Forts de 30 ans de carrière, Mogwai reviennent en 2025 avec un onzième album, The Bad Fire. C'est par une météo presque typiquement écossaise que nous avons eu l'opportunité d'échanger avec Stuart Braithwaite, guitariste-chanteur et leader du groupe. Il a notamment évoqué pour nous les conditions d’écriture et d'enregistrement particulières du disque, mais aussi parlé de Syd Barrett, de son amitié avec Robert Smithn sans oublier la future participation de son groupe à un festival de métal en France. Retour sur cette rencontre.
Pourquoi avoir choisi l'Écosse pour enregistrer The Bad Fire ?
La fille de Barry (ndlr : Barry Burns, guitariste et claviériste de Mogwai) était malade. Elle a dû subir une greffe de cellules souches et était à l'hôpital. Barry devait donc rester à ses côtés. Même si elle allait déjà un peu mieux, il devait continuer à être présent pour s'occuper d'elle. Nous avons donc décidé qu'il serait plus logique d'enregistrer près de chez lui, afin qu'il puisse rentrer chaque soir.
Le fait que sa fille était malade a-t-il influencé l'écriture ou l'enregistrement de l'album ?
L'ambiance en studio était bonne, mais le processus pour tout organiser a été plus compliqué. Barry n'a pas pu participer pendant un bon moment. Il nous a rejoints plus tard dans le processus. Une fois que sa fille s'est sentie mieux, il a pu revenir, commencer à écrire et jouer. Quand nous sommes enfin entrés en studio, tout le monde était vraiment motivé à l'idée de créer un nouvel album.
Et comment va-t-elle aujourd'hui ?
Elle va beaucoup mieux. Elle avait perdu ses cheveux à cause de la chimiothérapie, mais ils ont repoussé. Maintenant, elle a de belles boucles.
Quel âge a-t-elle ?
Elle est encore toute petite, elle n'a que deux ans.
C'est vraiment terrible, mais je suis heureux d'apprendre qu'elle va mieux. Tu m'avais dit que le titre de votre précédent album, As The Love Continues, venait d'une phrase de la fille de Martin (ndlr : Martin Bulloch, batteur de Mogwai). Cette fois, c'est la fille de Barry. On dirait que les enfants des membres du groupe ont une grande influence sur Mogwai ?
Absolument. Par exemple, Lion Rumpus est une expression que le fils de Martin a inventée. Et l'autre fille de Barry a écrit les paroles de God Gets You Back. Donc oui, on s'inspire beaucoup des choses que disent nos enfants.
Vous célébrez cette année le trentième anniversaire de Mogwai. Auriez-vous imaginé, à vos débuts, que vos enfants auraient une telle influence sur votre musique ?
Honnêtement, je n'aurais jamais imaginé que l'un d'entre nous ait des enfants un jour, surtout parce que nous étions presque des enfants nous-mêmes à l'époque. Mais c'est vraiment agréable. C'est beau de voir nos familles s'agrandir et d'observer cette influence sur notre travail.
Quand As The Love Continues est devenu numéro un des charts au Royaume-Uni, comment avez-vous réagi ? Cela a-t-il créé une certaine pression pour The Bad Fire ?
Pour être honnête, je n'ai pas ressenti de pression. Au contraire, ça nous a donné beaucoup de confiance. Je me disais "Les gens ont aimé le dernier album, alors ils aimeront probablement celui-ci aussi". C'était plus un boost de confiance qu'une source de stress.
Comment avez-vous abordé l'écriture et l'enregistrement cette fois-ci ? La situation de la fille de Barry et les émotions qu'elle a suscitées ont-elles influencé le processus ? Était-ce très différent de celui de votre précédent album ?
Oui, il y a eu pas mal de différences. Pour le disque précédent, à cause de la pandémie, nous avions beaucoup plus de temps et nous avons travaillé avec un producteur basé sur un autre continent. Cette fois-ci, le contexte était totalement différent : Barry a rejoint le processus tardivement à cause de la situation avec sa fille, et nous avons collaboré avec un autre producteur. Tout s'est fait beaucoup plus vite. Mais cette contrainte a apporté une belle énergie en studio, qui se ressent dans l'album.
