The Comet Is Coming

La scène suivante se déroule à Paris, le mercredi 5 avril 2023 aux alentours de dix-neuf heures, dans un appartement cossu du septième arrondissement. « Nadine, ma très chère, nous allons assister à un spectacle de jazz ce soir à la Villette. « Ah ! Mais oui, du jazz mon Henri, quelle bonne idée, j'adore le jazz, ça me détend et c'est autre chose que cette musique de sauvages qu'écoute notre Jacques-Edouard ! Comment il appelle ça déjà, ah oui, du punk-post ! ». Pour des raisons évidentes de confidentialité, les prénoms de tes parents ont été changés. Mais ce soir, alors qu'ils s'attendent à passer une sympathique soirée de jazz à la Villette, Nadine et Henri vont se prendre une comète lancée à pleine balle en pleine face. Vous imaginez peut-être déjà Nadine et Henri quitter la salle à mi-concert, furieux, les oreilles ensanglantées et les yeux révulsés. Et pourtant nous retrouverons, lors de l'ultime morceau, nos deux tourtereaux au premier rang, excités comme des molketttes dans un golden-pit à Rock en Seine. Nadine, le sourire aux lèvres, nous avouera s'être pris une putain de claque et ne pas s'être autant amusée depuis les universités d'été du RPR en 1998, celles où Nadine Morano, après s'être enquillée en quarante-cinq minutes sept Malibu-Cointreau, avait tenté un grand écart sur la piste de danse, sous les regards mi-amusés, mi-terrifiés de Charles Pasqua et Philippe Douste-Blazy.

Vous l'aurez compris, à travers cette métaphore un brin lourdingue, ce que je veux te faire comprendre gamin, c'est qu'il ne faut jamais tenter le grand écart après sept Malibu-Cointreau mais surtout qu'avant d'assister à un concert de The Comet Is Coming, il faut laisser ses préjugés et ses habitudes au vestiaire et accepter de lâcher prise pour se laisser porter par cette expérience hors-normes (et denier conseil, bien penser à apporter les bouchons d'oreilles que tu as pris par douzaine l'été dernier a We Love Green, juste parce que c'était gratuit).


Si Nadine aura droit à des solos de saxophone comme lors de ses virées nocturnes au Jazz club de l'hôtel Méridien de la Porte Maillot, ceux-ci seront ici poussés à l'extrême. Trop longs, trop déstructurés, cherchant à provoquer ce qu'on appelle au cinéma l'épuisement kechichien, poussant le spectateur dans ses derniers retranchements, le mettant dans une situation d'inconfort pour finalement le faire entrer dans une sorte de transe. Une fois les limites de son public testées, le groupe le récompense en enchaînant sans transition avec Blood Of The Past, tube aussi mélodique qu'électronique. L'effet est immédiat, la salle s'enflamme et éructe dès les premières mesures. « Après la souffrance, le plaisir n'en est que plus intense » me glisse à l'oreille Henri, se remémorant ainsi avec malice son initiation aux pratiques SM au KitKat Club en marge d'un congrès de radiologie à Berlin.

Si sur disque, The Comet Is Coming peuvent parfois s'avérer un peu conceptuels, inégaux et exigeants, sur scène, la prestation du trio londonien se révèle ludique, habitée et généreuse. Contrairement à la tendance actuelle, The Comet Is Coming n'est pas un groupe qui incorpore des éléments de jazz à sa musique (même si cela est souvent réalisé avec brio, de black midi à Rosalia, de Squid à Maruja), mais une formation de jazz qui se nourrit d'innombrables références et styles musicaux afin de continuer à faire évoluer le genre tout en conservant ses fondamentaux. Ici pas de gimmicks, pas de poses, juste de la technique, de la passion et de l'expérimentation. Sur ces bases saines, le trio peut ainsi tout se permettre, et même s'il lui arrive parfois de nous perdre, il sait toujours nous récupérer, que ce soit grâce à une mélodie au milieu d'un délire bruitiste ou via une envolée électronique venant relancer une plage atmosphérique qui semblait sans fin. « Se perdre pour finalement retrouver son chemin », me susurre Nadine à l'oreille, « c'est précisément le ciment de mon mariage avec Henri ».


Danalogue, Betamax et King Shabaka (choisir ses pseudonymes en regardant San Ku Kaï, toujours une bonne idée) clôturent ce soir à Paris leur tournée européenne, qui les aura notamment vu arpenter huit villes différentes lors des neuf derniers jours, avant d'entamer d'ici une semaine leur tournée américaine avec Coachella, le festival préféré des influenceurs du monde entier. Soucieux, comme Elisabeth Borne, de finir en beauté, les trois compères nous gratifierons d'un généreux concert de presque deux heures, sacrifiant ainsi la première partie et nous obligeant à nous échauffer (car gamin, ultime conseil, il faut toujours s'échauffer) dans l'agréable cour du bar extérieur du Trabendo, à base de pintes de Grolsch et de hot-dogs végans, tous deux servis à la même température. Heureusement pour lui, Henri avait réservé une table chez Lasserre après le spectacle, évitant ainsi de devoir se sustenter de tels mets islamo-gauchistes (je cite).

Ainsi que faut-il retenir de cette soirée ? Que la setlist d'un concert de The Comet Is Coming est difficile à retranscrire avec précision (pas de liste imprimée sur scène et entre réinterprétations et improvisations, même leur fidèle ingénieur du son nous confiera ne pas la connaître, le groupe partant d'une trame qui évolue chaque soir en fonction de leur humeur et de la réaction de la salle). Que nos a priori sur Nadine et Henri ont vite fait de voler en éclat, ce couple de petit bourgeois sans histoire se révélant beaucoup plus ouvert d'esprit et fantasque que le début de chronique ne le laisser présager. Que le jazz n'a jamais paru aussi fringuant qu'aujourd'hui et qu'il ne cesse de se réinventer au contact du rock, de l'électro ou du hip-hop, Que la notion même de genre semble être en 2023 un concept aussi désuet que des universités d'été du RPR. Que quand on te dit que la comète arrive, gamin, écoute pour une fois, car elle arrive fort, très fort.