Mogwai

Putain, 20 ans déjà.

On pourrait dire de Central Belters que c'est une encyclopédie. Et on se tromperait, car en vérité, s'il s'agit bien d'un livre, qui s'écoute bien sûr, le présent objet tient plus du solide roman. Il y a un début, une fin, et plein de choses entre les deux. On discerne sans mal une histoire, une intrigue. On peut parler d'évolution, celle d'un groupe qui, depuis deux décennies déjà, livre à qui le veut sa vision de la musique et ne s'est sans doute jamais trop posé de questions sur le pourquoi du comment. Il existe un « style Mogwai », certes, mais les frontières qui le délimitent ont eu le temps de s'émanciper, tout en douceur, au gré de rencontres, de décisions, d'opportunités. Il n'y a rien de plus constant que le changement, et on ne peut rester le même des années durant. Mais face à la frénésie de notre monde, le groupe écossais a opté pour la médecine douce, avançant petit pas après petit pas. C'est peut être ça leur véritable force, la raison de leur étonnante longévité : avoir compris qu'ils ne pouvaient pas rester immobiles face à l'immuable, avoir pris note de cette fatalité, et avoir maintenu un équilibre venu d'ailleurs, entre deux temporalités bien différentes.

On pourrait attendre de Central Belters qu'il nous réserve bien des surprises. Et on se tromperait, car là n'a jamais été son but. A l'Ouest finalement, rien de nouveau. Ce dont on parle ici, c'est d'une célébration, d'une fête, de la mise en avant d'une carrière incroyable. On pourrait y voir un manque de modestie. Et on se tromperait, lourdement même, car s'il s'agit en fait de prendre du recul, et de communier dans le même temps. Seuls celles et ceux qui ont compté ont reçu leur carton d'invitation, réunis aujourd'hui en un même lieu et en un même temps. Bien sûr, ils ont tous répondu présent. Il y les rêveurs, Helicon 1 et 2 Rights Make 1 Wrong, mais aussi le fougueux Batcat. Par là, il y a le tragique I'm Jim Morrison, I'm Dead, et le jubilatoire My Father My King, pièce impétueuse de plus de vingt minutes qui ne semble exister que pour assurer à nos tympans un plaisir infini. Et puis, il y a les auditeurs, bien sûr. Les vieux compagnons de route comme les nouveaux venus. Il y a de la place pour toutes les paires d'oreilles chez Mogwai. De loin, on aurait pu croire que Central Belters était une stèle. Et on se tromperait, car la vérité est plus belle encore. C'est une étape sur une route qui ne semble jamais vouloir finir.

On pourrait voir en Central Belters un grand et beau film. Et on se tromperait, car si la musique de Mogwai rappelle volontiers l'odeur des salles obscures, on n'aurait pas assez d'un seul long-métrage pour exprimer tout ce que le groupe a extériorisé pendant vingt ans. Ne serait-ce que parce la formation écossaise, si elle a toujours privilégié le cinéma muet, n'a jamais caché son amour pour les mots et les lignes de dialogues (CODY, Mexican Grand Prix, Take Me Somewhere Nice, Teenage Exorcists). La musique de Mogwai s'écoute, mais elle se voit tout autant. A force d'accouplements, cordes, cuivres, percussions, nappes synthétiques, pads et autres switchs font naître des images qui nous passent devant les yeux à une vitesse folle, mais s'impriment dans notre rétine pour ne plus s'en décoller. Il y a de l'effervescence éventuellement, de la délicatesse souvent, et si on se prend de temps à autre à verser une larme tiède (Tell Everyone That I Love Them), c'est pour mieux déverser des litres de sueur par ailleurs (Remurdered). Si le post-rock de Mogwai est si flamboyant, c'est qu'il est diaboliquement complet et plus complexe qu'il n'y parait parfois.

Merci. Et, s'il vous plait : encore.