Donc, pas de Dave Friedmann cette fois-ci ?
Non, Dave n'aime pas voyager. Il est très fier de ne pas avoir pris l'avion depuis vingt ans. Je pense qu'il apprécie simplement de rester chez lui. Peut-être qu'il n'aime pas voyager du tout, je ne sais pas vraiment. Tout ce que je sais, c'est qu'il refuse de prendre l'avion.
Comment s'est passée la collaboration avec le producteur de ce disque, John Congleton ?
Très bien ! John est un type sympa et vraiment drôle. Je le connaissais un peu avant, nous nous étions rencontrés à Los Angeles, où il vit. Il connaît beaucoup de nos amis, et on a des points communs : il a le même âge que nous et a aussi commencé dans des groupes punk. C'était une excellente combinaison, tout s'est fait naturellement.
L'album commence par God Gets You Back. Est-ce un clin d'œil au groupe Ride ? Parce qu'après la longue intro électronique, ce morceau me fait vraiment penser à eux...
C'est possible, oui. On adore Ride. Ils sont une grande source d'inspiration, et ce sont aussi nos amis. Donc, si ça ressemble à un clin d'œil, ça nous va très bien !
Vous semblez prendre beaucoup de plaisir à explorer l'électronique et à modifier les voix, qui deviennent de plus en plus présentes dans vos morceaux. Mais parfois, on ne comprend pas vraiment ce que vous chantez. C'est quelque chose qui vous amuse ?
Oui, c'est vrai qu'on s'amuse parfois avec ça. Pour certains morceaux, la voix est un peu déguisée, on l'utilise davantage comme un son ou une texture. Cela dit, il y a des chansons où les paroles sont plus claires. Mais c'est agréable de jouer avec l'aspect humain des sons.
Vous considérez la voix comme un instrument à part entière ?
Parfois, oui. Par exemple, pour Fancy Made Of Flesh, on avait une voix normale au départ, mais ça ne sonnait pas bien. On a fini par utiliser un synthétiseur pour la modifier, et le résultat nous a plu. Donc oui, on traite la voix un peu comme un instrument, tout en essayant d'apporter un supplément de personnalité à nos morceaux.
Parfois, il y a des sons extrêmes, très bruyants, comme dans Hi Chaos ou If You Found This World Bad, You Should See Some of the Others. Cela faisait longtemps que vous n'aviez pas exploré ce style sonore avec autant d'intensité...
Je ne sais pas trop... Je pense que c'était simplement agréable à faire. Ces morceaux semblaient naturellement nécessiter ce genre d'approche. C'est difficile à analyser, parce qu'on ne réfléchit pas trop à ces choix sur le moment. On les fait, puis, avec le recul, on se dit "Ah, c'est peut-être pour ça...". Mais oui, ces titres donnaient vraiment l'impression qu'ils avaient besoin d'un énorme crescendo.
Sur Lion Rumpus, il y a ce solo de guitare surprenant...
Oui, je trouvais la chanson un peu absurde, alors je me suis dit "Allez, jouons quelque chose de rapide et de bizarre !". John, le producteur, a trouvé ça comique, mais j'ai vraiment aimé le faire.
Est-ce que le rythme de sortir un album studio tous les quatre ans vous convient ?
Oui, je pense que c'est à peu près le bon rythme. On fait beaucoup de concerts maintenant, et cette année ainsi qu'une bonne partie de l'année prochaine sont déjà bien remplies. Même si on prend une année pour écrire, il faut ensuite beaucoup de temps pour fabriquer un disque, surtout les vinyles. Donc, quatre ans, c'est nécessaire. On compose aussi des bandes originales, et certaines prennent énormément de temps. Honnêtement, ce rythme pourrait même être plus long, car on n'a pas vraiment arrêté ces dernières années : concerts, bandes originales, albums... Et on ne rajeunit pas (rires).
