Cabaret Voltaire

Pour ceux qui seraient passés à côté, Cabaret Voltaire a fait son apparition en 1973 pour distiller sur l'Angleterre sa touche indus et bruitiste. Sous l'impulsion de Richard H. Kirk, tête pensante du groupe, Cabaret Voltaire s'est distingué jusqu'en 1994 par des productions sans concession qui l'ont vu naviguer à travers différents courants selon les époques.

Un premier tournant s'opère avec un son un peu plus apaisé à partir de 1982. L'excellent Crackdown en 1983, produit par Flood, avec Dave Ball de Soft Cell en guest, consacre les sonorités froides du groupe tout en l'ouvrant à un public un peu plus large grâce à des pièces majeures comme l'excellent Just Fascination. Pourtant il n'est pas question de se faire happer par la facilité, et l'abum Covenant, The Sword And The Arm Of The Lord rappelle le groupe au bon souvenir de sonorités plus dures.
1990 - 1994 marque une période techno qui se termine par la mise entre parenthèses de Cabaret Voltaire en tant que groupe, et permet à ses membres de favoriser des projets solo. Richard H. Kirk va, entre autres, devenir un acteur majeur de la construction du fameux son électro de Sheffield. La parenthèse solo se ferme et on entend à nouveau parler de Cabaret Voltaire en 2014. Il faut cependant attendre six ans de plus pour avoir droit à un nouvel album avec ce Shadow Of Fear qui nous intéresse aujourd'hui.

À y regarder de plus près, il serait plus judicieux de parler de nouvel album en solo de Richard H. Kirk, seul rescapé du début de l'aventure dans les années 70. Cabaret Voltaire ne serait donc qu'un prête-nom pour de nouvelles expérimentations.
Pas vraiment pour tout dire, car dès l'écoute de l'excellent Vasto, premier extrait disponible en août dernier, on a bien compris qu'il était question d'un nouvel effort dans l'esprit du Cabaret Voltaire que l'on connaît, avec ce qu'il faut de matière rêche et abrasive. On est plus depuis bien longtemps sur les sons bruitistes des débuts, mais Shadow Of Fear, a des arguments solides pour remuer l'auditeur et lui faire comprendre qu'il ne sera pas dans une zone sans trouble.

Avec ses samples de voix en fil conducteur tout le long, l'album est un ensemble de pièces électroniques instrumentales répétitives et froides. Tantôt orientées sur des ambiances plutôt calmes comme Be Free ou l'étrange et torturé Microscopic Flesh Fragment, le rythme s'accélère sur d'autres morceaux comme Night Of The Jackal ou le très répétitif et lancinant Universal Energy.
Le magnifique et dense Papa Nine Zero Delta United s'apparente à une jointure entre les deux mêlant rythmique entêtante et nappes sombres. Surtout, Richard H. Kirk a décidé de ressortir les vieilleries du placard, et les sonorités de machines électroniques old-school donnent toute leur mesure sur certains morceaux, notamment sur le très bon The Power (Of Their Knowledge). Pour autant, l'ensemble ne sonne pas du tout comme un clin d'œil aux années 80 ou une espèce de nostalgie mal placée.

Ainsi, Shadow Of Fear n'est pas l'exégèse d'une période passée Il se place définitivement comme un album tout à fait contemporain. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter What's Goin'On, morceau final désarticulé avec ses faux cuivres électroniques, petit pied de nez à l'ambiance sombre et chaotique du reste de l'album.

Richard H. Kirk nous fait donc la double bonne surprise de relancer Cabaret Voltaire, et de sortir ce qu'il a de meilleur en lui. Il n'est pas possible de parler d'amalgame de tout ce qu'a été le groupe depuis ses débuts, car Shadow Of Fear a une identité forte. Difficile de le rapprocher d'un autre album de Cabaret Voltaire, mais les fans reconnaîtront une froideur implacable qui les fera admettre que le temps des concessions n'est pas encore venu.