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Rolo Tomassi

Grievances

Rolo Tomassi - Grievances
Chronique Album
Date de sortie : 01.06.2015
Label : Holy Roar Records
4
Rédigé par Hugues Saby, le 16 juin 2015
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Méfiez-vous des apparences. C'est sans doute le meilleur conseil que je puisse donner à ceux d'entre vous qui ne connaissent pas Rolo Tomassi. Si c'est votre cas, googlez donc Eva Spence, la lead singer de cet excellent groupe. C'est fait ? Maintenant jouez le premier morceau de Grievances, leur dernier album en date. Surprise ! Eh ouais les mecs, le rock n'est pas qu'une sombre affaire de testostérone. En clair : on peut porter des jupes et des collants, avoir un joli maquillage et une belle coupe au carré et renvoyer un bon paquet d'attardés barbus et baraqués ravaler leurs clichés sur le genre dans ce qu'ils croyaient encore être leur pré carré. Vous voilà donc avertis : Rolo Tomassi est un groupe hardcore bien trempé emmené par une charmante jeune femme. C'est assez rare pour se réjouir hautement.

Accessoirement, le quintet de Stocksbridge, outre le fait d'avoir choisi un nom génialissime, produit une musique parmi les plus qualitatives et exaltantes du circuit. S'il est essentiel de rendre à Eva ce qui est à Eva, on aurait pourtant tort de lui en attribuer tout le mérite. Car cela aussi ce serait du sexisme mal placé : occulter les quatre autres parce qu'une femme est sur le devant de la scène. Or, c'est aussi derrière que ça se passe, et Grievances en est un exemple confondant. Il est en effet le deuxième album de groupe sous sa nouvelle incarnation. Fin 2011, le bassiste Joseph Thorpe et le guitariste Joe Nicholson en partaient pour raisons personnelles diverses (quitter une formation noise en plein essor pour passer un diplôme de chimie, ben quoi ?). Après un troisième album remarqué (Astraea, sorti en septembre 2012), c'est au tour du batteur Edward Dutton de partir, ne laissant plus du noyau dur originel que James et Eva Spence, les deux hurleurs en chef. Il cède la place à Tom Pitts, et c'est là que ça commence à devenir intéressant.

Parce qu'en conséquence, techniquement, Grievances est le premier album de la formation actuelle. Si l'arrivée de sang neuf leur avait déjà fait le plus grand bien, amenant une respiration atmosphérique et une ampleur spectaculaire à une musique encore trop engluée dans son amour pour At The Drive-In –bien que déjà aguichante et largement au-dessus de la concurrence-, c'est l'arrivée de Pitts qui fait s'envoler l'ensemble vers des cimes plus altière encore. Ce nouveau souffle est perceptible aux premiers roulements de toms qui nous cueillent sauvagement dès le premier morceau, Estranged. Les influences premières sont toujours bien présentes, notamment dans cette manière si particulière de hacher la composition et d'alterner des passages épileptiques avec de longues plages plus lentes et lyriques. Les ouragans vocaux des sorciers Spence sont toujours aussi féroces, mais la technique a progressé, les effets sont plus variés. Les moments de calme portés par l'organe brièvement mais divinement harmonieux de la chanteuse sont sublimes, se jouant sans cesse des limites avec une grandiloquence maladroite sans jamais y sombrer.

De nouvelles influences font une apparition marquée, notamment Deftones dans la manière de plaquer des accords avec une puissance folle qui éclate l'espace pour laisser place aux échos de notre propre rêverie. Les synthés sont utilisés avec parcimonie (sur certains titres, ils évoquent Radiohead), et leur effet n'en est que renforcé, comme à la fin de Funereal, sans hésiter le joyau de cet album. Et puis, bien sûr, cette batterie stratosphérique, surpuissante, tonitruante, tout droit sortie des profondeurs infernales.

Vous l'aurez compris, ce disque a de la gueule. Il n'est pas évident de vraiment définir la musique de Rolo Tomassi sans tomber dans les poncifs habituels. On vous dira certainement que c'est du mathcore. Mouais. Comme si par définition le genre était fait pour les benêts, et que maîtriser un minimum le solfège devait justifier l'invention d'un nouveau terme musical. Comme si les mélomanes avertis ou les musiciens pointus n'avaient pas leur place ici. Ils y sont pourtant aussi légitimes qu'une femme sur une scène punk ou métal. Le terme générique de hardcore me paraît suffisant pour vous aiguiller (et je n'ai jamais eu suffisamment de temps libre pour réussir à comprendre la différence entre les milliards de genres se terminant par core).
Si vous aimez ce type de musique, alors vous ne serez pas déçu. C'est musicalement très bien foutu, et ça vous dérouille sans être une agression gratuite. Grievances n'est pas exempt de quelques inutiles (mais brefs) moments d'égarement, à l'image de Prelude III (phantoms), Crystal Cascades et Chandelier Shiver qui s'aventurent sur un territoire piano/cordes dont l'intimité est un peu vaine, ou bien de Unseen and Unknown et son solo de guitare grunge Far West (et encore, ne sont-ce pas aussi ces tentatives répétées de variété dans la composition qui permettent au groupe de sortir du lot et qui forgent son identité disque après disque?).

Pour le reste, le disque est d'une qualité et d'une intensité rarement égalées. Même Kevin Spacey ne s'en est pas remis.
tracklisting
    01. Estranged
  • 02. Raumdeuter
  • 03. The Embers
  • 04. Prelude III (Phantoms)
  • 05. Opalescent
  • 06. Unseen and Unknown
  • 07. Stage Knives
  • 08. Crystal Cascades
  • 09. Chandelier Shiver
  • 10. Funereal
  • 11. All That Has Gone Before
titres conseillés
    Raumdeuter, Stage Knives, Funereal
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