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Hookworms

Interview publiée par Xavier Ridel le 3 novembre 2014

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Après un album, Pearl Mystic, et un EP éponyme, Hookworms ont eu du mal à sortir de la masse des groupes psychédéliques actuels, et ce pour une simple raison : ils s'en sont toujours tenus à l'écart. Et pourtant, leur mur de son, avant d'arriver aux oreilles des pontes de Domino Records, a percé les tympans d'artistes comme Spectrum, Slowdive ou encore Robin Guthrie. Nous retrouvons MJ, chanteur et claviériste du groupe, dans les locaux de la filiale française de son label. Après une journée d'interviews, l'homme arbore une mine fatiguée. Le débit de parole est rapide, l'accent typique des Anglais du Nord. Le regard, lui, est un peu fuyant, mais suinte la sincérité.

Vous venez de Leeds. A l'instar des Horrors et de Southend-On-Sea, vous sentez-vous inspirés par votre ville d'origine ?

Oui, je vis là-bas depuis onze ans, maintenant, et j'adore ça parce qu'il y a une scène musicale DIY très importante. Et puis nous avons tous joué dans différents groupes locaux, donc cette scène a eu beaucoup d'influence sur nous.

Et y a-t-il une ambiance particulière qui a également pu vous inspirer ?

Oui. Je ne sais pas si tu connais bien la géographie de l'Angleterre, mais Leeds se trouve au Nord. Comme tu le sais, il y a une importante division entre le Nord et le Sud de ce pays. La ville a complètement changé depuis que j'y suis arrivé. Il y a eu une réelle gentrification, les prix ont doublé et c'est devenu une ville très chère. Ainsi, des boutiques de grandes marques ont poussé un peu partout. C'est très étrange.

Je vois. Un peu comme certains quartiers de Londres...

Tout à fait. Toute la culture underground a du coup été repoussée en banlieue. Je suppose que vous connaissez le même phénomène en France.

Je n'ai pas empoigné de guitare avant l'âge de quatorze ans, mais je joue donc des claviers depuis un certain temps.

En partie, oui ! Quand as-tu commencé la musique ?

J'ai toujours été entouré par la musique et les instruments. Mon père en a d'ailleurs fait son travail, c'était un musicien professionnel. Du coup, tout s'est naturellement imposé à moi. Enfant, on ne m'a jamais obligé à jouer, je m'installais devant le piano de la maison, mon père m'apprenait à jouer, ce furent d'ailleurs des moments très heureux. Nous passions ainsi des heures à faire de la musique lorsque j'étais jeune. Je n'ai pas empoigné de guitare avant l'âge de quatorze ans, mais je joue donc des claviers depuis un certain temps.

C'est à ce moment là qu'est né Hookworms ?

Non, ça c'est venu plus tard. J'ai d'abord joué dans de très mauvais groupes de punk, comme chaque gamin à cet âge, puis je suis entré dans des formations qui jouaient de la musique très calme. Je ne sais pas si tu connais un groupe appelé The Microphones, c'était un groupe américain dont la musique était très lénifiante, et j'ai toujours aimé ça. Puis j'ai atterri dans des groupes de garage, avant d'arriver dans Hookworms par accident.

J'ai vu sur Internet que vous travaillez tous en dehors de la musique, que vous avez des boulots en parallèle. N'est-ce pas difficile de concilier les deux ?

Et bien, nous sommes habitués à tout cela désormais. Nous faisons ça depuis cinq ans et la première année, nous ne bossions pas du tout sur nos chansons. On répétait de temps en temps, mais sans plus, c'était simplement un hobby. C'est seulement en 2014 que les choses ont commencé à devenir étranges (rires). Nous avons réalisé que nous étions un véritable groupe, avons signé avec Domino Records, qui est quand même un très grand label, avons commencé à faire de belles dates, etc... Aujourd'hui, nous répétons et écrivons chaque semaine et parfois chaque soir. J'ai un studio dans ma maison, ce qui facilite les choses au niveau du temps, mais aussi de l'argent. Et puis, nous avons tous un boulot qui nous importe. L'un de nous travaille dans l'humanitaire, un autre est professeur à l'université, un autre travaille avec des enfants sourds... Nous nous sentons donc bien avec ces deux activités, que nous réussissons pour l'instant bien à concilier. Et je pense que jamais je ne quitterai mon travail.


Et pensez-vous que vos jobs inspirent votre musique ?