Tu as mentionné les bandes originales. Je ne pensais pas que composer pour une série ou un film prenait autant de temps...
Oh, ça peut en prendre énormément. Pour une série télé, par exemple, on peut devoir composer jusqu'à six heures de musique. Et souvent, ils nous demandent de revoir certaines parties, parce que la série ou le film évolue. C'est un processus parfois complexe et exigeant.
Vous travaillez sur quelque chose de nouveau en ce moment ?
Oui, on vient de terminer une bande originale qui sortira cette année. C'est pour une série télé, un drame.
Pour ce qui est des voix, il y a notamment 18 Volcanoes, où ta voix est doucement intégrée à la musique. Est-ce que chanter reste un exercice difficile pour toi, ou commences-tu à l'apprécier davantage, surtout avec l'idée de la jouer sur scène ?
Ce n'est pas ce que je préfère, honnêtement. Je préfère jouer de la guitare plutôt que chanter. Mais je ne déteste pas ça, sinon, je ne le ferais pas. Je dirais que c'est un peu comme jouer du clavier pour moi : je m'en sors, mais je suis un peu nerveux. Cela dit, 18 Volcanoes s'est révélée être l'une des meilleures chansons pendant nos répétitions. On va certainement la jouer sur scène.
Il n'y a personne d'autre dans le groupe qui voudrait chanter à ta place ?
arry est en fait un très bon chanteur. Il chante sur God Gets You Back. Mais pour 18 Volcanoes, ça sonnait mieux avec ma voix seule. Barry fait les chœurs sur certaines chansons en live, mais pas sur celle-là.
Peux-tu nous en dire plus sur Hammer Room ? Cette chanson, avec son mouvement de clavier et son rythme, est absolument incroyable et si inattendue venant de Mogwai...
Barry a écrit cette chanson, et je l'adore. Elle est différente, étrange et dynamique, tout en étant un peu bizarre. C'est ce qui la rend spéciale. Je suis vraiment impatient que les gens la découvrent. C'est aussi l'une des bonnes surprises qu'on jouera en live.
Qu'en est-il de Fact Boy ?
À l'origine, cette chanson était plus complexe. C'est Barry qui l'a écrite, et les bruits étranges que vous entendez proviennent d'une vieille machine à bandes qui appartenait à Syd Barrett.
Incroyable ! Comment avez-vous mis la main dessus ?
En fait, ce n'est pas à nous. Elle appartient au studio où nous avons enregistré. Paul, le propriétaire, l'a achetée il y a longtemps. C'est comme un artefact sacré pour lui.
J'aime l'équilibre entre les morceaux très énergiques et puissants et ceux plus calmes, qui rappellent le Mogwai du début, même si votre style a évolué. C'était important pour vous d'avoir cette variation ?
Oui, absolument. Nous voulons toujours que nos albums soient variés. Je suis vraiment satisfait de l'ordre des morceaux sur celui-ci. Nous avons enregistré beaucoup plus de chansons, mais certaines ne collaient pas avec l'album. Peut-être qu'on sortira un mini-album ou un EP avec ces titres un jour.
Tu évoques un EP ou un mini-album, mais y aura-t-il un morceau bonus pour le CD japonais de The Bad Fire ?
Non, pas cette fois. J'adore le Japon, mais on m'a dit qu'on ne vendait plus beaucoup de CD là-bas. Donc, il n'y a pas vraiment d'intérêt à inclure une chanson exclusive pour un tirage aussi limité.
Vous avez récemment répété pour la tournée. Est-ce que ça a été facile de jouer ou de réapprendre d'anciens morceaux ?
Pas encore. Pour l'instant, nous n'avons répété que les nouveaux morceaux. On commencera à travailler sur les anciens titres à partir de demain.
Vous prévoyez de varier les setlists entre les concerts ?
Oui, absolument. Si on joue toujours la même setlist, ça devient vraiment ennuyeux, autant pour nous que pour le public. Parfois, pour un festival, on n'a le temps de répéter qu'un seul set. Mais comme nous partons pour une longue tournée, je veux qu'on travaille beaucoup de chansons pour pouvoir varier d'un concert à l'autre.
