Déclaré ennemi public numéro 1 des amateurs de The Cure suite à des déclarations du type « Bon ce groupe, c'est quand même pas ouf » et « Oh non, vraiment un nouvel album ? Vous ne voulez pas qu'on parle d'autre chose ? », je fuis dans les rues de Paris à la recherche de la salvation. Poursuivi pas des fans à la peau pâle et aux cheveux hirsutes bloqués dans les années 80, ma seule chance de survie réside dans les couleurs vives et la joie de vivre, les ambiances de fête et le lien social leur étant aussi insupportable que l'ail à un vampire, ou que les mesures sociales à la Macronie. Arrivé à bout de souffle jusqu'au quai de Valmy, j'entre d'un dernier bond dans la salle du Point Ephémère en pensant être enfin sauvé, mais vous savez ce qu'on dit, hors de la poêle à frire into la plaque à induction.
Ultime traquenard, on me prévient quelques heures avant le concert de Goat Girl que la première partie sera assurée par
Robbie & Mona, duo pop de Bristol faisant majoritairement dans les ambiances lentes, souvent sombres et vaporeuses, à la limite de l'ambiant music, le parfait cauchemar de votre chroniqueur du jour, alias nouveau Némésis des Cure (et non pas des curés comme ne le cesse de l'écrire mon téléphone). Une première partie qui ne sera ainsi guère passionnante, pour un public qui passera son temps à se raconter la journée en buvant sa bière pendant que les nappes électroniques défilent. Sur scène, William Carkeet ressemble avec sa guitare à un ingénieur informaticien d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, quand Ellie Gray, son long manteau noir, sa petite robe mauve, et sa somptueuse voix, se fond aisément en une quatrième sœur Halliwell débarquée directement de Charmed. Tout le monde a l'air au bout de sa vie, la boîte à rythmes aurait mieux fait d'être une boîte de Prozac, le temps passe à la vitesse d'un escargot unijambiste, et on conclura en disant qu'on a déjà vu pire, mais qu'on a quand même souvent vu mieux. Robbie & Mona, un duo qui gagnerait à varier et à ajouter d'une manière ou d'une autre du dynamisme à ses chansons, ainsi qu'à prendre en assurance et en communication vis-à-vis du public.
Mais le fond d'écran à la tête de chèvre occupant désormais le fond de la scène nous rappelle que cette soirée est surtout celle de
Goat Girl, alors haut les cœurs, et ne vous mettez pas trop devant à droite si vous comptez entendre autre chose que la batterie. Disposition atypique du groupe, l'instrument de Rosy Bones est en avant à gauche de la scène (derrière un poteau), la guitare et la basse de Lottie Pendlebury et Holly Mulineaux occupent son milieu-centre, et un tas de claviers trône devant à droite, créant un cercle d'où chaque musicien peut voir l'ensemble du groupe, mais un cercle laissant aussi tout le devant de la scène inoccupé, et quand on sait que c'est l'espace principal de communication entre un groupe et son public, vous me voyez venir. Une disposition atypique pour un concert atypique, au cours duquel le trio (augmenté d'un claviériste doté d'une cagoule avec des petites oreilles), le public, et l'ingénieur du son de la salle auront tous besoin d'un petit temps de chauffe pour qu'il commence à vraiment se passer quelque chose.
Deuxième chanson du soir,
The Crack réussit à faire bouger quelques têtes mais guère plus malgré sa puissance et son rock lascif et sexy, avant que la setlist ne reparte dans le nouvel album
Below The Waste et n'enchaîne une
ride around un peu perdue, une
play it down bien mieux calée devant un public toujours amorphe, et la splendide
words fell out, toutefois desservie par le côté DIY et l'ambiance de répétition générale du concert. Résultat de l'agencement scénique, on entend la batterie en son direct et non mixée via les enceintes, pour un rendu très aléatoire et une impression constante que tout le monde joue en décalé, tant rythmiquement qu'en termes de texture sonore. Une impression qui tendra à se dissiper au fur et à mesure de la progression dans la setlist, alors que les fêtards arrivent enfin du bar pour tenter de mettre l'ambiance dans la fosse en même temps que se lance
Sad Cowboy, un cowboy pas si triste qui nous rend enfin heureux d'avoir bravé la pluie et les fans de The Cure jusqu'à l'entrée du Point Ephémère. Alors on continue le trip avec
motorway, il est quatre heures du mat' sur le périph' parisien et Kavinsky joue du synthé sur la plage arrière, puis
tonight se fume une dernière clope avant d'aller dormir, la voix de Lottie Pendlebury sortant tant bien que mal de sa gorge, raclée, torturée, escaladant une à une ses cordes vocales avec les dents, les mains attachées dans le dos. Une métaphore positive d'une chanson qui prend aux tripes, là où les harmonies de
perhaps tomberont dans une approximation ajoutant à l'aspect fête du lycée de la soirée, et que les dernières chansons de l'album sortiront un peu comme elles peuvent, dans un sentiment général bruitiste et bordélique assez éloigné de l'image studio de la dernière production du groupe.
Si on parlait fête du lycée, c'est maintenant l'école des fans qui s'invite, puisque la petite
Honey, entre cinq et six ans, fête son anniversaire et est amenée sur scène pour crier l'entame du rappel sur
Cracker Drool. Des petites bombes bien rock qui réveillent tout le monde en souvenir d'un premier album où Goat Girl faisait encore de la surf music du désert, et un concert bien étrange qui s'achève sur la folie
The Man et un petit pogo à cinq ou six personnes. Car si les sunlights des tropiques ont parfois dessiné des pentacles inversés dans le ciel du Point Ephémère, les trois filles à la tête de chèvre n'auront ce soir convaincu le public qu'à travers leurs précédents efforts, beaucoup plus rock et directs, et auront eu toutes les peines du monde à retranscrire les sublimes inspirations nocturnes et mystiques de
Below The Waste au format scénique. Un album dont on attendait beaucoup en live, et pour ça on attendra encore, mais rappelons-nous que cette date à Paris était la toute première de leur tournée, et qu'il existe encore dans ce monde des groupes qui nous font changer d'avis après s'être un peu rodés.
Alors souhaitons à Goat Girl de vite trouver la bonne formule, et à nous de rentrer vivants en évitant les ruelles sombres et les coups de surin des fans de ce groupe dont on ne doit pas prononcer le nom.