Comme le chauffeur du bus 31 ou un soufflet au fromage tout juste sorti du four, vous ne le savez que trop bien, l'amour n'attend pas. Ainsi, quand votre Art School Girlfriend vous donne rendez-vous la veille de la Saint-Valentin, vous vous exécutez sans mot dire. Ce soir la Boule Noire à Paris fera office de restaurant romantique. Un choix somme toute logique car c'est dans cette petite salle en sous-sol du quartier de Pigalle que vous avez enchaîné les découvertes et connu vos plus beaux coups de foudre.
Malheureusement vous n'êtes pas le seul sur la liste (je sais, je sais, vous allez me dire que c'est l'histoire de votre vie, rassurez vous, c'est pareil pour nous) car la soirée est annoncée à guichets fermés depuis plusieurs semaines. L'amour à trois parfois c'est sympa, à deux-cent, en général on termine en ramassant ses dents. La salle affiche complet à tel point qu'on rencontre les plus grandes difficultés pour y pénétrer. Pour de pures raisons logistiques nos petits noms ne figuraient pas sur la liste des personnes accréditées (nb : ne jamais donner une information à un attaché de presse dix minutes avant l'heure de l'apéro, celle-ci terminera nécessairement noyée sous un cascade de Negroni ou d'IPA) et il faudra l'intervention de la super Clara de chez Super! (pour des raisons de confidentialité et de perte de mémoire les prénoms ont été changés) pour débloquer la situation.
Dés huit heures la jauge maximale est presque déjà atteinte, notamment grâce aux nombreux voisins et copains venus soutenir Theodora, parisienne touche à tout qui en parallèle de sa carrière solo continue d'officier en tant que bassiste auprès de Pi Ja Ma, Fishbach ou Hypnolove. Sa pop élégante aux accents électroniques, voire même italo-disco, alliée à son aisance naturelle sur scène en font une première partie idéale à Polly Louise Mackey.

Accompagnée par un groupe de quatre musiciens (guitare, batterie, clavier et, à la basse, Marika Hackman), Art School Girlfriend débute son set tout en douceur avec deux titres de son dernier album
Soft Landing. De toutes les matières proposées dans cette Art School, une de celles que l'on préfère est le ouateux
The Weeks avec son introduction atmosphérique et son tempo lent que viennent peu à peu subvertir de douces mais vénéneuses guitares shoegaze. Sans créer une euphorie débordante dans le public, ce titre donne le ton d'un concert qui s'annonce langoureux et aérien mais peut-être un peu trop sage. A l'image de
Real Life et sa dream pop rehaussée de beats électroniques, on restera pendant une heure assez charmé à défaut d'être totalement transporté. Pourtant Polly Louise évite toute faute de goût. Avec ses New Balance série limitée, son pantalon baggy de jeune créateur et son t-shirt manche longue, elle dégage un évident swag arty. Avec sa reprise de Prince,
I Would Die 4 U, elle montre son ouverture d'esprit, son érudition (évidement ce n'est pas un gros tube du Kid de Minneapolis), son talent pour réinterpréter dans son propre style une chanson aussi éloignée du sien mais elle échoue à en faire un réel moment de concert. Lissé et aseptisé, le morceau passe comme une lettre à la poste là où l'original était une lettre d'amour fiévreuse et endiablée.
Sans s'être ennuyé au cours de cette été soirée, on ne s'est pas non plus éclaté comme jamais. C'est avec son tout dernier titre,
A Place To Lie, que la magie commence à réellement opérer. Sa voix douce, cette mélodie pop et mélancolique relevée par une rhythmique enlevée et festive font décoller le morceau à des altitudes non soupçonnées et surtout non atteintes depuis le début du concert.

Le sourire aux lèvres, on regrette déjà un peu que la flamme n'intervienne que si tardivement. Est-ce uniquement la faute d'Art School Girlfriend, interprète encore trop scolaire de son beau travail discographique ou bien aussi la notre, peut-être ce soir élèves quelque peu dissipés ?
Va savoir Charles car un concert c'est parfois comme la Saint-Valentin, quand l'un dit je t'aime, l'autre entend juste je t'aime bien.