The Divine Comedy

Lettre ouverte à Neil Hannon :

« Quoi, encore un best-of ? Il n'en a pas marre de nous servir du réchauffé ? Encore une histoire de gros sous ... »
Voilà de la part des fans les plus fatigués, vous avez été entendus.

Cher Neil, la sortie de ce second Best Of après trente années de carrière ne me parait pas insensée. Trente années, soit pas encore la moitié de ta vie (joyeux cinquantenaire que tu es, ou « boomer » comme les sociologues en manque d'hashtag aiment à cataloguer tout ce qui bouge), voilà une occasion bien légitime de célébrer ce parcours de marathonien en compilant ce qui représente la crème de ton œuvre tout en proposant un panel largement représentatif des « périodes » de The Divine Comedy.
Ainsi, ce Charmed Life pioche dans l'intégralité des albums studio (tous sauf la perle rare qu'est l'EP Fanfare For The Comic Muse, que les quelques chanceux détenteurs planquent jalousement dans leur coffre) et brosse un portrait révélateur de tes nombreuses phases musicales intrinsèquement liées aux différentes étapes de ta vie personnelle.

Le choix du titre Charmed Life n'est pas anodin : « J'ai été plus chanceux que la plupart des gens » déclares-tu dans le communiqué de presse accompagnant le Best Of. Il est vrai qu'en débutant une carrière à vingt ans en étant identifié comme meilleur songwriter britannique de cette fin de siècle (1993 pour celles et ceux qui y étaient), il y a de quoi se sentir pousser des ailes et prendre quelques centimètres au niveau des chevilles.
De la légèreté de l'être de Your Daddy's Car suivi par le tout aussi aérien Tonight We Fly issus des deux premiers albums Liberation (1993) et Promenade (1994) qui ont marqué au fer rouge l'identité de The Divine Comedy, nous parcourons l‘excellent trio de choc et de charme qu'est Casanova (1996), Short Album About Love (1997) et Fin de Siècle (1998) avec les sexy et intemporels Something For The Weekend, More Like Alfie, Everybody Knows (Except You) et les hymnes « hano-niens » que sont National Express et Generation Sex.


Comment alors entamer un nouveau siècle à l'aune de tes trente ans avec un tel bagage et la forte attente d'admirateurs qui se comptent par centaines de milliers au travers le monde ?
Ton choix fut celui de l'honnêteté avec un « revirement » tant musical que physique et personnel. S'en suivent Regeneration (2001) et Absent Friends (2004), albums les plus intimes à ce jour car en concordance avec un changement de vie (mariage et paternité) et une volonté de s'éloigner de cet avatar grâce auquel l'exercice si délicieux du cynisme et de l'humour noir te semble bien plus aisé. Perfect Lovesong et Charmed Life, bien qu'accompagnés du très amusant Billy Bird, sont alors pour certains un peu déconcertants mais sauront trouver place dans leur cœur avec le temps, preuve en est le vibrant Our Mutual Friend devenu depuis un classique de ton répertoire.


Qu'attendent alors les déçus de cette séparation d'avec les fidèles membres de The Divine Comedy qui t'ont accompagné dans tes pérégrinations durant les dix premières années ? Peu importe les bookmakers, tu restes fidèles au rendez-vous avec deux albums profonds, à la mélancolie forte voire éprouvante que sont Victory For The Comic Muse (2006) et Bang Goes The Knighthood (2010) dont on sent qu'ils t'on demandé un effort particulier en ces temps difficiles (divorce, déprime) mais dont la récompense en vaut la chandelle : A Lady Of A Certain Age et Have You Ever Been In Love sont deux titres à la perfection mélodique quasi atteinte. Les plus anxieux retrouvent alors le Neil potache et maniéré des premiers albums dont l'humour grinçant fuse tout en nous dévoilant des balades souvent poignantes.


