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Johnny Marr

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 6 octobre 2014

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Rencontrer une de ses idoles reste toujours un évènement incroyable. Avoir été bercé il y a tant d'années par les mélodies d'un guitariste et se retrouver en face de lui pour une petite conversation relève du rêve. Et pourtant en ce lundi ensoleillé, j'ai eu l'honneur et le privilège de discuter avec Johnny Marr, ex-guitariste de feu d'un des groupes les plus cultes de Manchester.

Souriant, simple et passionnant celui-ci explique pourquoi il s'est lancé dans cette carrière solo, raconte la sortie de Playland, ses difficultés à se retrouver sur scène face à un public ultra attentif, sans oublier de revenir brièvement sur ce groupe qui restera à jamais gravé sur sa peau : The Smiths. Retour sur une rencontre vraiment pas comme les autres.

Quand as-tu décidé de te lancer dans cette carrière solo ?

Je dirai que c'est en 2008 que tout a commencé. A l'époque je jouais avec Modest Mouse, et ça se passait plutôt pas mal, mais j'avais envie d'autre chose. Et puis j'avais de nombreuses idées qui me traversaient l'esprit. Je pensais beaucoup à écrire des chansons dont les mélodies appartenaient à mon passé depuis très longtemps. Elles étaient là avant même que les Smiths commencent. Puis j'ai rencontré The Cribs et je les ai rejoints. Ça a été une excellente expérience pour moi, d'autant que j'avais un excellent contact avec les frères Jarman. Malheureusement, vers la fin de l'année 2010, le groupe voulait faire un break et cela ne me convenait pas du tout. Je tenais à continuer à tourner, parce que finalement cela fait partie de moi de me retrouver sur une scène. Alors j'ai pris un peu le temps de réfléchir à ce que j'allais faire pour la suite. Et j'ai décidé que me lancer dans une carrière solo était ce qui pouvait m'arriver de mieux. En 2011, j'ai donc tout fait pour que je puisse atteindre cet objectif. Il me fallait un groupe, et bien sûr des chansons. Mais comme je te le disais initialement, ces chansons et ces mélodies faisaient déjà partie de moi depuis très longtemps et j'avais besoin de revenir vers elles. Pourtant je n'essaye pas de remonter le temps. Je ne suis pas quelqu'un de nostalgique. Il fallait simplement que j'aille au bout de moi-même.

Le chant reste un exercice compliqué pour moi, mais ce n'est pas quelque chose de nouveau.

Malgré cette attente un peu longue pour la sortie de The Messenger, tout s'est donc passé plutôt rapidement ?

En fait oui, tout s'est enchainé rapidement. J'ai commencé à écrire les chansons de The Messenger. Il me fallait également trouver un groupe pour enregistrer le disque et pour envisager la suite, en l'occurrence faire de la scène. La question du chant s'est alors posée. Lorsque le groupe fut formé, on s'est vraiment demandé qui chanterait. Mon groupe a déclaré que ça devait être moi car j'étais celui qui chantait le moins mal ! (Rires). Plus sérieusement, le chant reste un exercice compliqué pour moi, mais ce n'est pas quelque chose de nouveau. Je chantais déjà avec Modest Mouse ainsi que The Cribs. Il fallait juste que je réussisse à me convaincre que ce n'était pas plus compliqué de poser ma voix en première ligne sur mes chansons. C'est ce que j'ai donc fait.

Playland, ton second disque solo, sort un an et demi après The Messenger. Comment fais-tu pour être aussi prolifique ?

Beaucoup de personnes me posent cette question. J'ai beaucoup tourné avec The Messenger, parce que j'aime ça. Et pour moi, être en tournée signifie également composer. Les premières compositions de Playland sont nées pendant la dernière tournée. J'ai beaucoup de mal à rester inactif.


Finalement, pour toi, cette carrière solo c'est un peu une forme de libération ?

Je ne dirais pas ça. Je pense que j'y serais venu un jour ou l'autre, notamment avec ces airs, ces mélodies qui sont en moi depuis tellement longtemps. Tout arrive à point nommé. J'ai besoin de jouer, j'aime mon métier.

Sur Playland, on trouve des chansons très physiques, mais aussi, notamment, ce premier single Easy Money, qui donne envie de danser avec son rythme un peu funky. Te sentais-tu joyeux au moment d'écrire ce titre ?

C'est une question intéressante. Easy Money est une chanson que je qualifierai d'assez commerciale. Une pop song, si on peut l'appeler comme ça. Cette chanson parle du pouvoir de l'argent et est remplie d'ironie. Ce contraste entre le fait de posséder tout cet argent et de l'utiliser à des fins particulièrement stupides. Je veux bien sûr parler de la prostitution, de la luxure, tout ce qui peut sembler accessible lorsque tu n'as qu'à faire fonctionner ta carte bancaire, alors que pendant tout ce temps, il y a ces travailleurs qui sont exploités quotidiennement et qui font tout pour joindre les deux bouts. Je ne voulais surtout pas écrire une chanson en oubliant tous ces gens, car ils sont nombreux, et sans eux que ferait-on ? Mais en définitive, derrière tout ça, on peut se demander qui sont vraiment les plus malheureux.

