logo SOV

PREGOBLIN
Trampolene
The Libertines

Paris, Zénith - 24 octobre 2022

Live-report par Adonis Didier

Bookmark and Share
« Putain, 20 ans ! », nous disaient Les Guignols de l'Info il y a déjà maintenant onze ans. Putain, 20 ans que le premier album des Libertines débarquait dans les charts, le 14 octobre 2002 précisément. Non moins guignols que nos marionnettes préférées, les Libertines auront longtemps défrayé la chronique, et peu auraient pariés sur la probabilité que le groupe existe encore deux décennies plus tard. Il faut dire que la cote des bookmakers londoniens donnant Pete Doherty encore vivant en 2022 avait de quoi sérieusement inquiéter ces dernières années. Et pourtant, après une dernière cure faite de cidre brut et de camembert dans notre belle Normandie, nous y voici, au Zénith de Paris, pour célébrer les noces de porcelaine des likely lads Pete Doherty et Carl Barât.


Le temps pour nous de rejoindre notre place, dans les fameux gradins de Catégorie 3, parfaitement situés afin de rendre l'expérience journalistique et sonore la plus déplaisante possible, au milieu de sièges à moitié vide recevant en pleine tête toutes les réverbérations parasites du hangar sans âme qu'est le Zénith, que commence déjà le set de la première première partie, les sud-londoniens de PREGOBLIN.
Deux sur une scène qui semble vraiment très grande, pour des musiciens sans doute plus habitués aux salles bas de plafond et enfumées qu'à un grand entrepôt encore à moitié vide. On appréciera toutefois le show nettement plus rock que ne le laissait présager leurs productions studio, un show shoegaze distordu, dense, assez hypnotique, certainement brouillon, et dont la quintessence se situe probablement dans des espaces plus exigus, le corps chargé de diverses substances que nous ne détaillerons pas ici, parce que la drogue c'est mal. Sentiment partagé par le public, qui chille comme sur les bords du canal de l'Ourcq, jusqu'à ce que l'apparition d'un certain Pete Doherty, costume gris en tweed sur les épaules, chapeau sur la tête, et Gladys, l'un de ses deux chiens, à ses côtés, réveille enfin la foule qui acclame les trois musiciens en admirant Pete entonner le refrain de la présente chanson. Une heure d'avance sur l'horaire prévu, l'air sain et non-éméché, la voix délicate, aérienne... mais qui est donc cet homme nouveau que les mauvaises langues n'ayant point écouté son dernier album surnomment Pete Groherty ?


Réponse plus tard dans la soirée, et ce sont désormais Trampolene qui investissent la scène du Zénith pour nous faire respirer un peu d'air de Swansea. Jack Jones, frontman guitariste et poulain de l'écurie Libertines depuis déjà quelques années, nous rappelle d'entrée ce que donne un chanteur charismatique derrière un micro, et fait bouger les quelques acharnés du milieu de fosse venus ce soir pour s'envoyer les uns contre les autres. Le reste du public sirote sa bière, et discute de la reprise du taf', satané lundi, laissant Jack légèrement seul lorsqu'il essaye de leur faire entonner quelques ooooh ooooh pourtant bien placés. S'en suit l'annonce du futur album, Rules Of Love & War, prévu pour le 17 mars 2023, parfaitement teasé par un enchaînement Thinking Again et Money qui nous sort enfin un son lourd, puissant, qui fait bouger la tête, les jambes, et nous donne pour la première fois l'envie de sauter dans la fosse au mépris des règles et des convenances. Uncle Brian's Abattoir nous offre un petit moment de calme voyant le retour de Pete Doherty pour un refrain au cordeau et empli de grâce vocale. Les premiers téléphones sortent pour filmer la scène, Pete et Gladys repartent, et la bande à Jack Jones se termine sur un Alcohol Kiss des grands soirs, solo sur les genoux, refrain endiablé, et toujours les mêmes quinze personnes qui sautent dans la foule. Une pensée prédomine, celle de mettre une alerte sur le futur album et la future tournée des Trampolene, et espérer très fort les revoir en tête d'affiche dans une salle à leur mesure, avec un public un peu moins obnubilé par le main event de la soirée.


