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The Libertines

Anthems For Doomed Youth

The Libertines - Anthems For Doomed Youth
Chronique Album
Date de sortie : 11.09.2015
Label : Virgin EMI
3
Rédigé par Hugues Saby, le 23 septembre 2015
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Memento mori. La légende dit que dans la Rome antique, lorsqu'un général ou un empereur victorieux paradait dans les rues après une campagne, il était suivi d'un serviteur qui lui soufflait à l'oreille cette devise. En substance : toute légende que tu sois, rappelle-toi que tu es mortel. En ce qui concerne les Libertines, la légende était écrite depuis fort longtemps, peut-être même avant que ne sorte Up The Bracket, en 2002. Les excès, les concerts sauvages et les descentes de flics, bien sûr ; la poésie, la vie romantique rêvée, le lyrisme à fleur de peau, surtout.

Dès leurs débuts, les Libertines avaient quelque chose de différent. Quelque chose de typiquement Anglais, qui leur a fait incarner le renouveau rock dans un registre diamétralement opposé à celui des Strokes, qui jouaient au même moment un rôle similaire outre-Atlantique. Dignes héritiers des Smiths, les Londoniens avaient cette touche de raffinement qui rendaient acceptable voire souhaitable la débauche et les tourments qui accompagnaient nécessairement leur épopée musicale. En trois ans à peine, les Libs ont écrit leur propre saga, erratique et sublime, cristallisée autour de l'anamour du duo Bârat-Doherty (qui éclipsait d'ailleurs la section rythmique Powell-Hassall, auquel le groupe doit au moins autant).
L'histoire était parfaite. Deux albums bruts et magnifiques, un mode de vie bohémien en parfaite harmonie avec les idéaux romantiques, une urgence et une intelligence musicale hors du commun, des frasques rock'n roll superbes autant qu'ubuesques, et une séparation violente autant qu'inévitable, en plein vol et au sommet de leur art. En 2004, les Libertines étaient entrés bien malgré eux au Panthéon du rock britannique, et étaient devenus presque immortels. Bien sûr, il y eut les projets solo, les Babyshambles et les Dirty Pretty Things, la descente aux enfers de la drogue et du ridicule. Mais en tant que groupe, en tant qu'idoles, les Libertines étaient intouchables. Seule la mort par overdose de Doherty à 27 ans aurait éventuellement pu venir encore parfaire leur légende.

Memento Mori. Seulement voilà, Doherty a survécu, tant que bien que mal. Et au fil des reformations, en 2010 à Reading & Leeds et en 2014 à Hyde Park notamment, la tentation d'une nouvelle livraison studio se faisait sentir. Et comme ils ne sont, à notre plus grand dam, que de simples mortels, les likely lads ont remis le couvert. Comme le scandait un graffiti croisé au hasard sur un mur de Londres (qui devint d'ailleurs la devise a posteriori du groupe et le titre de leur documentaire officiel) : « There are no innocent bystanders ». Autrement dit, en matière de Libertines, pas de demi-mesure, il faut choisir son camp. On les adore ou on les hait. En ce sens, enregistrer un nouvel album relevait pour le quatuor soit du suicide musical, soit d'un incroyable courage. Celui d'affronter les attentes incommensurables des fans, qui attendaient cela depuis plus de dix ans, au risque très probable de les décevoir doublement. Soit parce que ces derniers attendaient le disque que les Libertines auraient pu faire une décennie en arrière, ce qui est impensable, soit parce que, conscients que leurs idoles avaient nécessairement évolué, ils seraient possiblement déçus par la qualité de ce disque. Comme nous vivons tous, même Bârat et Doherty, dans la vie réelle, et non en Arcadie, la réalité est bien sûre nuancée. Ainsi Anthems For Doomed Youth n'est-il ni prodigieux ni foncièrement mauvais. Et c'est sans doute ce qui pouvait arriver de pire.

