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Sydney Minsky Sargeant

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 12 septembre 2025

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Rencontre avec Sydney Minsky Sargeant depuis son antre du Nord de l'Angleterre, un studio bien ordonné avec les guitares d'un côté et les synthés de l'autre. Nous parlons de son premier album solo, mais aussi du prochain dsque de Working Men's Club qu'il est en train d'écrire, des concerts, de sa quête musicale et d'une petite lumière qui ne s'éteint jamais.

Tu as eu une année sacrément chargée ! Un EP avec Demise of Love, une contribution à l'album de The Moonlandingz et des concerts de Working Men's Club à la Brixton Academy à Londres avec LCD Soundsystem. Et maintenant, tu sors un album solo. Comment as-tu fait pour gérer tous ces projets ?

Bonne question. Ces dernières années ont été bien remplies. J'ai voulu sortir de ma zone de confort, relever de nouveaux défis et travailler avec de nouvelles personnes. Ce furent beaucoup de défis très positifs et c'est super de sortir de nouvelles chansons, de partager le fruit de mon travail en solo et avec d'autres. 2025 a pour l'instant été une bonne année pour moi, pas seulement avec Working Men's Club, mais aussi sous mon propre nom, en aidant à la production et à l'écriture d'autres musiciens. Ça m'a fait du bien surtout après des rythmes de tournée assez intensifs ces dernières années.

Mais surtout j'ai été très pris par l'écriture du prochain album de Working Men's Club, que je fais en grande partie tout seul. Alors oui, j'ai fait plein de choses et beaucoup appris, je me suis un peu cherché en tant que personne et en tant qu'artiste. J'essaie juste de rester dans mon truc, de continuer à apprendre, à découvrir, à créer, en gardant la tête sur les épaules.

Qu'est-ce que tu as découvert ou qui t'a le plus surpris ?

Tu sais quoi, je ne crois pas qu'il y ait eu de vraies surprises, mais je suis toujours étonné de voir de combien de façons différentes on peut faire quelque chose qui sera plus ou moins pareil, et en même temps complètement différent. Je réapprends tout le temps comment faire de la musique, et pourquoi j'en fais. Voir les autres travailler ou discuter avec eux challenge ma manière de faire de la musique ou de voir les choses. Il y aura toujours des surprises parce que chacun voit le monde à sa façon et ça provoque des visions créatives complètement différentes. Il y a toujours des ressemblances et des éléments familiers dans la façon dont les gens travaillent et dans la manière dont ils réfléchissent à leur art. J'aime apprendre à connaître quelqu'un à travers son art, plutôt qu'en tant que personne directement.

Quand j'écoute ton album solo, j'ai l'impression que tu n'utilises jamais le même son deux fois, es-tu en recherche permanente de nouvelles choses ?

Regarde où je suis assis, cette pièce est pleine de matériel, d'instruments, de bibliothèque de sons dans mon ordinateur (ndlr : il prend son téléphone et passe la caméra tout autour de la pièce). Je cherche avant tout à aimer le son que ça produit, qu'il me parle vraiment et fasse remonter l'émotion que je ressens au moment où j'écris ou produit un morceau. Qu'il me replonge dans cet état d'esprit, et qu'il le fasse partager clairement à l'auditeur. Je pense que tu peux utiliser le même son plusieurs fois et il peut sonner différemment selon le contexte où tu le mets. J'avoue que j'utilise souvent les mêmes sons, mais je peux les utiliser différemment selon la chanson.

J'aime tester de nouvelles choses. L'autre jour en studio, j'ai demandé à un ingénieur de brancher un instrument que je ne pense pas réutiliser un jour à moins de retourner dans ce même studio, ce qui n'arrivera probablement pas. Le pire étant qu'au final je ne l'ai pas utilisé, parce que ça n'avait pas vraiment de but précis et il fallait que je consacre ce temps à d'autres choses. C'est cool d'explorer de nouvelles possibilités, mais le plus important est de coller artistiquement au projet sur lequel je travaille. Si tu n'entends jamais deux fois le même son, c'est à cause de la manière qu'il a de se fondre au reste qui est important. Si tu rassembles cinq, six, sept ou vingt sons et que tu les mixes tous ensemble, ça va créer quelque chose de nouveau à chaque fois. Je veux créer cette décharge d'endorphines. Enfin j'espère. C'est ce sentiment d'être complètement plongé dans l'instant présent, d'être à fond dans ce que tu vis, sans être ailleurs. Ça te transporte ailleurs, tout en étant hyper conscient de ton environnement. C'est ça que je cherche, et je rate ça, jour après jour, encore et encore ! [rires] Tu sais, ça prend des années juste pour trouver ce petit moment de réconfort, idéalement dix ou quinze fois quand tu fais un album. Être sincère et humain est tout ce qui compte pour moi.

Je t'ai vu en concert il y a quelques semaines en première partie de LCD Soundsystem à Londres, et au début du concert tu étais accroupi, à fixer la foule comme un animal sauvage prêt à bondir. Tu n'étais pas vraiment en transe, mais plutôt dans une sorte de « zone ». Est-ce que tu te mets dans une « zone » aussi pour écrire ?