Mais avant le main event, des pubs, parce que c'est évidemment pour ça que les gens sont là. Au prix de la place, vraiment, on remerciera le Zénith de nous diffuser des spots fadasses et non de la musique. Enfin bref, on oublie tout, un grand rideau se tend en fond de scène représentant quatre CRS sur fond rouge orangé, The Libertines écrit au-dessus d'eux, Up The Bracket en typo de machine à écrire à leurs pieds, et Jungle Boogie est envoyé dans les enceintes.
21h30, parfaitement à l'heure, le gang débarque devant la pochette d'un album qui a déjà vingt ans et dix jours. Pete, dans le costume qu'on lui connaît déjà, Carl accoutré comme une fusion entre John Steed et un mafieux des années 30, chapeau melon, veste noir, chemise blanche, et bretelles noires, et enfin, complétant la frontline, l'historique bassiste, John Hassall, costume cravate indiquant sans l'ombre d'un doute que c'est lui qui fait la comptabilité du groupe à la fin de la soirée. Last but not least, Gary Powell, jurant légèrement avec ses compères, en survêtement vert à bandes blanches, s'installe à la batterie. Deux coups sur la caisse claire, et l'émeute annoncée par le rideau peut enfin commencer. Vertigo voit donc les placeurs se relâcher légèrement, la plupart des gens cantonnés en Catégorie 3 en profitent pour plonger dans la foule, et on n'en dira pas plus sur nos agissements. Dans la fosse, de côté, le son reste encore franchement brouillon, du moment que l'on n'est pas bien entre les deux façades qui encadrent la scène : les guitares se marchent dessus, les voix un peu moins poussées, plus délicates, de Pete et Carl peinent à surnager dans cette soupe, et seule la batterie ressort à peu près en état de la désagréable expérience.

Problème de placement sonore réglé, pile face à la scène, on distingue enfin les instruments, et le show se lance pour de bon sur les coups de rasoir balancés en intro de Horror Show, chanson à l'énergie imparable qui envoie toute la fosse en l'air. Time for Heroes, Up The Bracket et Tell The King seront évidemment les évènements plébiscités d'un premier album joué dans l'ordre. C'est pur, originel, la foule salue la prestation, de rapides flashs embrasent la pochette en arrière-plan pour Boys In The Band, l'émeute repart pour un coup, et Gary tombe la veste de survêtement pour taper violemment sur ses toms torse nu, perlant de sueur. Ouf, il fait chaud, vous trouvez pas ? Radio America calme les choses, et nous laisse apprécier la voix retrouvée de Pete, le ramenant dans son élément actuel et sa dernière collaboration avec Frédéric Lo, un élément plus doux, plus acoustique, une tendresse qui fait plaisir. Les jets de bière commencent pour Up The Bracket, à Carl de tomber la veste, et de se retrouver chemise blanche, bretelles, et chapeau melon, ambiance Orange Mécanique sur ce solo de guitare grinçant, taillé dans la chair. Pour reposer tous les organismes sauf le sien, Gary envoie un bon gros solo de batterie avant Begging, de même avant The Good Old Days, cette fois accompagné de John pour la ligne de basse. Parce qu'on oublie trop souvent que les Libertines sans Gary Powell, c'eut été beaucoup moins bien, et qu'il en faut du talent pour suivre rythmiquement des allumés pareils partout où ils vont.


La fosse est au taquet, le reste du public un petit peu moins, et il faut que Pete aille cherche tout le monde pour que ça commence à clapper à l'unisson. Premier gros frisson à la fin de The Good Old Days, alors que Carl et le public, en chœurs, suppléent de plaintes lascives derrière un Pete qui se souvient des bons vieux jours. Les bons vieux jours qui sont définitivement enterrés par I Get Along. Pete et Carl n'ont plus l'énergie des premiers jours, les « guerilla gigs » sont désormais derrière eux, le bordel sur scène reste assez contenu, comme dans la fosse, et on voit plus souvent le groupe se regrouper autour de la batterie, comme pour se retrouver un peu et communier, qu'aller véritablement vers le public comme on s'y attendrait. Un état d'esprit symbolisé par cette ligne balancée par Pete à la fin de l'album, « This was Up the Bracket, see you in another 20 years ! », avant de tout autant balancer sa guitare à un technicien, un petit jet de trois ou quatre mètres plutôt risqué on l'avoue. Une séquence qui résonne comme « OK c'est les 20 ans, on l'a fait, on a plus l'âge, maintenant commençons le concert les gars ! ».

