Eugene McGuinness

On a souvent tendance à qualifier le troisième album d'un artiste de disque de la maturité. Eugene McGuiness ne vient pas faire exception à cette règle.

Si on l'avait connu, en 2009, jeune et agité au travers d'une pop cinématographique et unique en son genre dans un premier effort éponyme (et même dans son plus confidentiel The Early Learnings Of Eugene McGuinness EP en 2007), beaucoup de choses ont changé. Après une seconde aventure aux côtés de The Lizards durant laquelle l'écriture incisive du liverpuldien d'adoption semblait pour le moins hantée, après avoir accompagné son comparse Miles Kane en tournée pour l'assister de son jeu de guitare, il nous revient plus mûr, en bon nouveau crooner de la brit-pop de nos jours.
L'évolution nous avait été annoncée. Une reprise du Blue Jeans de Lana Del Rey aussi délicate que celle ayant servi de teaser à ce nouvel album, et dont le clip montre le charisme jusqu'ici resté assez peu connu du songwriter, n'avait pour but que de lancer l'engouement des foules britanniques pour l'homme dont le troisième effort pourrait finir au sommet des charts du Royaume-Uni cette année. Car The Invitation To The Voyage a bel et bien le potentiel d'un grand album pop.

Ouvert sur le single volontairement cheap Harlequinade, au clip amusant de par son ironie, on comprend bien vite que ce nouvel effort est celui qui étendra la réputation d'Eugene au-delà des grands connaisseurs du label Domino Records et le révèlera au plus grand nombre. Le liverpuldien n'a pas pour autant choisi la facilité et n'a en aucun cas trahi sa nature de compositeur agité et probablement cinéphile.
Le remarquable tube Sugarplum fera certainement le bonheur des ondes radiophoniques, à juste titre. Difficile de se décoller son refrain de la tête après quelque écoute que ce soit, et notamment la première. Électriques et originaux, les arrangements de cette invitation au voyage frappent par leur modernité et leur efficacité. Entre samples, synthétiseurs, et beats percutants, Eugene emmène la britpop loin du schéma classique et du surexploité guitare-basse-batterie.

Dans la forme comme dans le fond, le britannique dépasse ses pairs. Passés deux premiers titres très accessibles sans relever pour autant d'une certaine facilité d'écriture, le britannique balaie ses terrains de prédilections que sont le rockabilly psychotique (Lion) et les balades délavées à demi lo-fi où s'extasie sa voix de crooner (Concrete Moon, Videogame) qui firent tous deux le charme de son album éponyme.
Astucieux et à l'ambition débordante, Eugene McGuiness prend même le temps de revisiter un classique : le Murder Weapon du jamaïcain Echo Minott. Si son partenaire de label Tricky le fit en 2010 de façon dispensable, le liverpuldien réussit l'exercice tout en subtilité, parvenant même à rendre supportable le trop entendu riff originel.

S'il est globalement réussi dans sa totalité, c'est toutefois en conclusion que The Invitation To The Voyage nous touche véritablement. Unique, Thunderbolt mixe l'ensemble des ambiances familières au jeune prodige dans une mécanique progressive, dont la composition orchestrale est des plus riches. Remarquable.
Et que dire de The Invitation To Voyage, si ce n'est que sa délicate mélancolie ne peut qu'évader son auditeur, forcément séduit ? Certes, Joshua est moins perspicace mais sa simplicité naïve a son charme. Japanese Cars, tube hanté et psychédélique, succède à ce dernier. Un temps déroutant, sa finesse d'écriture et ses arrangements pour le moins hypnotiques font son caractère unique et le rendent, au fil des écoutes, tout bonnement jouissif.

Divers et cohérent, ce troisième album est clairement le meilleur d'Eugene McGuiness à ce jour. Sans se trahir, le talentueux compositeur livre ici l'un des grands disques pop britanniques de l'année, faisant varier les ambiances et la forme dans une cohérence remarquable. S'il fut jusqu'à présent peu compris et trop peu encensé, The Invitation To The Voyage pourrait bien propulser son auteur sur le devant de la scène et lui apporter la considération qu'il mérite. Remarquable est ce nouveau classique de la pop anglaise.