Dès le premier titre, on retrouve tous les marqueurs libertins, mais dans un contexte totalement autre. Le refrain est du Libertines pur sucre, avec ses astuces harmoniques, ses triolets et sa malice d'écriture. Autrement dit, tous les ingrédients sont là, mais plus la jeunesse ni la folie. Ce qui est, encore une fois, normal. Mais en conséquence, cela sonne plus comme du Babyshambles, dont on retrouve les influences métissées et un certain sens de la dérision, ou du Bârat solo, dont on retrouve la dimension cabaret burlesque du premier album, que comme du Libertines. Comme si, finalement, les projets de chacun des leaders, avec tout ce qu'on a pu en dire en bien et en mal, n'étaient ni plus ni moins que leur manière à eux de vivre, d'évoluer, de vieillir musicalement.
On le ressent plus particulièrement sur Barbarians, Gunga Din, et Fame and Fortune. Lorsque la flamme d'antan se rallume, au détour d'un riff de guitare décousu ou d'un chorus élégiaque, bien entendu cela saute aux oreilles. C'est le cas sur la deuxième moitié du disque : Iceman, Heart of the Matter, Fury of Chonburi, The Milkman's Horse et Glasgow Coma Scale Blues rappellent la glorieuse époque, tantôt par des ballades acoustiques écorchées vives, tantôt par des refrains héroïques à deux voix, tantôt encore par un bordel électrique sans nom, celui si caractéristique de la production de Mick Jones. Curieusement, c'est sans doute cela qui manque le plus sur ce disque.

Outre les qualités intrinsèques du groupe, la production, ou plutôt la non production de l'ancien Clash apportait beaucoup, permettant l'éclosion miracle de la beauté et du chaos parmi le néant. Ici, rien de tout ça. Et même si l'on retrouve parfois un peu de magie, on regrette l'ambiance si particulière de Up The Bracket et The Libertines. La basse de Hassall, autrefois si déterminante par son omniprésente et discrète subtilité, est étouffée. La batterie épileptique et sourde de Powell est trop propre, trop policée. Restent bien entendu les voix et les guitares inimitables, qui comblent ces absences. Les autres morceaux sont plus anodins, notamment le titre phare Anthem For Doomed Youth, qui commençait pourtant de la meilleure des manières. La voix grave de Bârat conte : « Here's a story about the ruins of death or glory », et Doherty entonne de sa voix si caractéristique cette prose magnifique et inimitable « Was it Cromwell or Orwell who first led you to the stairwell ? ». Et l'on surprend un frisson le long de sa colonne, celui-là même qui nous étreint à chaque écoute de Tell The King. Mais le château de sable s'effondre bien vite avec le refrain, bête et banal. « Life can be so handsome, life can be so gay ». Pouf pouf. Trois morceaux, enfin, sonnent carrément creux. Doherty se démène en vain pour rendre crédible les piano mélo de You're My Waterloo et de Dead For Love. La basse et la batterie tentent désespérément de remplir le vide sur Belly Of The Beast.

On reste donc sur une impression en demi-teinte, et Anthems For Doomed Youth mérite à peine mieux que la moyenne. Le talent est bien sûr toujours là, et la qualité de songwriting des deux enfants terribles sauve la baraque. Mais après tout, même si c'était impossible –et peut-être pas souhaitable- on se surprenait tout de même à espérer un troisième opus dans la droite lignée des deux premiers. En ce temps où les Libertines étaient beaux, jeunes, fous, et oui, immortels. Memento Mori.
tracklisting
    01. Barbarians
  • 02. Gunga Din
  • 03. Fame and Fortune
  • 04. Anthem for Doomed Youth
  • 05. You're my Waterloo
  • 06. Belly of the Beast
  • 07. Iceman
  • 08. Heart of the Matter
  • 09. Fury of Chonburi
  • 10. The Milkman's Horse
  • 11. Glasgow Coma Scale Blues
  • 12. Dead for Love
titres conseillés
    Heart of the Matter, Fury of Chonburi, Glasgow Coma Scale Blues
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