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Young Fathers
The Murder Capital

Paris, YOYO - Palais de Tokyo - 21 mars 2023

Live-report par Laetitia Mavrel

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C'est le printemps ! Avec le retour des bourgeons en fleurs, du pollen qui génère de suspicieuses quintes de toux dans les transports et des premiers mocassins sans chaussettes reviennent les sessions Echoes with Jehnny Beth, rendez-vous filmé par ARTE Concert où brassage musical et fashion défilés s'unissent au sein du select YOYO du Palais de Tokyo à Paris.

Pour cette nouvelle édition, pas moins de quatre groupes se succèdent nous offrant un voyage pas tout à fait aux quatre coins du monde grâce à la présence de The Murder Capital (Dublin, Irlande), Sextile (Los Angeles, Etats-Unis), Young Fathers (Édimbourg, Ecosse) et Trentemøller (Copenhague, Danemark).
Après ce petit point géographie, nous pouvons saluer ici les choix de la production qui propose une soirée très éclectique, les styles permettant de se plonger dans du post-punk sombre et délicat, de nombreux courants électro passant de la cold wave à l'EBM/Electro Body Music (cette chronique est l'occasion d'étoffer son vocabulaire s'agissant de qualifier les pérégrinations synthétiques des groupes applaudis ce soir), puis de s'immerger dans un maelstrom d'influences baignées de hip-hop, trip-hop et world music, pour finir sur de l'euro electro rock. Avec une telle affiche, c'est une soirée des plus excitantes qui s'annonce pour un des jours les plus inintéressants de la semaine.

Armée de son sésame difficilement obtenu quelques jours plus tôt, la longue file d'attente pénètre dans le club transformé en studio de télé. Malgré les exigences techniques liées à la captation live, le public oublie rapidement la présence des caméras et en présence de fans inconditionnels des groupes et autres VIP apportant le cachet nécessaire à un tel évènement, la soirée débute avec le premier set de The Murder Capital. À la suite de l'excellente prestation donnée au Trabendo le mois dernier, les dublinois nous font l'honneur d'une nouvelle visite comme promis et se plient à l'exercice du concert promotionnel, art faisant cruellement défaut de nos jours depuis la disparition du regretté Album de la Semaine et autres séquences musicales des quotidiennes de Canal+.
Avec la lourde tâche d'ouvrir le bal devant un parterre pas tout à fait en condition, The Murder Capital offrent ainsi trente minutes exclusivement consacrées à Gigi's Recovery en proposant une sélection révélatrice de cette nouvelle direction musicale prise par le groupe. L'entrée en scène se fait comme lors du dernier concert, dans la pénombre avec les musiciens prenant place en premier sur le titre Existence, puis arrive sobrement James McGovern qui continue de porter toute l'imagerie du groupe grâce à un fort charisme mêlant élégance féline et leadership imposant.
Les titres les plus puissants sont ainsi mis en valeur avec Return My Head, The Stars Will Leave The Stage et Only Good Things qui permettent aux néophytes de se faire une idée de l'univers de The Murder Capital, puissant et sensible à la fois, avec cette noirceur latente qui enveloppe chacun des morceaux.

Un peu à l'étroit sur la petite scène, la ferveur n'est néanmoins pas économisée et on retrouve cette alchimie subtile entre les membres du groupe, qu'on aime à voir évoluer dans leur allure avec Damien Tuit et Diarmuid Brennan en lice pour le prix de la plus chouette moustache, Gabriel Paschal Blake dissimulé derrière une sombre paire de lunettes à la Matrix et Cathal Roper, dont le visage toujours poupin et la coupe de cheveux à la brosse peroxydée évoque les mêmes airs affables et un peu dans la lune d'un certain Andy Rourke.
Les morceaux plus complexes comme Crying, The Lie Becomes The Self et le très bel Ethel continuent de révéler au public cette nouvelle facette plus sophistiquée mais tout aussi troublée de The Murder Capital. Exposer ce nouvel album à l'origine de nombreux débats entre les fans à la télévision, gommant sensiblement au passage l'instantanéité et l'aspect un peu plus brut de décoffrage qu'ils affichaient avec When I Have Fears, est un réel défi et mérite ainsi que l'on se plonge encore plus intensément dans cet audacieux second album.

Première pause bar pour nombre de spectateurs, premier switch entre fans de The Murder Capital et de Sextile pour les premiers rangs, juste avant que les Américains ne prennent place sur la scène pour le second concert de la soirée. Sans réel souci de transition, nous pénétrons dorénavant dans le monde de l'electro qui brasse large des pétillants Sextile. S'il se fait plutôt rare en France, bien que fort de deux albums parus en 2015 et 2017, le trio toujours mené par Brady Keehn et Melissa Scaduto revient avec un nouveau single sorti en janvier dernier, Crazy Mel, laissant espérer un nouvel album après cette pause conséquente.

