Comme vous pouvez le voir, la fin octobre est plutôt chargée en concert, il est donc temps de raccourcir les introduction à rallonge : bienvenue à la soirée They're Gonna Be Big numéro 15 au Supersonic, Bastille, Paris, 75012. L'occasion de débattre des heures sur ces nouveaux groupes trop hype qui sortiront trois chansons avant de disparaître, mais s'il y en a un dont on espère tout autre chose, c'est bien Nightbus.
Un trio nommé Noctilien qui sera lui parfaitement à l'heure dès 20h dans le Supersonic Records, et rarement groupe aura si bien porté son nom tant leur musique est à la fois rêveuse, sombre et urbaine, parfaite aquarelle coulante d'un jeune adulte dodelinant de la tête contre la vitre d'un bus de nuit, quand dans le fond certains font des BeReal de leur pote en train de lâcher une galette sur les sièges. Une musique évanescente et spectrale dans la trajectoire d'un groupe comme Bleach Lab. Way Past Three nous perd dans la ville en questionnement existentiel à trois heures du matin, Exposed To Some Lights rallume inopinément les néons de la boîte de nuit dans laquelle on a un peu fini par dépit, avant que Spooky, dans la longue liste des chansons introuvables d'un groupe qui n'en a pour l'instant sorti que trois, ne nous fasse miroiter les profondeurs abyssales des dépravations de minuit. Les murs sont pourpres, les lumières magenta, et les rideaux en velours distordus balayent les visions et odeurs interdites à chaque va-et-vient dans la pièce. Un set de sept chansons conclu par la fascinante Mirrors, voyant dans sa réflexion Olive Rees crier sur des ténèbres transpercées d'un faisceau de lune, et trente petites minutes passées les yeux fermées dans la plus pure expérience night wave : un trio d'ados anglais mal fagotés cachés dans l'ombre, à la communication basée exclusivement sur des échos de voix et des réverbérations de guitare. Nightbus, une aberration métronomique pour tous ceux qui jurent que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, et l'un des bébé-groupes les plus prometteurs d'Angleterre pour tous les oiseaux de nuit du rock n'roll.
Sur ce bonne nuit à tous et... Comment ça il reste quatre groupes ? Non mais allez, c'était super, ce seront tous les futurs Beatles, et puis là pogo, après j'en fais des caisses sur une chanson que douze personnes ont déjà entendue, pour finir par une phrase qui se veut profonde mais qui ne veut rien dire, façon Franck Narquin. Vous le savez, mais vous voulez que je l'écrive, c'est ça ? Vous allez rester là même si je continue à débiter du vent, hein ? Bon bah très bien, transition, bonjour Tummyache au Supersonic ! Tummyache, une artiste alternative anglaise dans tout ce que cela comprend, jeune femme avec plus de tatouages sur les bras que de centimètres de cheveux, guitare bardée de stickers, et look de skater des années 90. Un look qui annonce la couleur d'un mélange de bedroom pop et de grunge (oui, à l'écrit ça a l'air bizarre, et à l'oreille c'est... étonnant). Une affaire de transitions, là où presque chaque chanson débute entre bedroom et math-pop, pour se muer plus ou moins progressivement en un grunge agressif typé sur l'époque la plus frustre de Nirvana. Et c'est là que risque de se jouer l'intérêt que l'on portera dans le futur à la musique de Tummyache. Aura-t-on droit au côté le plus abrasif ou le plus mélodique de ce qui nous a été proposé ce soir, les inconnues Enemy et Pudding porteront-elles autant de puissance sentimentale une fois sur sillons numériques ? Des tas de questions encore sans réponse mais qu'un deuxième album risque de trancher assez nettement.