Pour parler rapidement de ces concerts avec LCD Soundsystem, les morceaux que nous avons joués datent déjà de quelques années. Pour ma part, pour être vraiment dans le moment en live, il faut que je me remette dans l'état d'esprit que j'avais à l'époque où je les ai écrits. C'est un peu bizarre parce que j'ai l'impression d'être quelqu'un de différent maintenant, et du coup c'est un peu comme remonter le temps et essayer de devenir quelqu'un que je ne suis plus, mais en restant concentré sur l'instant présent. Je dirais que c'est un peu la même chose quand je suis assis dans cette pièce, j'essaie de rester ici, dans le moment présent, de juste avoir cette conversation, rien d'autre.

La musique est pour moi un moyen d'exprimer des pensées parfois enfermées tellement profondément que je ne les dirais jamais à haute voix, mais je peux les balancer dans une chanson, parce que je suis meilleur pour m'exprimer à travers une chanson dans certaines situations et dans un certain contexte. À mon avis, la musique est la forme la plus forte d'écriture parce que je peux créer un univers autour des mots pour emmener les gens dans mon monde. Je ne referais pas les mêmes morceaux de Working Men's Club aujourd'hui parce que je ne fais plus ce genre de sons, mais j'essaie toujours de créer des choses que les autres peuvent aimer et qu'ils puissent se reconnaître dedans. Mais ça ne se contrôle pas, c'est une façon un peu idéalisée de ce que je voudrais accomplir avec la musique. Au fond, le plus important est que ça me paraisse authentique, même si ça sonne un peu cliché.

Les chansons de Lunga ont été écrites sur une longue période. Comment ont-elles évolué, et qu'entends-tu par « une longue période » ?

J'ai commencé à écrire des chansons au début de l'adolescence. Certaines ont vraiment changé et d'autres sont restées très proches des originales. Cet album est surtout une question de ressenti, de suivre ce qui paraît le mieux. Sans rentrer dans les détails, c'est avant tout une manière d'être honnête et de continuer à avancer. Tous les morceaux que je fais sont basés sur des émotions, mais celui-ci est plus cool et posé. J'ai surtout dû finir quelques paroles et peaufiner la musique pour m'exprimer davantage à travers le style de musique.

C'était intéressant de reprendre de vieilles chansons comme A Million Flowers ou Lisboa et de remarquer que, des années plus tard, je ressentais toujours les mêmes sentiments, parfois les mêmes blessures, et ça que je voulais communiquer. Parfois, ce n'est pas aussi simple, mais à travers la musique on vit parfois un peu dans un autre monde à nous. Ce serait tellement bien si le cerveau était facile à comprendre et à gérer pour sortir des moments douloureux. Avec la musique, l'imagination peut devenir une petite réalité, le temps de trois minutes ou même de cinquante qui vont finir par t'aider à atteindre une sorte de paix intérieure.

C'est toujours un peu bizarre de bosser sur de la musique écrite il y a longtemps parce que le sens évolue tout le temps. Mais l'état dans lequel j'étais quand j'ai écrit cette chanson ne me quitte jamais. Je crois que ça revient à ce que je disais avant, sur le fait d'être vraiment là, dans le moment présent. Je veux aussi garder la main sur l'enregistrement et sur chaque étape du processus, dès l'écriture, parce que je veux que ça ait une certaine atmosphère. Comme dans un puzzle, parfois toutes les pièces ne s'emboîtent pas, mais on fait de notre mieux pour que ça colle et que ça crée quelque chose, c'est pour ça que j'ai mis des interludes pour relier les différentes émotions et chansons pour faire un tout cohérent.

Chicken Wire m'a particulièrement marquée sur l'album, elle commence un peu comme de la musique country avant de partir en vrille. Quelle était ton intention ?

Chicken Wire est une chanson un peu sadique et assez sombre, autour de cette idée de tourner en rond dans sa tête, être incapable de s'arrêter de ruminer jusqu'au point où ça devient suffocant. Le sentiment empire de plus en plus et tu finis par toucher le fond et à te poser les pires questions. Je l'ai voulu comme la métaphore de gens qui tournent dans tous les sens alors qu'il y a un incendie, comme une poule qui s'étrangle en passant sa tête à travers un grillage. Ou de tourner autour d'un pieu planté dans ton corps. Ce sont des images assez choquantes, mais au moment où j'ai écrit cette chanson j'étais juste assis sur mon lit avec une guitare. À ce moment précis, c'était exactement comme je me sentais. Au final, le morceau est bien déjanté mais je me suis bien éclaté à le faire. Apparemment j'ai écrit une chanson country, tu n'es pas le premier à me le dire. Pour moi, ça ne sonne pas trop country, mais je comprends complètement la référence. Je pense que c'est juste une chanson bizarre.

Et le nouveau morceau, New Day, qui clôt l'album, est aussi assez sombre mais en même temps très optimiste...