Oui, bien sur. Tu vois, comme je te l'ai déjà dit, j'aime beaucoup mon travail. Mais ma réelle passion, c'est la musique. Et cette dernière permet de s'évader un peu du quotidien, quand tu joues sur scène, pendant au moins un quart d'heure, tu peux te comporter comme un connard, ce qui est somme toute libérateur (rires). J'en ai récemment parlé avec un ami d'un groupe anglais très connu. Il tourne et enregistre beaucoup, a en conséquence fait de la musique sa vie. Il me disait la dernière fois qu'il avait besoin d'une nouvelle occupation, il était complètement perdu puisque son hobby était devenu son boulot.

Tu es en quelques sortes confronté à la vie réelle...

Exactement, et de cette confrontation découle un besoin, celui de s'évader.

En parlant de s'évader du monde réel, que penses-tu donc du revival psychédélique de ces dernières années ?

En premier lieu, je tiens à préciser que nous ne faisons pas réellement partie de cette scène. Nous nous en tenons un peu éloignés, mais je vois pourquoi Hookworms est ainsi catalogué puisque la musique psychédélique est une de nos grandes influences. Néanmoins, toute cette affaire est également une histoire de look, les chemises Paisley, les cheveux longs, autant de choses qui ne m'intéressent guère. J'aime beaucoup tous ces groupes, je suis en particulier fan du premier album de Tame Impala ou de Thee Oh Sees. Je comprends donc cette affiliation, mais nous nous sentons un peu à l'écart de tout ça, nous considérant surtout comme un groupe de noise rock.

C'est également à cause des effets que vous utilisez. La fuzz, le trémolo...

Bien sûr. La découverte de Spacemen 3 a également eu beaucoup d'impact sur nous. Nous avons d'ailleurs joué avec Spectrum il y a de ça quelques années. C'était vraiment une belle expérience.

Je veux bien le croire ! Votre premier album, Pearl Mystic, comportait des chansons assez douces et lénifiantes, l'influence des Spacemen 3 était justement palpable. Excepté le titre Off Screen, sur The Hum, l'atmosphère est beaucoup plus rageuse, presque violente. Pourquoi ce changement ?

Je pense que si nous avons fait une erreur sur Pearl Mystic, c'est celle-ci : nous avons fait un album studio avant de faire un album live. La plupart de nos chansons étaient impossibles à jouer en live puisque nous avions ajouté des tas d'instruments, avions beaucoup travaillé sur les textures et ainsi de suite. Après l'enregistrement de notre premier opus, nous en étions très contents, nous le sommes d'ailleurs toujours. Mais les chansons se sont avérées trop calmes, trop travaillées pour être jouées en live. Je n'aime pas trop le concept de scission entre un groupe de studio et un groupe de scène. Sur The Hum, nous avons essayé de faire en sorte que les deux notions se fondent ensemble. Je pense que nous allons commencer à jouer Off Screen en concert, nous l'avons beaucoup travaillée puisque nous n'avons jamais interprété de chansons calmes en concert. En outre, je souhaitais que cet opus soit un véritable album. Chaque chanson composée trouvait ainsi sa place en fonction de la date de sa composition. Ainsi, The Impasse s'est trouvée être le premier titre, On Leaving le second, et ainsi de suite.

Le gros problème de la plupart des groupes que j'enregistre, notamment les jeunes, c'est que chacun veut être entendu.

Le mur de son que vous créez sur cet album est impressionnant de par sa puissance. Comment vous y êtes vous pris, avez-vous travaillé cela ou est-ce juste instinctif ?

Je pense qu'il y a les deux choses ! Notre façon de jouer ensemble maintenant est très constructive. Chacun connait sa place dans Hookworms et je crois que le propre d'un bon groupe, c'est que ses membres doivent savoir s'effacer. Le gros problème de la plupart des groupes que j'enregistre, notamment les jeunes, c'est que chacun veut être entendu. Parfois, JW ne joue que deux accords et les répète pendant dix minutes. Il s'en fout et adore ça, tant que ça reste au service de la musique. Il en va de même pour la batterie et la basse. Ça marche vraiment bien, puisqu'il n'y a ainsi aucune bataille d'égo. Pareillement pour les claviers, je peux me lâcher de temps à autres, mais la plupart du temps je reste sur la même note. C'est aussi cela qui crée cette atmosphère psychédélique.

Je suppose donc que vous étiez amis avant Hookworms ?

Amis de longue date oui.

C'est aussi toi qui produit et mixe les albums. Je suppose que ce mixage a quelque chose à voir avec ce mur de son ?

Tout à fait. Ma technique, si j'ose dire, consiste en fait à mixer toutes les fréquences pour obtenir ensuite un bloc de de pistes compact. Même s'il est ainsi difficile d'identifier chaque son, chaque instrument, un mur de son est rapidement créé.