Une attente qui semble comme ça insoutenable, mais que l'on va essayer d'occuper par une bonne dose de dreamy-disco-pop dans les jardins d'hiver. De la DDP comme on dit dans le milieu, la DDP des brightoniens de Winter Gardens, assemblage hétéroclite de musiciens et de musiques dont on ne sait trop dans quel sens les prendre. Deux chanteuses qui auraient pu figurer chez ABBA, un guitariste énervé jouant dans un monde parallèle pour un groupe de punk hardcore, un bassiste emo à la mèche rebelle, et un batteur qui de toute façon était derrière les deux chanteuses et qu'on ne verra pas. Ça c'était pour les musiciens, et pour la musique, on passe de la new wave électro kraftwerkienne de Crystallise au dream rock de Coral Bells, on saute par-dessus une reprise du Hey Hey, My My (Into The Black) de Neil Young, on longe le canal du shoegaze sur Wonders Bleak pour finir dans le space disco funky de Moonjockey. Comment dire qu'on n'a pas compris grand-chose à ce qu'il nous arrivait, mais qu'on a passé un moment sympatoche, dans les harmonies vocales et les errances stylistiques d'un groupe qui se cherche visiblement encore pas mal ?
En parlant de ne pas bien comprendre ce qu'il nous arrive, vous connaissez Naked Lungs ? Eh ben nous non plus, et ce serait un euphémisme de dire que les présentations ont été mouvementées. Un groupe entre le post-punk et le noise, mélange de The Murder Capital et de Gilla Band venu prêcher la bonne parole au Supersonic, une bonne parole faite de bruit et de fureur, les deux caractéristiques principales de ces quatre irlandais un peu tarés. Un set envoyé sans préliminaires, et une fosse devenue en une fraction de secondes un lieu de danger et de déviance, une scène de crime laissant sueur, dents, et tâches de sang sur le parterre dans un foutoir plus si éloigné du punk hardcore. Les gens sains d'esprit se reculent, il y a de plus en plus de place et de plus en plus d'occasions de se prendre un mec de cent-vingt-kilos lancé dans le dos, mais on tient bon face à l'afro frisée menaçante du chanteur possédé qu'est Tom Brady, nom de quarterback et la gouaille qui va avec, en train de se pendre avec le fil de son micro lors de chaque fin de chanson plus épique que la précédente. River (Down) conclut cinq premiers titres n'offrant aucune respiration dans une ambiance digne d'un fight club clandestin qui sent la Guinness renversée, avant que Shell ne nous fasse comprendre à quoi on a vraiment affaire. Une chanson en forme de monument de tension, remplaçant la fougue et le bruit aveugle par de lourds coups de semonces et un sermon hanté instillant le frisson dans la nuque de tous les diables de la fourbe Albion. Un groupe à l'imagerie biblique déclenchant l'apocalypse sur le sol du Supersonic lors de la finale Database, les dernières arcades explosent dans une joyeuse libération de violence refoulée, et l'on se note de penser à mettre sur la platine Doomscroll, premier album produit par Daniel Fox (Gilla Band) des prédicateurs fous et irlandais de Naked Lungs.
Une soirée qui se termine par la dream pop urbaine de l'angelina zzzahara, une musique vaporeuse et déglinguée rappelant les débuts des Flaming Lips dans sa simplicité de composition extrême agrémentée de pédales d'effets en tous genres. Zahara Jaime et son groupe, dont le look de skaters en chemises à carreaux et l'attitude laidback trahissent la provenance made in Los Angeles, vont maîtriser leur sujet jusqu'à la fin de soirée en ridant de petites douceurs mélancoliques en pop-rock minimaliste sur les rampes de Highland Park.
Une bonne slacker-dream-pop à l'américaine qui nous fera voyager pour conclure une soirée bien remplie, et on marche dans la nuit l'esprit serein, conforté dans l'idée que Nightbus est une révélation musicale intolérante au soleil, soufflé par l'intensité de Naked Lungs qui ne manquent ni d'air ni de talent, et bien content d'avoir un zzzahara de côté pour les prochaines sessions ollies au skate park du coin.