Young Knives

Les Young Knives sortent encore une fois des sentiers battus. Il ne leur suffisait plus de produire un post-punk/noise pop underground et brut de décoffrage, il leur fallait maintenant la concevoir dans des conditions véritablement underground. 12000 livres sterling réunies par crowdfunding, synthétiseurs d'occasion, voire construits à la hâte avec des circuits imprimés et un fer à souder, applications pour smartphone faisant office de piano... Ils ont été jusqu'à concevoir leurs propres pédales, offrir des places de concert à ceux qui le financeraient, et proposer la possibilité d'avoir sa photo dans la pochette du vinyle... Ayant également créé leur propre label, les Anglais sont en totale roue libre, auto-entrepreneurs insoumis qui ne veulent rien voir entre eux et leur public. C'est annoncé, le quatrième album des Young Knives, Sick Octave, sera fait de bric et de broc, symbole d'un pied de nez assumé à l'industrie musicale qui, selon eux, coûte cher et rapporte souvent peu. L'occasion de s'échapper du carcan commercial qui fait tout sonner de la même façon une fois la percée accomplie.

L'image noire et humoristique du quatuor du Leicestershire est toujours bien présente ; fans d'une esthétique new wave entre Gang Of Four et Joy Division, ils nous déballent encore un ovni grinçant et dissonant. Oppression (Owls Of Athens), veloutés moelleux (We Could Be Blood), le groupe nous sème vite dans le taillis. Pour une production Do It Yourself réalisée dans un garage, force est d'admettre que l'on n'y voit que du feu. Souvent lourd, à la pesanteur distordue, l'album propose parfois des incursions du côté d'un math-rock dansant aux entournures (Something Awful), d'atmosphères évidées peuplées de rares soubresauts électroniques (Preset Columns/Defaults Comets) et parfois d'une grandiloquence qui les rapproche de leurs confrères d'outre-Atlantique Grizzly Bear (Bella Bella et ses incantations instillées à tue-tête).

Le groupe ne fait toujours aucune concession par rapport à la spontanéité qui les a caractérisés depuis 2002 : semés dès la première piste, quarante-huit minutes ne nous suffiront jamais à les rattraper, la formation nous a pris en otages dans un labyrinthe d'apprenti sorcier. Dartnall chante sur Marble Maze et Green Island Red Raw avec cette frénésie délurée si anglaise qui avait déjà projeté les Buzzcocks en d'autres temps. Si la première est à peu près cadrée par une batterie martiale qui sait où elle va, sur la seconde le déluge de cymbales recouvre une guitare brouillonne qui essaye quand elle le souhaite de suivre le chant sur les couplets, avant de le laisser exploser sur le refrain. Et tout s'arrête soudain pour laisser une ligne de basse à la limite de la blague tenter de créer un lien avec la fin du morceau. La prise de risque est permanente.
En fin de disque, le quartet offre une Bed Warmer qui s'avère être une magnifique réussite sombre et bruyante, à la beauté cacophonique et au refrain enjôleur. Maureen conclut l'album dans un relatif apaisement, où les voix calmes des frères Dartnall surplombent une instrumentation lancinante marquée par un bidouillage de potentiomètre de ce qui doit être le fameux synthétiseur fait maison. Le morceau est d'ailleurs accompagné d'un clip plutôt fou.

Les Young Knives ont sans doute eu raison de s'en remettre à un business model innovant, leur esthétique sonore a tout à y gagner, notamment en termes de personnalité. Tout n'est pas forcément indispensable – White Sands et All Tied Up peuvent vite agacer – mais ce disque est une réelle prise de risque plutôt convaincante qui affirme la volonté d'exploration du groupe qui refuse toujours d'entrer dans un quelconque giron.