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86TVs

You Don't Have To Be Yourself Right Now EP

86TVs - You Don't Have To Be Yourself Right Now EP
Chronique Single/EP
Date de sortie : 26.01.2024
Label :Parlophone
35
Rédigé par Franck Narquin, le 26 janvier 2024
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En 2016, après quatorze ans de bons et loyaux services et quatre albums remarqués, The Maccabees annonçaient leur séparation. Considérant qu'ils avaient atteint leur potentiel créatif, les londoniens, amis d'enfance, ont préféré s'arrêter à leur zénith plutôt que de sombrer dans les pertes et fracas des drama queen Gallagher ou dans la haine tenace et irréversible des deux têtes pensantes de The Smiths.

Felix et Hugo White, tous deux guitaristes de The Maccabees, et leur troisième frère Will, officiant aux claviers sur quelques tournées du groupe, n'ont depuis pas cessé de jouer ensemble mais sans but précis et sans réelles compositions. Il faudra attendre l'arrivée de Jamie Morrison, batteur des Stereophonics, pour que 86TVs prennent forme et que le groupe se décide à ajouter des paroles à ses jams instrumentaux. Comme vous avez bien suivi ce début d'article et qu'on ne vous la fait pas, vous vous dites fort logiquement « Mais Francky, il ne nous manquerait pas un chanteur ? ». Bien vu l'artiste ! Les frères White envisagent d'abord de confier le chant à différents interprètes. En quatorze ans d'activité, ils se sont forcément fait quelques copains dans le milieu, d'autant plus que ces trois frères sont loin d'être des inconnus dans le petit monde de l'indie rock londonien. En faisant la tournée des popotes, ils tombent sur un certain Johnny Marr, à qui on ne la fait pas non plus, qui les convainc que leurs chansons doivent être interprétées par ceux qui les ont composées. Les frères White décident alors de chanter tous les trois, pas l'un après l'autre comme chez bar italia, mais en même temps, à la manière de Beach Boys, les variations harmoniques en moins.

86TVs, qui tirent leur nom d'un titre d'I Am Kloot, groupe préféré des White Brothers, sont donc une formation familiale et sans frontman, prouvant que les quatre anglais, pourtant chevronnés, demeurent parfaitement dans l'air du temps en 2024, mais surtout que ce sont des chics types (pas comme... pas de noms, pas de noms, on aime trop Morrissey et Robert Smith pour faire ça). Des chics types peut-être, mais pas des types sans ambition. Car si 86TVs ont pris tout leur temps pour sortir leur premier album qui devrait paraître cette année, ils n'ont pas l'intention de faire de la figuration, ni de se contenter du rôle de seconds couteaux de luxe qu'occupaient The Maccabees. Si jamais vous êtes des fans hardcore, pas la peine de venir crever les pneus de ma voiture ou de caillasser les baies vitrées du luxueux penthouse faisant office de salle de rédaction de Sound Of Violence, car leur leader Orlando Weeks regrettait publiquement que le groupe n'ait pas connu le succès qu'il méritait, considérant qu'ils avaient de quoi concurrencer des écuries du calibre de REM ou Arcade Fire.

Nous n'avons pour l'instant qu'un petit EP de quatre titres pour nous faire une idée, mais on perçoit aisément tout ce qui devrait faire le sel aussi bien que la limite de TV86s : they want to be big ! Nous développerons cela plus loin, mais la problématique du groupe sera de parvenir à différencier le grand du gras. En effet, You Don't Have To Be Yourself Right Now EP présente deux visages radicalement opposés, pas tant dans le style mais essentiellement dans la qualité des morceaux proposés et dans l'orientation que pourrait prendre le quatuor. Face A, c'est coup de cœur alors que Face B, c'est haut-le-cœur.
Quatre chansons, cela reste un peu court pour se faire un avis définitif sur un groupe, mais cela permet de se lancer dans une analyse titre par titre assez détaillée. Installez-vous bien car on va prendre notre temps et si nécessaire, posez une demi-journée de RTT. Je ne suis pas encore sûr que ce soit mon groupe préféré de l'année, mais une chose l'est, en 2024, de 86TVs on va entendre parler.