Je ne pense pas que j'aurai pu chanter ainsi si je n'avais pas pu acquérir une certaine confiance en moi.

Tu sembles prendre de plus en plus d'aisance vocalement. Tu modules davantage ta voix sur le disque. C'est assez flagrant...

Merci. Je crois en effet que petit à petit j'ose davantage. Il faut du courage pour ça et ce n'est pas toujours facile. Par exemple sur This Tension, il y a ce petit poème à la fin du morceau. Je ne pense pas que j'aurai pu chanter ainsi si je n'avais pas pu acquérir une certaine confiance en moi. Le live m'aide à progresser. Il est toujours très impressionnant de se retrouver face à une foule hyper attentive à ce que tu vas jouer. Se concentrer sur le chant, ainsi que sur les mélodies à produire c'est un sacré exercice crois-moi !

Je trouve intéressant que tu mentionnes This Tension qui est ma chanson préférée de ton nouvel album. Pour The Messenger, c'était New Town Velocity, et curieusement ces deux titres se situent exactement en même position sur les deux disques. Attaches-tu de l'importance à l'ordre des chansons ?

(Il réfléchit) C'est vraiment incroyable ce que tu me demandes là ! Je n'y avais jamais pensé auparavant mais pourtant cela fait sens. A la fin de l'enregistrement de The Messenger, tout s'est accéléré. En effet, il restait deux jours à passer en studio et ce n'était pas terminé. New Town Velocity, par exemple, n'était même pas enregistrée, et pourtant c'est devenu la chanson la plus populaire de l'album (rires). Je l'ai bouclée en une journée. Et ensuite il a fallu s'intéresser au tracklisting, à l'ordre dans lequel les chansons devaient apparaître sur l'album. Tout ça s'est fait très rapidement et c'était stressant. Et curieusement ça s'est passé de la même manière pour Playland et pour This Tension! La chanson n'était pas enregistrée en fin des sessions d'enregistrements et il a fallu m'y mettre très rapidement, et au final elle se retrouve exactement à la même position que New Town Velocity sur l'album ! C'est dingue !


De quoi parle-t-elle?

This Tension, c'est un peu une métaphore sur l'existence. C'est l'histoire d'une personne qui finalement se barricade derrière un masque, prétendant être une personne différente de qui elle est vraiment. Et un jour le masque tombe et c'est un véritable effroi pour elle. Tu peux l'imaginer seule étendue sur son lit à la fin de la chanson, récitant ce poème un peu à la Shakespeare, et n'ayant plus aucune protection vis à vis d'elle-même. Car ce qu'à cherché cette personne toute au long de sa vie, c'est de se protéger d'elle-même. Et elle finit par le réaliser et se retrouve totalement désarmée.

Personnellement, c'est certain, je ne me consacrerai plus aux rééditions des Smiths.

Il nous reste très peu de temps, j'aimerai tout de même aborder The Smiths si tu es d'accord. Il y a eu la sortie d'un box set rétrospectif, et il y avait cette idée de sortir des éditions Deluxe de vos albums avec des démos et des raretés. Mais finalement, les inédits se sont retrouvés sur Internet et rien n'est sorti officiellement. Est-ce qu'il reste des choses que l'on ne connaît pas du groupe et peut-on espérer que cela sorte un jour dans le commerce ?

Ce qui s'est passé avec ces rééditions m'a beaucoup fâché. Je me suis beaucoup investi sur ces remasterisations. Le son sur les CDs originaux est tout simplement dégueulasse ! J'ai donc passé huit semaines à retravailler tout ça. Et au final, regarde le résultat ! Tout a fuité sur internet, c'est inadmissible ! Personnellement, c'est certain, je ne m'y consacrerai plus. Si un jour quelque chose ressort, ce sera sans moi. Il reste des petites choses bien sûr mais je ne suis pas certain que ce soit très intéressant de les découvrir. Par contre dans les inédits qui devaient accompagner les remasters il y avait de bonnes choses. Notamment ces instrumentaux. Je les trouve vraiment bons.

Pour conclure, j'aimerais te demander pourquoi The Smiths n'ont jamais joué Well I wonder en live ? Était-ce techniquement trop compliqué?

En effet, c'est une chanson assez compliquée à jouer, techniquement parlant. Mais je pense surtout qu'on manquait de confiance en nous à cette époque et c'est la véritable raison pour laquelle nous ne l'avons pas jouée sur scène . Peut-être que je la jouerai un jour ?

Au Trabendo à Paris en novembre?

Qui sait ?