Est-ce que vous êtes lassés de certaines chansons au point de ne plus vouloir les jouer en live ?
Un peu, oui. Mais ensuite, on les rejoue et on se dit "Ah, en fait, elle est pas mal." (rires). Avec le nombre de morceaux qu'on a maintenant, on n'a vraiment plus d'excuse pour s'ennuyer.
Je sais que vous n'accordez pas beaucoup d'attention aux titres de vos chansons, mais les titres d'albums semblent avoir plus d'importance. Pourquoi avoir choisi The Bad Fire ? Et peux-tu nous en dire plus sur la pochette ?
C'est une histoire amusante, car Dave (ndlr : Dave Thomas alias dlt), qui a conçu l'artwork, ne connaissait pas le titre de l'album au moment où il travaillait dessus. Quand on lui a annoncé qu'on allait l'appeler The Bad Fire, il venait justement de terminer une pochette avec du feu dessus ! Pour nous, The Bad Fire, c'est une expression qu'on utilisait dans notre enfance, une sorte de métaphore pour l'enfer. On trouvait ça amusant, mais c'est un titre qui peut aussi avoir plusieurs interprétations.
Vous allez jouer dans un festival de métal en France l'été prochain. Pourquoi ce choix ?
Nous avons été invités. C'est une première pour nous, et ça devrait être amusant. Certains fans de heavy metal apprécient notre musique, donc on pense que ça va bien se passer. On aura probablement les cheveux les plus courts du festival (rires).
Tu es ami avec Robert Smith. Comment cette amitié a-t-elle commencé ? Je sais qu'il est fan de votre musique...
Oui, je l'ai rencontré il y a environ vingt-et-un ans. Il nous avait invités à jouer avec lui à Hyde Park, à Londres. C'était la première fois que je le rencontrais, et il est vraiment adorable. Sa musique a énormément compté pour moi quand j'étais jeune, donc je l'admire beaucoup. Mais au-delà de ça, c'est quelqu'un de très gentil, et il a toujours soutenu notre groupe. Honnêtement, c'est un peu étrange pour moi qu'il soit devenu mon ami. J'adore leur nouvel album.
Savais-tu qu'il allait enfin sortir ? L'avais-tu entendu avant sa sortie ?
Non, je ne suis pas un ami si proche ! Peut-être qu'il m'aurait envoyé une copie si je lui avais demandé, mais je suis content d'être allé l'acheter en magasin. Je savais qu'un album était en préparation parce que c'est la même personne qui gère nos sites web respectifs. Il fallait juste qu'on évite d'annoncer notre musique le même jour qu'eux. C'est comme ça que j'ai eu l'info.
Y a-t-il du neuf concernant le coffret de Rock Action ?
Il est toujours prévu...
Est-ce que Happy Songs For Happy People pourrait aussi avoir un coffret ?
C'est possible. J'ai récemment retrouvé une chanson inédite de cette période, ainsi qu'un enregistrement d'un concert qu'on avait donné pour John Peel. Une réédition pourrait inclure tout cela.
Je suis curieux de découvrir le nouvel album de bdrmm qui sort sur votre label...
Oui, il est vraiment génial. J'ai hâte que tout le monde puisse l'écouter. On a de super artistes sur Rock Action : Cloth, Sacred Paws, et Kathryn Joseph qui a un nouvel album incroyable. The Twilight Sad vont aussi bientôt enregistrer. C'est vraiment une période chargée pour nous.
Le documentaire If The Stars Had A Sound va-t-il être officiellement publié ?
Oui, je pense qu'on le sortira en DVD cette année.
Tu as participé au premier album de Silver Moth. Y aura-t-il une suite ?
Oui, on prévoit un deuxième album. Le line-up du groupe a un peu changé, mais on a joué dans quelques festivals l'année dernière et c'était vraiment amusant. Donc, oui, on veut définitivement refaire quelque chose ensemble.