Commençons par le meilleur. Face A, coup de cœur. L'EP s'ouvre par Worn Our Buildings. Si la similarité flagrante avec Arcade Fire n'échappera à personne, même structure, mêmes envolées mélodramatiques, même emphase et mêmes les paroles semblent être signées par les divins canadiens. Pourtant ce morceau est tout sauf un pastiche. Vibrant, accrocheur, fédérateur et racé, Worn Our Buildings mange à la table des plus belles réussites de la bande de Win Butler. Fermez les yeux et vous verrez Greta Gerwin courir et danser à en perdre la raison comme dans le clip d'Afterlife, tourné en direct par le génial Spike Jonze. L'analyse de ce titre tient en deux mots : Instant Classic.
Le deuxième single, déjà disponible en streaming depuis octobre dernier, se nomme Higher Love. Sans atteindre les sommets du morceau précédent, il avait néanmoins mis 86TVs en alerte violette. Si tout le disque était de cet acabit, on détenait un sérieux prétendant au titre de meilleur debut-album de l'année, si ce n'est de meilleur album tout court. La patte d'Arcade Fire demeure encore présente, mais le morceau ressemble plus à LCD Soundsystem, dans sa veine la plus pop du type All My Friends. Même construction et même montés progressives en plateau, même tension et même sens de la mélodie et du cool. En deux morceaux, 86TVs prouvent qu'ils sont capables de composer des hits aussi savoureux qu'Arcade Fire et LCD Soundsystem dans leur prime, soit les deux locomotives indie-rock des années The Maccabees. La revanche est un plat qui se mange froid comme me disait ma grand-mère et Benyamin Netanyahou.

C'est donc avec impatience et gourmandise que nous attendions de découvrir les deux morceaux inédits de cet EP. On y est, Face B : haut-le-cœur. On est d'accord, on exagère légèrement et on est plus sur le bon mot que sur un constat objectif. Mais Spinning World et Dreaming ont relégué d'un coup 86TVs du statut de petit chouchou de la rédaction à celui nettement plus courant de groupe prometteur qui doit faire ses preuves avec son premier album. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup.
Si la Face A devrait assurer au groupe un succès critique, bien que certains ne manqueront pas de s'offusquer de la ressemblance trop marquée avec Arcade Fire (et on ne pourra pas complètement leur donner tort), la Face B vise clairement le succès commercial tant les deux derniers morceaux s'apparentent à de purs hymnes de stades. On peut adorer ça, d'ailleurs entendre près de 60 000 personnes chanter en chœur You Will Never Walk Alone à Anfield Road ou 38 223 chômeurs, pédophiles et consanguins (désolé, nous pensions que vous ne saviez pas lire) entonner les Corons en début de deuxième mi-temps avec le même enthousiasme que leur club soit en Ligue 2 ou en Ligue des Champions (Lens, meilleur public de France haut la main et qui sait bien qu'une vanne lourdingue d'ultras sera toujours moins grave qu'un mensonge de ministre) sont des expériences de l'ordre de la transcendance. Mais à titre personnel, devoir se fader Coldplay ou Muse beugler devant 50 000 touristes me laissera toujours de glace (ndlr : les menaces de mort sur nos chroniqueurs, aussi agaçants puissent ils être, et encore lisez Adonis Didier, c'est pire, et passible de 75 000 euros d'amendes et 5 ans d'emprisonnement).

Spinning World est un robinet d'eau tiède destiné à faire balancer les bras des auditeurs de ondes FM tandis que Dreaming, ballade certes émouvante et prenante, paraît malheureusement avoir déjà été entendue mille fois, que ce soit pour sortir, la larme à l'œil, son briquet ou son flash d'iPhone. Ces deux titres, loin d'être mauvais, s'inscrivent dans le tout-venant tandis que les premiers étaient tout simplement brillants. Ceci-dit la découverte simultanée des quatre chansons de cet EP est susceptible d'estomper la déception que nous avons pu ressentir après s'être emballés sur les deux premiers singles come des Molkettes en mal d'affection.

On ne saurait dire à ce stade si 86TVs deviendront l'Annapurna de l'indie-rock UK ou une grosse machine pop-rock fadasse. Leur premier album arrivant bientôt, nous serons vite fixés. Nous les avions sélectionnés dans notre playlist Sound of 2024... Mais attendez là ! Vous me voyez obligé d'interrompre momentanément cette chronique. Vous n'êtes pas encore abonné à notre playlist ? Nous sommes pourtant depuis le début de l'année sur Deezer et Spotify. Pour Tidal, il faudra attendre la prochaine partie de golf de notre rédacteur en chef avec Jay-Z. Si vous préférez les supports physiques, je pense que Fabrice Droual, notre chroniqueur breton, aux goûts sûrs mais qui fait mine de ne pas comprendre que nous ne parlons que des orchestres britanniques et pas de tous les groupes chantants en anglais, doit sûrement encore avoir un enregistreur de cassettes.

En attendant nous misons tout sur la Face A et sur d'autres bonnes surprises à venir car de toute évidence avec ce premier EP, 86TVs nous rappellent qu'ils n'ont pas à être eux même tout de suite.
tracklisting
    01. Worn Out Buildings
  • 02. Higher Love
  • 03. Spinning World
  • 04. Dreaming
titres conseillés
    Worn Out Buildings - Higher Love
notes des lecteurs