Exactement, un peu sombre et optimiste à la fois. L'idée d'un nouveau jour est d'essayer de laisser tout ça derrière soi. D'apprendre pour passer à autre chose, mais le truc ironique, c'est qu'au moment où j'écrivais cette chanson, aussi pleine d'espoir soit-elle, c'était un faux espoir et cette chanson m'a vraiment aidé à me challenger et à essayer de trouver dans une nouvelle journée ce monde un peu imaginaire dont je parlais. C'est parfois vraiment compliqué d'être un jeune qui essaie de se débrouiller dans ce monde. J'essaie de comprendre ces pensées, ces sentiments, toutes les relations que j'ai et vis. J'aimerais bien me débarrasser de tous les éléments négatifs de la vie et qui te façonnent pour devenir quelqu'un de rancunier, méchant, triste ou seul. Aussi ringard que ça puisse paraître, je veux rester optimiste, même si le monde est flippant et effrayant. Je ne veux pas que ma vie et mes pensées soient tout le temps noyées dans la négativité. Du coup, l'idée de New Day était de revenir sur les thèmes, les histoires et les gens présents dans l'album et de les examiner avec un regard plus mature, me regarder moi-même avec ce même regard plus mature et de me dire « tu n'as pas toujours raison ».

Dans mes albums maintenant je voudrais parler d'espoir parce qu'il y a suffisamment de négativité dans les médias. Ce n'est pas que je veuille voir le monde à travers des lunettes roses, parfois par la musique on peut arriver à un endroit un peu utopique dans sa tête qui fait que les gens tiennent le coup. Comme de se dire « je vais me faire un bon repas » ou « j'aimerais bien cuisiner un truc sympa » ou encore « j'espère que mon équipe de foot va gagner ce week-end, ils viennent de recruter un nouveau joueur », peu importe. Ce sont ces petits plaisirs qui te donnent une sorte de bulle, un petit coin de ciel bleu.

Tu parles de vouloir garder le contrôle sur la production. Tu as travaillé avec Alex Greaves, comment l'as-tu choisi et comment cela s'est-il passé ?

C'était une évidence pour moi. C'est le producteur avec qui j'ai travaillé dès le premier single de Working Men's Club et je n'ai jamais voulu que cette collaboration s'arrête. Il a toujours été là pour moi et je veux continuer à faire de la musique avec lui. Nous avons comme une relation platonique où la romance viendrait du fait d'être ensemble dans la même pièce, à travailler sur de la musique, à discuter, à être potes. Ce disque pourrait être une excuse pour travailler avec Alex, même si j'avais déjà une idée très claire du son que je voulais. Nous avons commencé par Lisboa et ça s'est super bien passé. J'ai composé la musique, enregistré et terminé la production et le mix en deux jours.

Je n'avais pas vraiment de projet à ce moment-là et je voulais juste enregistrer cette chanson écrite il y a longtemps, mais il m'a dit que je devrais faire un album. Ça m'a poussé à revoir d'autres musiques que j'avais faites avant, et donné envie d'en créer d'autres. L'album s'est monté petit à petit, sur quelques années, quand j'avais du temps libre. J'adore travailler avec Alex, il est quelqu'un d'inspirant à côtoyer, et il m'a donné l'impression d'une vraie coproduction, d'une expérience super collaborative et agréable. Bon, ce n'était pas toujours facile, il m'a aidé à traverser des moments un peu galères et il a capté ça dans le disque. Il a bossé sur plein de super disques ces dix dernières années, grâce à lui c'est cool de faire un autre album dans le nord de l'Angleterre.

Vas-tu faire une tournée avec ton nouvel album solo ?

Juste quelques concerts, j'ai envie de concrétiser l'album avec quelques dates plus tard dans l'année. Le premier est à la fin du mois, et je verrais comment ça se passe après. Nous allons faire ça à trois avec Hannah de Working Men's Club et Alex. Je vais essayer de mettre en avant à la fois les parties électroniques plus douces du morceau et les éléments plus organiques.

Qu'est-ce qui fait qu'une chanson sort sous ton nom ou sous celui de Working Men's Club ?

Les deux sont liés, mais je voulais faire Lunga sous mon propre nom car il est peut-être plus personnel, et que je voulais canaliser mes émotions différemment. Mais les cordes de l'album annoncent un peu la vibe du prochain album de Working Men's Club. C'est juste un petit aperçu de ce que j'essaie de faire, et de la manière dont je veux raconter mon histoire aux auditeurs, sur la manière de les faire entrer dans mon univers. Au fond, ce qui sort sous mon nom ou sous Working Men's Club, c'est moi. Mais je crois que l'aspect collectif est la principale différence pour traverser ensemble les galères de la vie et essayer d'apporter une lueur d'espoir dans les moments les plus sombres. C'est la version collective de ce que je te disais plus tôt à propos de New Day

Finalement, après une année 2025 aussi chargée, à quoi va ressembler 2026 pour toi ?

J'espère vraiment sortir un autre album de Working Men's Club en 2026. C'est le plus gros projet et le plus gros défi d'écriture sur lequel j'ai jamais travaillé. Il y a encore beaucoup à faire. J'ai appris pas mal de choses et j'apprends encore beaucoup. Après ça, des concerts bien sûr, mais d'abord l'album.