Tindersticks

Alors qu'un nouvel album se profile pour l'année 2024, les Tindersticks se produisaient en France en ce début de mois de novembre pour deux dates exceptionnelles, à Lyon puis Paris, pour une rétrospective musicale commémorant les nombreuses collaborations du groupe avec Claire Denis. En effet, les Anglais ont composé la quasi-totalité des bandes son de la réalisatrice depuis une vingtaine d'années. C'était donc l'occasion de retrouver dans de magnifiques salles françaises le groupe accompagné comme souvent par Terry Edwards ainsi qu'un autre saxophoniste mais aussi de deux violonistes, un altiste et un violoncelliste pour interpréter en live quelques extraits musicaux sur des images tirées des oeuvres de la réalisatrice française.


Le set des Tindersticks se découpe en deux parties. Chacune d'entre elle comprend la revue musicale de cinq films, à commencer par Nenette et Boni et l'interprétation de Ma Sœur sur des images projetées. Le son délivré par la dizaine de musiciens jouant dans la pénombre de la Philharmonie est juste magnifique. Pour les personnes qui ne sont pas habituées à ce type de performance, la surprise peut s'avérer de taille. En effet, ceux qui s'attendaient à entendre chanter régulièrement Stuart Staples ont dû un peu déchanter, c'est le cas de le dire... Il faudra attendre la dernière partie des images de ce film pour enfin entendre la voix du leader des Tindersticks résonner sur Petites Gouttes d'Eau aka Tiny Tears. On ressent l'émotion profondément, notamment le contraste saisissant entre le bonheur montré à l'écran pour Vincent Gallo et Valéria Bruni-Tedeschi et le désespoir poussé presque à la folie de Grégoire Colin. On le sait, le cinéma de Claire Denis peut se faire cru et brutal. C'est le cas dans Trouble Every Day où les images d'amour cannibale de Beatrice Dalle envers sa proie ne peuvent laisser indifférent et ce encore moins sur la somptueuse musique déployée par David Boulter, Dan McKinna et l'orchestre de cordes qui les accompagne.


L'Intrus nous fera découvrir un versant plus cacophonique des Tindersticks, trompette, batterie, guitares triturées rageusement sur des paysages de neige et de ciel gris montrant notamment un homme tiré à même le sol par deux chevaux ou un cœur mangé par des loups ou des chiens errants. L'ambiance est particulière, cela peut déranger et c'est compréhensible. D'autant que cela ne sera pas la dernière fois de la soirée. Les images projetées de 35 Rhums seront beaucoup moins brutales. La musique baroque produite par les Anglais de Notthingham apaise. Le mélodica utilisé par Stuart Staples apporte une forme de joie musicale, et ce encore plus lorsqu'elle se conjugue à la flute traversière. Le dernier film projeté au cours de ce premier acte, White Material, est une fois encore sans concessions. La musique des Tindersticks illustre à merveille ces images terribles de gamins Africains sans foi, ni loi, armés et probablement incapables de comprendre la gravité de leurs actes lorsqu'ils donnent la mort. Le set se conclut au bout de cinquante-cinq minutes, Stuart Staples nous gratifie d'un "thank you" après chaque film illustré musicalement et nous annonce que l'ensemble des musiciens sera de retour rapidement.

C'est sous un écran rouge, un peu trop lumineux pour le leader des Tindersticks, qui demande qu'on en baisse l'intensité, que l'ensemble des musiciens attaque vingt minutes après le break le thème principal de Les Salauds, Put Your Love In Me. Malheureusement, cette reprise des Hot Chocolate ne sera pas dans sa version longue et chantée par le leader du groupe. L'univers tordu et glauque du film, entre drogue et prostitution, est joliment retranscrit par une atmosphère musicale bien plus électronique que d'accoutumée. Entre boucles synthétiques et cris s'approchant de la possession, on a du mal à croire que c'est le même groupe qui interprétera plus tard la musique tendre et délicate de Avec Amour Et Acharnement sur laquelle Vincent Lindon et Juliette Binoche semblent vivre une passion. C'est cette même Juliette Binoche que l'on retrouve en compagnie de Robert Pattinson dans un High Life où godemichet en métal, sperme et scènes de sexe perturbant s'entrecroisent. Willow, originellement interprétée par l'acteur américain dans le film, sera chantée, comme sur la compilation Past Imperfect : The Best of Tindersticks '92-'21 pour notre plus grand plaisir par Stuart Staples.


Le temps passe vite. Stars At Noon est déjà le dernier film dont les images seront projetées. L'ambiance musicale est cette fois sud-américaine. La trompette jazzy de Terry Edwards et le rythme magnifié comme toujours par Earl Harvin font mouche. Le final de la soirée est magnifique. A l'unisson les musiciens enchantent la Philharmonie. Le générique de fin passant en revue les films présentés défile sur l'écran géant. L'ensemble de la troupe quitte pour deux à trois minutes tout au plus la scène. Leur retour n'en sera que plus beau. Stuart remercie alors Claire Denis, la Philharmonie et le public présent, et annonce que quelques titres supplémentaires vont être interprétés. A commencer par Trouble Every Day, sans images du film cette fois, qui nous touche toujours autant en cette fin de concert, puis Both Sides Of The Blade, second inédit offert sur leur compilation, et enfin For The Beauty, moment magique concluant une soirée riche en émotions que ce soit de l'effroi, du mal-être ou des larmes.

Cette chronique a une connotation assez particulière, puisque c'est avec la revue du concert des Tindersticks qui jouaient la musique des films de Claire Denis à l'église Saint-Eustache le 28 avril 2011 que l'aventure Sound Of Violence a commencé pour moi. A la Philharmonie l'ambiance fut différente de celle du lieu de culte mais elle n'en a pas été moins belle pour moi et je l'espère pour le public présent dans la salle. Les Tindersticks restent ce groupe à part, capable de nous bouleverser mais aussi de nous entraîner dans des univers malsains, tout en conservant quelque soit l'ambiance musicale une classe et une élégance inaltérable.