Chalk

Du Berghain-rock mêlé à de la techno-punk. Une auto-description donnée il y a un an par Ross Cullen à la Backseat Mafia, lorsqu'il s'agissait de définir ce qu'était la nouvelle sensation punk industriel venue de Belfast : Chalk. Mais qui c'est Ross Cullen ? Et c'est quoi Chalk ? Alors Chalk, c'est du Berghain-rock mêlé à de la techno-punk, et Ross Cullen, c'est le chanteur de Chalk, accompagné de ses camarades de la Queen's University de Belfast, Benedict Goddard et Luke Niblock. Une rencontre en 2019 lors de cours de cinéma (en même temps, quand on s'appelle Goddard, quel que soit le nombre de d, on risque de faire des doubles six), quelques années passées à répéter et bidouiller des sons « grâce » au COVID-19, et un premier EP sorti il y a dix mois : Conditions.

De concerts en concerts la hype ne cesse de monter, le groupe signe chez Nice Swan Records fin 2023, et annonce une suite à son premier effort, sobrement intitulée Conditions II. Mais alors, cette hype, on believe ou on believe pas ? Eh bien, pour répondre à cette question, il s'agirait d'abord de se demander, mais d'où vient cette hype ? Introduits comme « le groupe à guitares nord-irlandais le plus excitant depuis des années » par la BBC, on notera déjà que les copains de la British Broadcasting Corporation ont vite oublié Enola Gay. Ce qui n'est pas le cas de notre trio du soir, tant l'introductive The Gate emprunte à la folie et au spoken-punk-industriel du bombardier nord-irlandais dans des proportions un peu trop évidentes. Enola Gay, l'éléphant nucléaire dans la pièce ? Oui mais, heureusement, pas que.

On retrouve dans la musique de Chalk tout ce qui fait actuellement la scène noise irlandaise du nord et du sud, et ce depuis que Gilla Band lui a permis de sortir de l'ombre, que ce soit par leur musique ou par l'acharnement de Daniel Fox à dénicher et produire tous les irlandais possédant un début d'oreille musicale et l'envie de faire du bruit. On repense au premier album de Naked Lungs sorti l'année dernière, à Nerves aperçus au Supersonic il y a deux mois, à SPRINTS qui trainaient aussi chez Nice Swan Records à l'époque de Manifesto et même lorsque leur album s'apaise sur Kevlar, ce ne sont que d'autres irlandais qui nous viennent en tête : Fontaines D.C. et The Murder Capital décidément jamais très loin lorsque l'on commence à évoquer l'île d'émeraude.

OK mais donc Chalk, en fait, c'est juste un groupe de noise irlandais random avec une hype qui va durer jusqu'à un premier album moyen qu'on aura lâché en deux jours ? Eh bien vous me connaissez, j'aime les avis tranchés, et je vous répondrai donc que peut-être bien que oui, et peut-être bien que non. Car, à l'image d'Enola Gay, même si les productions studio devaient laisser à désirer, le niveau des prestations live du groupe lui assurera toujours de remplir des salles et de nous faire sortir des papiers jetant au feu dix à vingt ans d'historique de concerts, pour vous jurer que oui, c'était celui-là le meilleur de votre vie.
Et de deux, il se trouve qu'on a manqué jusqu'ici, dans la description « Berghain-rock mêlé à de la techno-punk », de s'attarder sur le Berghain et la techno. Un espoir dans ce qui devrait distinguer Chalk de la masse informe et bruitiste, son attrait pour la capitale allemande et sa scène musicale bien plus orientée clubbing que rock à guitares, un trait qu'elle partage avec Belfast la belle, Belfast la nocturne, écartelant perpétuellement Chalk entre leur Irlande rockeuse et leur Irlande clubbeuse. Alors on s'éclatera sur Claw, version industrielle à l'embouchure de la Lagan de la trip-électro de Kerala Dust. Tout est plus sombre, plus haché, les grues grincent, les conteneurs se fracassent les uns contre les autres, le métal crisse et les cartes bleues râclent les lignes de coke dans un very bad trip ouvrier sublimé par l'inquiétante morosité d'un ciel brouillé par la fumée grise et les vapeurs d'alcool.

Une histoire mal embarquée dont la dernière page décrit un vol au-dessus de la mer d'Irlande, une danse parmi les turbulences d'une jeunesse dont le pessimisme n'est que le masque couvrant par pudeur et par crainte l'espoir de retrouver un jour l'espoir. Bliss, une sublime envolée synth-dream-punk dans laquelle Conditions II trouve son apogée, une chanson de l'espoir et de la danse qui nous fait dire que, peut-être bien que oui, la hype qui entoure aujourd'hui Chalk saura un jour se muer en un univers musical complet qui aura su dépasser ses influences pour en devenir une à son tour.