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La Route du Rock

Saint-Malo, du 13 au 16 août 2015

Live-report rédigé par François Freundlich le 25 août 2015

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Changement de décor après cette première soirée couverte dans la salle de la Nouvelle Vague, la Route du Rock a eu la bonne idée d'arrêter les averses pile pour notre arrivée sur le fort de Saint Père-Marc-en-Poulet. Le temps de sentir sa chair de poule, nous débutons le festival devant la nouvelle scène des Remparts, idéalement placée face à la grande scène du fort. Avouons que cette configuration est parfaite puisque cette dernière est à présent bien plus accessible, on y voit de plus parfaitement.

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Les Californiens de Wand ont la lourde tâche d'entamer les hostilités, sans traîner des pieds. Après une introduction dantesque de plus de dix minutes durant laquelle le batteur aura cassé la peau de sa caisse claire, aucun temps mort n'est prévu pour le quartet de Los Angeles. Leur rock psychédélique à distorsion variable débute sur des dérivations minutieuses avant de s'évader dans une masse sonore épaisse et brutale pour adapter immédiatement nos tympans. Wand reprend d'ailleurs The End de The Doors dès le début du set, ce qui fait encore plus plaisir à ceux qui aime commencer par la fin. Le batteur fou ne fait pas semblant alors que le guitariste à capuche reste dans ses nuages ombragés et délicieux. La voix juvénile semble tenter d'atteindre la surface de l'eau à chaque syllabe, nous maintenant en suffocation permanente. Voilà un concert auquel on ne s'attendait pas, entre les accroches pop d'un Mikal Cronin et les tempêtes punk d'un Ty Segall, la finesse de Wand nous aura fait remuer de l'intérieur à l'extérieur. Si l'on pouvait penser que le groupe aurait pu lâcher d'avantage les chevaux, on aura apprécié cette retenue et cette classe s'évaporant de leurs pores. Like a candle in the Wand.

Pour ouvrir la grande scène du fort, la Route du Rock n'a pas fait les choses à moitié puisque le festival se paye le luxe d'inviter Thurston Moore Band, le guitariste et chanteur des géniaux Sonic Youth dont la présence sur le fort n'a laissé que d'excellents souvenirs depuis dix ans. L'un des pilier du son noise s'avance cheveux ébouriffés, en précisant qu'ils sont un groupe et qu'il n'est pas tout seul. Adeptes des larsens déstructurés et autres ondes vaporeuses et grinçantes Thurston Moore propose un set majoritairement instrumental basé sur les entrelacs de guitares mystérieuses à tendance orientales. Les morceaux sombres et chaotiques reflètent à l'évidence les égarements à la Sonic Youth, insistant sur une unique distorsion et limitant les variations. Lorsque le chanteur s'avance devant son microphone, c'est pour faire résonner sa voix tremblotante au souffle coupé, ressemblant de plus en plus bizarrement à celle de David Bowie. On lui pardonnera d'avoir ses textes écrits en face de lui puisque le concert y gagne en maîtrise, notamment sur l'excellente Forevermore qui nous fera frissonner dès le début du concert. De ce titre aux accents noise-pop, le concert évolue vers un chaos de plus en plus déstructuré, Thurston Moore finissant par brandir sa guitare au dessus de sa tête avant de mimer un acte sexuel sur elle, comme aux plus beaux jours du quartet Gordon, Moore, Ranaldo, Shelley. Le groupe terminera sur un mur du son jouissif de plus de quinze minutes qui laissera une autre empreinte de foudre sur les remparts du fort. Thurston Moore est toujours aussi énervé, rassurons-nous.

La nouvelle génération succédant à l'ancienne, les Californiens de Fuzz sont appelés à enflammer la grande scène avec leur psych-rock explosif et déjanté. Le trio a sorti les peintures de guerre puisque leur maquillage blanc sur rouge à lèvres noir leur donne des airs d'Ozzy Osbourne, voire de Kiss. Ty Segall qui occupe le poste de batteur semble avec ce projet en plein délire hard rock. Une basse furieuse et sombre donne le ton et Fuzz élève le niveau d'un cran, en balançant des morceaux d'une intensité folle qui ravit les vieux de la vieille. Ça transpire dans les solos déchainés, déclenchant même un pogo à la Route du Rock. Oui, un pogo. Charlie Moothart se transforme en guitar hero permanent tandis que Ty Segall se défoule sur ses futs comme un beau diable. Les parties vocales criardes sont assurées par les trois acolytes qui projettent leurs organes gutturaux sur l'assemblée en plein extase. Nous voilà prévenus, on va roter du sang pendant une heure, les chèvres qui broutent en haut des remparts ont fui de peur d'être décapitées. Les assauts rythmiques sont de plus en plus rapides alors que notre nuque tend à se décrocher de sa colonne vertébrale. Le trio a du livrer plus d'énergie qu'une usine marémotrice avec une gravité à faire trembler toute oreille interne qui se respecte. Avec Fuzz, le festival a déjà atteint son point critique, celui où nos artères sont engluées et déjà en manque après chaque titre. Fuzz Yeah.