Le temps est long pour les fans mais le groupe sait se faire pardonner grâce à une prestation hyper énergique qui permet au public de réellement prendre possession de l'espace à sa disposition avec les premiers pas de danses et quelques jets inopportuns de gobelets consignés sur le pied de la scène. Pour les nouveaux arrivants, on découvre un son très inspiré de la cold wave de la toute fin des années 70, et où le sample grave de basse tourne en boucle et se retrouve mêlé à quelques riffs de guitares tout en dissonance dissimulant l'absence d'un batteur sur scène.
Nombreuses sont les références que l'on peut retrouver dans un concert de Sextile, les morceaux prenant des tournures tantôt no wave, tantôt house période Hacienda avec un trio aux looks aussi diversifiés que ses influences. On apprécie le côté Johnny Ramone du claviériste/guitariste Cameron Michel, un peu moins l'alliance bombers, baggie et lunettes à la Michel Polnareff avec le tee-shirt chatons kawaï stratégiquement déchiré de Brady Keehn mais une chose est sûre, la sauce prend très rapidement et malgré une petite succession de problèmes techniques, le groupe arrivera à pousser les spectateurs présents à envahir la scène sur le dernier titre, chose plutôt rare dans une émission télévisée et qui apporte la touche WTF si chère à sa présentatrice.

Après cette première partie de soirée très atypique dans l'enchainement des genres où les chroniqueurs présents entament le point "sex-appeal, charisme et fringues douteuses" cher à la rédaction, le temps des grosses pointures arrive avec les concerts de Young Fathers et Trentemøller, et de la relève par la brigade dancefloors et génération Z à Sound Of Violence représentée par Adonis Didier pour vous narrer la suite de cette nouvelle édition d'Echoes.

Bonjour à tous, c'est désormais la caution jeune et zoomers de ce journal qui vous parle, en direct du concert VIP suivant le défilé de la maison Jehnny Beth. Blague à part, le YOYO reste fondamentalement une boîte de nuit mondaine dédiée à la richesse parisienne, et l'éclectisme de la soirée ainsi que de ses participants avait jusque-là conduit à des prestations très agréables, mais laissant manifestement une partie des participants sur la touche. Ça tombe bien, l'inclusivité est le maître mot de la musique et du groupe qu'est Young Fathers. Blanc, noir, Écosse, Liberia, Nigeria, homme, femme, peu importe, l'idée est d'être tous réunis, et si vous n'êtes pas d'accord, c'est pareil.
Le groupe va débuter le concert avec Queen Is Dead, et montrer de suite qu'il n'est pas là pour plaisanter. La foule est instantanément happée par le flow d'Alloysious Massaquoi, les incantations tribales de Kayus Bankole, Graham Hastings, et du backing vocal féminin du soir dont le nom restera malheureusement inconnu, ainsi que les lourdes frappes de Steven Morrison, debout devant sa batterie, qui fait des va-et-vient sur sa plateforme jusqu'à ce qu'un technicien ait le bon goût de remettre les cales des roulettes.

On a évité que la batterie parte dans le décor, alors on fait Wow pendant que Callum Easter nous joue du xylophone, lui, le pote du groupe et première partie de leur dernière tournée, venu les assister encore une fois ce soir. La transe opère déjà, le public hurle devant les basses électroniques et les harmonies vocales émanant du quatuor frontal, Alloysious chante tout en assommant son tom, toujours debout, parce que personne ne s'assoit à un concert de Young Fathers, surtout pas les chanteurs, et même pas le batteur. Le mot est donné avec GET UP, mais c'est bien Old Rock n'Roll qui va définitivement faire exploser le YOYO, et emporter la foule tout entière, que vous soyez venus pour eux ou non, que vous ayez déjà entendu parler du groupe ou non. Some white men are black men too. Message reçu, la moitié de la foule danse comme Johnny Clegg et retrouve ses racines africaines, jusqu'à l'instant d'émotion que sera I Heard.
Une chanson touchant au sublime dans ses harmonies, ses lignes de chant superposées les unes aux autres, dans les voix si pures qui habitent désormais ce sous-sol dédié au clubbing à l'extrémité du Palais de Tokyo. Votre chroniqueur préféré a les larmes aux yeux, et si vous n'avez pleuré ni là, ni pendant le Roi Lion, c'est que vous n'avez vraiment pas de cœur. Faisant fi de l'éclairage définitivement trop blanc et trop plein de néons du fameux sous-sol, qui nous fait gravement regretter les ombres projetées délicates et la pénombre transcendantale de leur concert d'il y a seulement un mois à l'Elysée Montmartre, les jeunes papas ne vont jamais relâcher un public acquis, à qui ils comptent maintenant vendre leur dernier album dans l'enchaînement insensé Rice, Geronimo, et I Saw, peut-être devenue la meilleure chanson du groupe en seulement quelques mois. Kayus agresse son ami Callum à la guitare de wows de plus en plus énervés, chamaniques, le « petit » chanteur amplifie sa transe à chaque mesure, tombe la veste, terminera le concert quasiment torse nu, pour un plaisir visuel qui ne sera concurrencé que par la robe de chambre léopard et les pas de danse smooths d'Alloysious Massaquoi.

