Il y a des dates comme ça qui sont particulières dans un calendrier. Si cette année le 13 novembre, souvenir sanglant du Bataclan, tombe sur la venue de Fontaines D.C. au Zénith à Paris, le 11 septembre sera lui l'occasion de réunir les cultures, entre Afrique et Europe, de Lagos à Londres à Paris en passant par Athènes, avec dans la tête deux tours qui ne sont ni Orthanc ni Minas Morgul. Un concert de Yannis & The Yaw initialement prévu à la Cigale depuis déplacé à l'Alhambra (celle de République), une salle finalement complète et grandement remplie de fans de Foals, ne nous mentons pas, et devant nous un « super-groupe » monté il y a quelques mois pour quatre dates hommages à Tony Allen et à la libération live de son travail avec « The Yaw ».
Je vous renvoie à la chronique de son EP pour l'histoire complète de la création de Yannis & The Yaw, mais, en résumé, c'est Yannis Philippakis plus Tony Allen dans la ville de Paris. Des titres qui seront en cette frisquette soirée interprétés par un groupe cinq étoiles, composé des ex-collaborateurs de Tony Allen, Vincent Taeger à la batterie et Vincent Taurelle aux claviers, du bassiste live de Gorillaz, Seye Adelekan, du leader de The Invisible et Dave Okumu & The 7 Generations, Dave Okumu, de Kit Monteith aux percussions et choeurs, et du chanteur-guitariste de Foals à l'origine de ce projet, Yannis Philippakis. Le fait que je prenne cinq lignes à présenter tout le monde justifie à lui seul l'appellation super-groupe, et de ces Avengers de la musique ce seront Vincent Taeger et Dave Okumu que l'on verra entrer en premier, en duo guitare-batterie pour lancer en toute détente cette heure de concert oscillant entre chansons organisées et super-jam entre potes.
Vincent Taeger derrière ses toms et une dégaine de pimp des nineties, veste vert-fuchsia plus lunettes Aviator, Dave Okumu en grand prêtre vaudou bardé d'une grande toge noire et d'une Stratocaster, vite rejoints par un Vincent Taurelle et son combo haut léopard / moustache funky nous ramenant à l'époque des lampes à lave, Seye Adelekan en motard rasta aux doigts dix-huit carats, Kit Monteih dans un coin et le toujours classe et gominé Yannis Philippakis en veste de soirée. Bref, assez parlé fringues et CVs, l'heure est à la musique, quand la petite jam introductive de six minutes débouche sur les premières notes d'
Under The Strikes, un premier coup d'éclat dont le pont commencera à enflammer salle et amplis à mesure que monte la distorsion dans les coursives de l'Alhambra. Cris de la foule et enchaînement direct avec
Walk Through Fire, l'autre petite bombe de l'EP
Lagos Paris London : Yannis fait hurler la salle quand le riff explose contre les murs, le groupe ne fait qu'un et craque les allumettes les unes après les autres, le feu est tel qu'il vaudrait mieux cacher Notre-Dame pour éviter un nouveau drame, tout ça jusqu'à une montée finale dantesque, petit classique de la soirée.
Suit une nouvelle chanson encore sans nom, dont le riff avait déjà résonné à Paris quelques mois plus tôt lors d'une jam session impromptue à La Gare, incluant encore une fois une dernière minute surpuissante pas avare en gros accords bien compressés. Retour à l'EP, et la chanson la plus jammesque de celui-ci,
Night Green, Heavy Love, qui convaint ici encore plus qu'en studio dans une version à la fois puissante, lourde, et dans le même temps bien plus féline et déliée, le fameux Led Leppard, léopard de plomb antinomique mais oh combien savoureux à écouter rugir. L'occasion pour Yannis de présenter le groupe qui l'accompagne, et d'entamer le grand hommage d'une soirée elle-même hommage à Tony Allen, alors que montent les applaudissements et que débute la quinzaine de minutes que dureront
Afro Disco Beat, reprise piochant dans la discographie seventies du légendaire batteur à la racine de l'afrobeat. Dave Okumu va chercher les bières avant de taper son solo, tout le monde s'y met et profite de son petit moment, Vincent Taeger nous claque deux minutes monumentales de batterie afro, le piano électrique enfume l'Alhambra et nous ramène à une époque lointaine, une époque faite de moumoutes tigrées et de LSD, où ce n'était pas un droit mais un devoir de chaque instrument que de donner au peuple ses cinq minutes de solo réglementaire.
Dans la foule, chacun devient fluide, ondulant en longs mouvements de houle transpirante comme un seul être, dansant comme les eaux bordant les côtes du Nigéria, laissant vaquer le quotidien pour ne plus ressentir à l'intérieur du corps qu'un rythme chamanique, transcendant, originel. Quinze minutes peut-être pas tout à fait au goût des gens vêtus d'un t-shirt de Foals, mais déjà si c'est le cas on ne l'aura pas trop remarqué, et qu'ils se rassurent, car
Rain Can't Reach Us arrive pour remettre un peu de London energy dans ce set plus qu'africain. Tous les téléphones sont de sortie, et la boucle sortie des sessions de l'album
What Went Down prend son envol alors même que la pluie ne peut pas la toucher. La chanson est sublime, Dave Okumu se sent pousser des ailes sur l'outro et lance une ligne de guitare infernale qui fera tenir dix minutes de plus à la bande, dix minutes de va-et-vient où Dave et Seye se renvoient leurs lignes injouables dans les cordes avant un déferlement final d'accords et de roulements de toms mettant fin à la partie principale du concert. Car oui, il reste un titre de l'EP qui n'a pas été jouée, et le rappel sera bien évidemment constitué de
Clementine, chanson plus proche d'Oxford que de Lagos qui ravira tous les fans de la salle dans une version légèrement rallongée, incluant un petit solo et un refrain supplémentaire.
Et maintenant ? Et maintenant on rentre chez soi. Car nous ne reverrons pas
Walk Through Fire, Under The Strikes, ou une reprise inattendue d'afrobeat, et le super-groupe vient saluer sous une standing ovation un super-public ravi d'en avoir été, mais qui gardera tout de même dans un coin de sa tête que, quand même, c'était un peu court. Six chansons et demie plus du jam, soit une heure et sept minutes de concert pour quasi quarante-cinq euros, la note est un poil salée, et si le Yaw songeait à l'avenir à revenir avec plus de chansons, c'est avec un grand plaisir que nous les accueillerions à nouveau, car si on râle finalement c'est surtout parce qu'on en voulait toujours plus. Yannis & The Yaw, court mais intense sur scène, et surtout le sentiment d'avoir assisté à un moment d'histoire, un concert qui n'existera peut-être plus jamais sous cette forme, en édition ultra limitée, et ça, ça n'a pas de prix (surtout quand la moitié des lecteurs de cet article ont sans doute acheté des places pour le retour d'Oasis).