Après ce trio de départ en trombe, le coup de mou de milieu de soirée va pointer le bout de son nez avec les américains d'Algiers. On ne retiendra pas grand-chose de ce concert à part l'énergie d'un chanteur à la voix tiraillée et maîtrisée, mais s'étendant sur une plage de néant électro r&b down-tempo, comme beaucoup de groupes se complaisant à surfer sur cette vague. La rythmique essoufflée et les assauts de guitares répétitifs ne parviennent pas à faire honneur à l'enthousiasme déployé par le charismatique Franklin James Fisher et son tambourin de feu. Le bassiste est quand à lui un mystere, il se donne pleinement dans des danses tribales plutot tendues. Nous ne parviendrons jamais à entrer dans un concert qui ne décollera pas et restera dans un marasme qui colle à la peau. Nous passons notre tour.

Heureusement, les Canadiens de Timber Timbre sont là pour refaire trembler nos tripes avec leur folk psychédélique en apesanteur porté par la voix sombre et subtile de Taylor Kirk. Le groupe qu'on avait pu admirer dans une chapelle malouine lors de l'édition hiver 2011 du festival, propose cette fois des versions bien plus électriques de ses compositions, ornées d'excitations subites des guitares. Timber Timbre a su adapter ses titres plutôt calmes en version studio, en de vrais hymnes taillés pour les scènes estivales, tout en conservant leur beauté originelle. Nous voilà transportés par ces arrangements parfaits de précision semblant hors du temps et imposant une atmosphère magique sur le fort de St Père. De légères notes de claviers semblent nous télé-transporter dans les grands espaces tandis que de larges et lentes guitares s'emparent de nous, fermant nos yeux et nous laissant la bouche béante. L'instant mélancolique de la soirée a ralenti le temps sur le fort pour nous rappeler qu'on peut aussi tirailler les sens sans forcer sur les décibels, mais avec de simples compositions emplie d'une beauté insouciante.

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Les Irlandais de Girl Band vont pourtant fortement remonter le volume. La violence et la nervosité vont primer lors du court concert de ces foufous au chanteur braillard qui livrent une prestation à faire trembler les remparts, sur la scène du même nom. La mèche au vent, le chanteur titube à l'avant de la scène en éructant le tréfonds de sa gorge tandis qu'une batterie binaire et des guitares foutraques tentent de s'allier pour nous faire voler au dessus d'un nid de coucou. Un titre en particulier retiendra notre attention, cette reprise de Blawan – Why They Hide Their Bodies Under My Garage?, phrase qui sera répétée quelques dizaines de fois, suffisamment pour que notre cerveau la ressorte dans la nuit, pile avant de s'endormir. Ce screamo-free-rock décomplexé à tendance lunatique a implosé comme une supernova dans la nuit malouine.

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Place à l'électro avec les têtes d'affiche de la soirée : le duo de guitar heroes Ratatat et ses installations visuelles déjantées. Les vidéos bizarroïdes se succèdent à l'arrière de la scène, entre danses animalières, explosions de sculptures ou bébés déformés, ce n'est pas la mégalomanie qui manque. Le nom du groupe apparaît en grand au son des tambours tandis que les gladiateurs entrent en scène, faisant parler leurs guitares glissantes, immédiatement reconnaissables et symboles de ce groupe qui reprend des codes du métal ou du hard-rock pour l'injecter dans l'électro. Certains diront que leur son est bien trop lisse et empli de facilité, il n'empêche qu'il est redoutablement dansant et nous fait remuer sans discontinuer. Entre percussions sur matelas, synthés bucoliques, beats down-tempo et boucles de guitares orientales enivrantes, nous prenons une bonne dose d'amphétamines à la sauce Ratatat. Les rayons laser flottants se perdent dans la nuit, on regrette presque d'avoir laissé les lunettes de soleil au garage. Avec des relents de Daft Punk sur vidéos de lions rugissant ou de kitsch à la Muse sur de l'électropéra en forme de BO de jeu vidéo, Ratatat assument tout. Notre plaisir coupable reste ce tube qu'est Wildcat et sa pop malicieuse et ronronnante. A bon chat, bon Ratatat, de quoi faire dresser la Route du Rock sur ses pattes arrières.

La soirée se termine sur les beats du parisien Rone qui ne réussira pas à nous enthousiasmer autant, avec ses quelques synthés poussiéreux, qui lui vaudraient bien le surnom de Jean Michel Jarre du 21ème siècle. Nous restons dans l'expectative et seul la voix de François Marry de Frànçois & The Atlas Mountains parviendra à nous faire lever la tête sur le titre Quitter La Ville. Nous quittons donc la Route du Rock pour rejoindre Saint-Malo.
Malgré des déceptions, ce premier soir a su tenir ses promesses avec de superbes prestations de Fuzz, Timber Timbre ou encore Thurston Moore. La 25ème Route du Rock est lancée, plus rien ne l'arrêtera.
artistes
    Algiers
    Forever Pavot
    Fuzz
    Girl Band
    Ratatat
    Rone
    Thurston Moore Band
    Timber Timbre
    Wand