupe qui défonce. Summon The Fire transforme la Gaîté Lyrique en chaudron bouillant, Danalogue headbangue en posant une jambe sur le clavier, et le King se fend même d'un solo de saxophone en mitraillant comme Scatman. Le son est surpuissant, la batterie se réverbère jusqu'aux berges de la Spree, on ferme les yeux, toutes les chansons s'enchaînent sans qu'on ne distingue vraiment la fin du début, le haut du bas, les flashs de lumière sont des phares de soucoupe derrière nos paupières suantes. Le tempo se floute, le temps, le son, et l'image se déforment, Danalogue, a.k.a clodoman du futur, tourne des potards qui font brrrrm, bzzzzt, et wooooosh, et nous voilà parti en vadrouille avec ces mêmes extra-terrestres qui ont construit les PYRAMIDS.
Une heure à se jeter en l'air et à triper, une heure bien remplie, fumante, à suivre les digressions futuristiques des rejetons les plus intéressants de la space music. Une communication purement par le geste, mais transparaissant d'un plaisir sans équivoque à faire bouger les têtes, menant les trois membres d'équipage à offrir un salut et une courbette finale à la foule, toujours sans dire un mot. Une foule qui hurlera pendant plusieurs minutes en espérant un rappel qui ne viendra malheureusement jamais.

Il faut les comprendre, après ils font after sur Neptune, et ça bouchonne toujours quand on passe par Uranus.