Ainsi, Kayus termine la chanson en haranguant le public, en hurlant, totalement ingérable. On se dit que c'est la fin, surtout après quarante ou quarante-cinq minutes. Mais non, c'est Toy qui conclura, comme il est de coutume, ce nouveau concert de Young Fathers. Une conclusion pour laquelle les superlatifs ne suffisent plus, où les mots manquent tant le sentiment est indescriptible. On dira donc que Kayus a descendu tout le plan incliné de la scène jusqu'à se lancer dans la foule, non sans bousculer l'auguste et bien connu chroniqueur « punk et hip-hop » Franck Narquin, et l'entraîner dans ce qui sera le seul véritable pogo de la soirée. L'occasion de remonter sur scène en emportant une partie du public avec eux pour un deuxième envahissement de terrain, avant de mettre fin à la performance, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Plus qu'un concert, une performance, du genre qui rince et qui essore autant l'intérieur que l'extérieur, et maintenant que l'on vient de se faire retourner comme une chaussette dans un lave-linge, il va être sacrément dur d'enchaîner.

Un sentiment commun qui va toucher tout le public, car il est déjà plus de 23h lorsque Trentemøller se présente sur scène. On verra donc la foule se désépaissir progressivement au cours du set des cinq danois, un set qui contrairement à celui de Young Fathers sera véritablement dédié à faire la promotion de leur dernier album, Memoria. Le disque va ainsi être déroulé dans l'ordre et représenter la quasi-intégralité de la setlist, offrant un moment suspendu de fin de soirée mêlant electro-pop, post-rock, et shoegaze en des plans à la fois aériens et dynamiques, pour un concert assez difficile à s'approprier dans l'ambiance actuelle. Le choc thermique entre la chaleur de Young Fathers et le rendu synthétique et spatial des dernières compositions d'Anders Trentemøller est brutal, attention à l'hydrocution.
Pourtant, les cinq musiciens se donnent pour un véritable effort live, les chansons se développent lentement à travers les nappes de guitares, Anders bidouille sa demi-douzaine de claviers électroniques tout en entretenant son look de danois emo en chemise hawaïenne et jean slim (là aussi ça demandait de se mouiller la nuque), et le batteur Silas Tinglef démonte de plus en plus fort son kit jusqu'à l'explosion finale du morceau. Un schéma qui se reproduit de chanson en chanson, le public encore présent plane tranquillement, et l'on aurait aimé être posé dans l'herbe un soir d'été en plein festival, à regarder les lumières des lasers colorer le ciel étoilé.

Mais non, nous sommes toujours à Paris, il est maintenant plus de minuit, et donc temps de se rentrer si on veut réussir à choper un métro, à défaut d'avoir pécho un 06 de petit irlandais ténébreux. Une nouvelle soirée Echoes with Jehnny Beth à l'éclectisme bien réel, presque trop fort tant les publics semblaient difficiles à contenter, et une salle qui, si elle est fashion et rend plutôt très bien à la caméra, n'est pas forcément la plus adaptée à une expérience sonore optimale.
Ceci étant dit, ce serait cracher dans la soupe et bouder son plaisir que de râler plus à propos d'une soirée gratuite et proposant quelques-uns des groupes les plus excitants que l'on ait pu voir récemment, avec la hâte de retrouver The Murder Capital en festival cet été, dans un contexte potentiellement plus favorable. Le dernier mot sera pour Young Fathers, parce que comme Chuck Norris, ce ne sont pas eux qui ont peur du contexte, c'est le contexte qui a peur des jeunes papas, dont la prestation a encore tout balayé ce soir, et on reste poli. Un groupe très bon sur disque, et complètement fantastique en live. Que dire de plus, à vous les studios.
setlist
    The Murder Capital
    Existence
    Crying
    A Thousand Lives
    Return My Head
    The Stars Will Leave Their Stage
    The Lie Becomes The Self
    Only Good Things
    Ethel

    Young Fathers
    Queen Is Dead
    Wow
    GET UP
    Rain or Shine
    Old Rock n’Roll
    Drum
    I Heard
    Rice
    Geronimo
    I Saw
    Shame
    Toy
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