Ainsi, le groupe quitte la scène, suivi d'une extinction des lumières, mais le groupe revient, et « mayday mayday mayday » hurlent Pete Doherty et Carl Barât dans le même microphone, à deux doigts de se rouler un patin. Un retour aux sources de leur amour qui se poursuit sur What A Waster, puis c'est l'album des retrouvailles, et les deux recommencent à galocher le micro pour Gunga Din. La scène est ensuite laissée aux deux amoureux, un spot pour Carl au piano, un spot pour Pete au chant, et le voici qui déclare You're My Waterloo en faisant un bisou à Gladys pendant que la fosse allume briquets et téléphones pour profiter de l'idylle. Un moment de complicité entre deux hommes à l'histoire et à la relation compliquée, et un beau moment de communion avec le public. Car c'est sur ces chansons qu'ils se sentent le mieux désormais, et Pete le prouve, sourire aux lèvres, à gratter à plusieurs reprises ses cordes pour amorcer avec maintes feintes d'épéiste la douce et belle What Katie Did. Des « shoop shoops » entonnés entre Carl et la salle, une chanson en quasi a capella, si ce n'est le kick and tchak discret de la batterie et la ligne sobre et tranquille d'un Pete Doherty décidément bien changé, et toutes les paroles sont reprises à l'unisson par un public ravi, conquis et amoureux. Ce même public qui chante puis hurle le refrain de What Became Of The Likely Lads comme pour dire aux deux guignols qui se dandinent sur scène, oui, voilà ce que vous êtes devenus. C'était inespéré, vous devriez être morts ou séparés pour toujours, et qui sait ce qui peinerait le plus ces deux-là, mais vous êtes là, on est tous là, à chanter « what became of the dreams we had? ». Putain, 20 ans !


Le groupe requinqué, retrouvé, et son public aux anges, Can't Stand Me Now fait battre le cœur de tous au même rythme des cris et des sauts dans la fosse, dans une harmonie parfaitement juste, si ce n'est la ligne hasardeuse de Pete à l'harmonica qui finit de faire s'envoler gauchement la chanson. Mais si on les supporte, si on les aime depuis vingt ans, c'est bien plus pour leur maladresse, leur romantisme, et toutes ces émotions trop fortes pour eux qui se déversent dans leurs chansons et leur couple foutraque, que pour une quelconque justesse mature et scolaire. On a envie de dire à Pete, Carl, et aussi un peu Sally de ne pas regarder dans un passé bien trop brûlant, de profiter de cet instant de grâce, un moment magique, inégalable, qui se conclut par une standing ovation bien méritée, un véritable chapeau bas pour être encore là après toutes ces péripéties, et ce n'est pas Pete qui dira le contraire, lui qui va perdre par deux fois son couvre-chef en saluant avec ses compagnons une foule qui est retombée en amour.

Après toutes les crasses et toutes les vicissitudes, les Libertines ne sont plus qu'amour, cidre normand, camembert, chapeau melon et bottes de cuir, et si vous vous dites que tout ça, ça ferait une bonne soirée, laissez-moi vous dire que vous avez effectivement raison.
setlist
    PREGOBLIN
    Non disponible

    TRAMPOLENE
    Non disponible

    THE LIBERTINES
    Vertigo
    Death On The Stairs
    Horror Show
    Time For Heroes
    Boys In The Band
    Radio America
    Up The Bracket
    Tell The King
    The Boy Looked At Johnny
    Begging
    The Good Old Days
    I Get Along
    ---
    Mayday
    What A Waster
    Gunga Din
    You're My Waterloo
    What Katie Did
    The Delaney
    Music When The Lights Go Out
    What Became Of The Likely Lads
    Can't Stand Me Now
    Don't Look Back Into The Sun
photos du concert
    Du même artiste