Un grand rideau noir et rouge cache ce soir l'arrière de la scène, entretenant le mystère sur ce à quoi va ressembler le set de Michael Kiwanuka. Sa musique me touche, elle est pourtant à mille lieux de ce que j'écoute d'habitude. J'aime dire que plus c'est bruyant et triste, plus ça me rend heureux, mais même si sa musique est mélancolique, elle est aussi très douce, et ce soir je vais à la rencontre d'un ovni.

Un guitariste, un bassiste et un batteur se fraient un chemin sur le devant de la scène. Ils se mettent en place, les lumières s'éteignent, ils commencent à jouer.
J Appiah arrive en costume, très élégant et charismatique. Le son est parfait, la voix est claire et le guitariste joue les superhéros. C'est un vieil ami de Michael qu'il est très content d'accompagner sur sa tournée, son groupe aussi a l'air heureux et se donne à fond.
Le public suit, et sort les torches de portable pour illuminer le Zénith jusqu'en haut des gradins pour un morceau très lent qu'il joue seul à la guitare acoustique. Puis, il nous présente
Wasting Time, son nouveau single sorti le jour même. C'est un morceau lent avec une rythmique alambiquée poussant à l'introspection. Mine de rien J Appiah aura chauffé le Zénith, le public clappe en rythme même sur le dernier morceau plus lent et plus planant.
Il est temps de terminer la préparation de la scène. On apporte de jolis bouquets de fleurs, sobres et élégants. Le rideau s'ouvre et révèle un piano droit, trois stands de claviers, des lampes aux abats jours rouge, trois tabourets de bar recouverts de velours rouge, un écran géant en fond. Une roadie vient allumer de grands bâtons d'encens, on se sent comme dans un (très) grand salon, accueillant même si un peu intimidant.

Les musiciennes et musiciens arrivent par groupe : les cordes, puis les claviers. Applaudissements, puis silence. Ils commencent à jouer, les choristes et les guitaristes montent sur scène. Applaudissements, puis silence. Le batteur et le guitariste commencent à jouer, le groupe est au complet.
Michael Kiwanuka peut arriver alors que des halos de lumières colorés dansent sur l'écran géant qui recouvre tout le fond de la scène. Tout de suite sa voix chaude et douce emplit le Zénith ultra attentif.
Pour
Follow Your Dreams la guitare électrique chante dans un wah wah délicat assez différent de l'album mais tout aussi puissant avec ses cordes et ses claviers vintage. L'atmosphère est très intime, même dans un Zénith de 6 500 personnes. C'est beau, paisible, simple et pacifique comme cette famille qui joue dans son jardin sur la vidéo projetée.
Comment ne pas sourire, entraîné par les choristes et leurs percussions qui accompagnent les babilles du visage d'un bébé en plan serré pour suivre ses airs tantôt amusé, tantôt attentif ? Les trois guitares électriques, le violon et le violoncelle ont chacun une place dans le mix, il se passe mille choses sur scène, et on se prend un déferlement d'énergie tout en délicatesse, transposant parfaitement en concert ce qui fait la force des disques de Michael Kiwanuka. Il faut croire que dix musiciens ne sont pas suffisants pour le public qui bat en mesure l'intro de
Black Man In A White World. Chaque chanson a sa vidéo, mais loin d'accaparer l'attention du public, elles sont assez minimalistes. Les plus fortes sont celles où il ne se passe rien, comme celle montrant juste les visages d'un couple qui se regarde au lit. Les « show me love, show me happiness » de
Rule The World donnent envie d'inviter Vlad, Bibi, Donald et les barbus pour résoudre enfin les problèmes de la planète. Cette chanson est l'essence du pacifisme.

Quand
Hero monte en puissance, les lumières deviennent stroboscopiques, et on a envie de danser pour exulter. La fête est de courte durée,
Floating Parade avec la navette Challenger qui explose en fond calme le jeu. La basse est énorme et prend aux tripes. Le ton ralentit encore un peu plus sur
Light, sans projections, juste avec des lumières blanches et les lampes dispersées sur la scène. Sur
Home Again, Michael reste seul sur scène avec le violoniste et la violoncelliste. Il nous parle de son premier concert à Paris en 2011, son premier hors d'Angleterre et le début de sa carrière qui s'annonçait. Il déclare son amour pour Paris et son public, un amour tout à fait réciproque. L'interprétation est fragile et touchante, j'ai l'impression d'être dans un petit club.
A mesure que
Solid Ground se déroule, les musiciens réapparaissent et contribuent à la montée du morceau. L'écran reprend vie avec Michael Kiwanuka de pleine face et des lumières rouges. La tension monte toujours progressivement, et quand le morceau atteint son paroxysme, il s'arrête trop brutalement, j'aurais voulu qu'il ne s'arrête pas. Mais cela aurait été dommage car
Rebel Soul qui suit est magistrale avec ses chœurs poignants, marque de fabrique du chanteur. Ne manquant pas d'humour, le set se termine sur
Stay By My Side. Tout le monde revient très vite pour
Lowdown porté par de magnifiques soli de guitares, des synthés vintages et des chœurs discrets. Le rappel se termine sur un splendide
Four Long Years, et à ce stade du set, je suis subjugué par la beauté des morceaux et la douceur qui se dégage de cette musique. Mais c'est un sentiment auquel on ne s'habitue pas, chaque nouveau titre est une surprise et une bouffée de joie.
Il va falloir pourtant songer à retourner dans le monde réel. Le dernier rappel sera composé des deux plus gros "tubes" de Michael Kiwanuka :
Cold Little Heart et
Love And Hate, et un superbe final à la guitare électrique qui contraste avec la régularité de la mélodie portée par les voix et la guitare acoustique. Les lumières se rallument, les portes s'ouvrent, la nuit glacée de février contraste avec le cocon dont je sors.
Les extra-terrestres m'ont ramené sur terre avec un message de paix et d'amour, je vais essayer de m'en rapeller.