Malachai

A l'heure de la mondialisation, il est des lieux qui véhiculent encore leur lot d'idéalisation artistique. Ainsi, chroniquer l'album d'un groupe originaire de Bristol évoque irrésistiblement pour le mélomane quelque peu cultivé les noms de Massive Attack ou Portishead. Et lorsque cet artiste a été découvert par l'une de ces personnalités de la planète trip-hop, en l'occurrence Geoff Barrow, nul besoin de préciser que l'attente est grande !

Le duo Malachai, composé du chanteur Gee Early et du DJ Scott Hendy (connu aussi sous le nom de Boca45), a ainsi dû lutter depuis son premier opus Ugly Side Of Love en 2009 contre ce lourd fardeau d'excellence lié à ses origines. D'autant que la voie du sampling qu'il emprunte depuis incite inconsciemment à comparer chacun de ses efforts à ces idoles des temps modernes. Si la critique fut unanime pour acclamer ce premier LP et saluer son successeur Return Of The Ugly en 2011, il n'en est pas de même pour cet ultime album, dernier chapitre d'une prétendue trilogie dont le facteur commun réside essentiellement dans l'utilisation récurrente du mot « ugly » dans ses titres. Au-delà, chaque album possède son identité propre et tend à nier cette pseudo unité. Beyond Ugly signe toutefois bel et bien une fin : celle d'une collaboration essoufflée qui a pourtant réuni ses ultimes forces afin d'offrir à ses fans un dernier chapitre et de clore cette aventure musicale et humaine.

Voici donc un album qu'il serait facile de sous-estimer, de par son histoire, mais également par la difficulté à l'appréhender en une simple écoute. Le son rugueux et abrupt de Malachai est ici promptement distillé au travers de douze titres très hétéroclites, jouant aux montagnes russes avec les nerfs de l'auditeur : le très punchy Sweet flowers qui ouvre le bal, laisse ensuite la place à l'étrange swing de Don't Try This At Home, au linéaire Dragons Ball, aux guitares et à la rythmique deep de Holes et à la ritournelle légère voire insipide de Here It Comes.
En ce milieu de parcours intervient alors le petit joyau de l'album, I Deserve To No. Le choix des samples, cloches et percussions se frottant au bourdon du violon et des envolées de flûtes hindous, le chant d'Ealy entre plainte et rage, tous les ingrédients sont réunis pour en faire un des meilleurs titres de cette année 2014. S'en suit l'interlude instrumental White Nuthin' Sky, The Love sur lequel Sergio Pizzorino (Kasabian) vient prêter sa voix, le groovy et entêtant Army, puis Dark Before The Dawn, hommage à la sauce Malachai à ce fameux trip-hop bristolien. Vient enfin End, conclusion psychédélique tout en douceur et en étrangeté, laissant le dernier mot à Down To Earth, ultime référence à cette énergie bizarroïde qui a tant séduit lors de la carrière somme toute assez courte du duo.

Au final, il est difficile de juger ce dernier volet sans se référer à ses prédécesseurs : certes il n'est pas une porte d'entrée évidente dans l'univers des Bristoliens et demanderait à être écouté à la suite des premiers volets. Mais il est le témoin d'un choix artistique dûment assumé d'album en album et allant à l'encontre des productions ultra léchées plébiscitées de nos jours. A l'exception de petites touches multiples qui prouvent que Beyond Ugly a bel et bien été enregistré de nos jours, une écoute rapide pourrait laisser penser qu'il s'agit là de bandes des années 90 retrouvées dans les fonds de tiroirs d'un obscur studio désaffecté. Et si cet album divisera nécessairement sur le fond comme sur la forme les amateurs de musiques actuelles, on ne saurait trop vous recommander de jeter une oreille attentive sur cet étrange objet discographique.