Le live, lui, n'a jamais cessé et c'est probablement cet exercice régulier de retrouvailles avec les fans qui t'a permis de garder la tête hors de l'eau. Des cabarets les plus fameux aux arénas outre-manche, en passant par des Olympias ou Philharmonies, tout en ne manquant pas d'honorer de ta présence les petites salles des villes de province, la communion avec ton public n'a eu de cesse de nourrir ta plume tantôt acide tantôt triste, mais toujours exaltée.

Une nouvelle décennie s'est ouverte avec deux opus audacieux car à l'opposé l'un de l'autre : le premier Foreverland (2016) et cette incroyable incarnation d'un Napoléon aussi flamboyant que grotesque qui entraine l'exaltation comme l'agacement dans l'auditoire. Le second, Office Politics (2019), qui, en s'ouvrant à des sonorités mécaniques voire expérimentales et en offrant des textes plus grinçants sur les aléas de la vie que partagent 70% des personnes sur cette terre, continue de diviser les fans entre adeptes de cette farce malicieuse et nostalgiques de la poésie légère à laquelle tu nous avais habitués. To The Rescue, How Can You Leave Me On My Own et le naïf Norman And Norma viennent donc achever la construction de cette compilation pour ainsi donner un panorama exhaustif de ta carrière prolifique.


Que serait un Best Of sans inédits ? Un été sans soleil ou, pire, un festival sans boire de bière. Ainsi, en plus du titre The Best Mistakes, petit bilan de carrière dont la vidéo retrace ta folle épopée, ton troisième disque au nom ampoulé Super Extra Bonus Album nous propose dix titres de belle facture et permet de satisfaire tout le monde avec des morceaux qui sont la quintessence de l'esprit The Divine Comedy. I'll Take What I Can Get, The Adventurous Type, Simple Pleasures sont les plus entrainants, où tes paroles toujours bien trempées dans l'encre de l'ironie leur donnent un fort potentiel de singles qui trouveraient leur place à leur tour dans un Best Of, peut-être encore dans dix ans.


La douceur est de mise avec des chansons aux orchestrations toujours aussi soignées telles Don't Make Me Go Outside, When When When ou Home For The Holidays, où l'on retrouve la fraicheur des tous premiers opus qui t'avaient alors révélé comme le nouveau poète décalé, voire décadent.
Évidemment, quelques ovnis sont présents avec le robotique Who Do You Think You Are au petit goût de dancefloor à la Europop des plus sympathiques et l'hispanisant Te Amo España qui n'a pas besoin de traduction. On finit sur la brise printanière qu'est Butterfly, qui clôt comme il peut ouvrir cette petite collection d'inédits qui tombe à pique en ces temps de grisaille tant saisonnière que psychologique.

Alors dis moi, Neil, quelle réaction attends-tu de tes fans face à cette nouvelle compilation qu'est Charmed Life ? Ayant subi de plein fouet les annulations dues à la pandémie pour les tournées célébrations qui devaient nous permettre d'assister à l'interprétation de tous tes albums, ce Best Of est il une façon de remettre les compteurs à zéro ? Est-ce le résultat de ce soi-disant bilan qui s'impose à tous à « mi-parcours » ou bien ta façon de récompenser encore une fois la fidélité de ce public qui ne t'a jamais abandonné tout en exigeant de toi que tu ne te reposes jamais sur tes lauriers ?

Le visuel des CDs et vinyles te fait apparaitre en costume cravate comme pour Liberation il y a trois décennies, avec une silhouette qui n'a pas bougé d'un iota (on apprécierait que tu nous révèles ton secret) et où, malgré quelques années de plus, tu sembles afficher toujours autant de plaisir à faire le boulot.
Un disque en plus dans notre collection et une forte impatience pour les retrouvailles en live, voilà ce qui nous motive. Que l'on soit fan de la première heure ou jeune néophyte, la compilation Charmed Life nous fait réaliser que nous aussi nous sommes plus chanceux que beaucoup de gens en étant ainsi touchés par ta musique.