Ta voix, sur cet album, est beaucoup plus brutale qu'auparavant. Même si les mélodies restent présentes, tu n'hésites plus à te libérer et à crier...

Me libérer, c'est exactement ça. Je suis bien plus en osmose avec ma voix qu'auparavant. Sur notre EP et sur Pearl Mystic, je n'osais pas totalement chanter. C'est pourquoi je noyais ma voix dans l'écho. Plus jeune, j'ai joué dans un groupe de hardcore, j'avais donc l'habitude de crier (rires). Mais à la différence de Hookworms, j'étais à la guitare, ce qui me permettait de bouger sur scène. Lorsque je suis derrière mon clavier, je suis obligé de rester immobile, ça ne facilite pas les choses. Mais effectivement on peut dire que le masque a fini par tomber.

Je vous ai découvert en première partie de Loop et Slowdive. C'était un concert vraiment intense. Travaillez-vous vos prestations scéniques ou est-ce que tout vient naturellement, à l'instinct ?

Ah, c'était un moment génial! Et oui, il parait que nos concerts sont très intenses. Mais tout vient naturellement. Nous jouons, tout simplement. Et je sais que les premières fois que certaines personnes nous voient, elles en ressortent presque effrayées. Puis, quand elles nous rencontrent, la surprise n'en est que plus grande. Comme tu peux le constater, je suis, comme tous les membres d'Hookworms d'ailleurs, quelqu'un de très calme. Je suis tout sauf une grande gueule. Les concerts sont de véritables exutoires. Le fait de retourner au boulot les jours suivants, de replonger dans la routine, ne fait que rendre ces moments plus précieux.

Vous semblez apprécier les albums avec neuf chansons, six chantées et trois instrumentales, qui sont comme des moments d'accalmie au sein de l'opus. Pourquoi ?

Quand j'écoute certains albums, je me dis parfois que le groupe ou l'artiste aurait du retravailler l'ordre de ses chansons, les transitions, etc... Je travaille ainsi beaucoup là-dessus, je veux que l'écoute de chaque album coule de source, que les chansons se suivent parfaitement. En outre, je sais que certains groupes se mettent la pression pour leur second album, se disent qu'il faut faire quelque chose de différent du premier. Nous n'étions pas dans cette optique là. Même si je pense que The Hum diffère de Pearl Mystic, nous avons gardé une certaine ligne conductrice, et ça reste un album de Hookworms.


Que représente le contraste entre un graphisme hypnotique et le dessin de mâchoire sur la pochette de l'album ?

Je suis désolé de ne pouvoir te répondre là-dessus, mais c'est le guitariste, JW, qui fait l'artwork de chaque pochette. Si j'essayais de t'expliquer la chose, j'aurais peur de dire une contre-vérité. Mais je tiens tout de même à dire qu'à mon sens, c'est un très bon artiste.

Était-ce impressionnant de jouer avec des groupes tels que Loop, Slowdive ou Spectrum ?

Évidemment, oui. Je sais que ça sonne très cliché mais nous n'étions qu'une bande de cinq potes qui voulaient faire de la musique ensemble pour s'amuser. On s'est retrouvé à jouer avec des gens dont les visages tapissaient les murs de nos chambres d'adolescents (rires). C'était assez impressionnant, et très enrichissant d'ailleurs. Slowdive nous ont d'ailleurs demandé de tourner avec eux, ce que nous ferons dès que possible.

Quelle est votre façon d'écrire ?

Tout se passe plus ou moins comme chez les autres groupes. L'un d'entre nous arrive avec une idée de riff, et on brode là-dessus. Nous pouvons également improviser pendant deux heures, garder un bout du morceau qui dure une minute et en faire une chanson. Cette notion de jam s'est avérée être encore plus importante pour The Hum puisque, comme je te l'ai expliqué, nous étions obsédés par la volonté d'enregistrer un album live.

Quant aux paroles, quelle est ta manière de les écrire ?

Elles viennent toujours après la musique. J'essaye d'écrire dans mon carnet toutes les idées qui me viennent, et je finis par en faire une chanson. Je sais que les paroles sont difficiles à saisir, en particulier dans ce nouvel album. Inconsciemment, je crois que je me suis remis à porter un masque (sourire).

As-tu des influences littéraires ?

Oui. J'aime beaucoup la littérature dite minimaliste, Raymond Craver, Richard Ford, qui est un de mes auteurs préférés, ou Larry Brown. Leur façon de décrire le monde tel qu'il est, sans artifices, ce « réalisme sale » m'inspire énormément.