Editors

Ceux d'entre vous qui attendent d'Editors un retour à leurs premières amours fait d'un rock froid aux guitares ciselées et tranchantes doivent avoir des sueurs froides à l'annonce du nom du nouvel album du groupe. L'idée de voir Tom Smith se dandiner sur le devant de la scène en treillis militaire au son d'une musique électronique martiale à l'image des belges de Front 242 à dû glacer le sang de plus d'un.

Pour mieux comprendre la genèse de l'album EBM (ndlr : Editors + Blanck Mass), il faut revenir à 2018 avec la sortie de Violence, dont les pistes vont être retravaillées par l'artiste électro Blank Mass alias Benjamin John Power. Matérialisés quelques mois plus tard sur la compilation The Blank Mass Sessions, les titres gagnent en épaisseur et en densité grâce au savoir-faire de Power. Ce dernier réussit le pari de ne pas dénaturer les compositions originales sur lesquelles il avait déjà largement œuvré pour offrir sa texture électro.

Il faut croire que cette expérience a été jugée concluante puisque Benjamin John Power est annoncé comme membre permanent d'Editors depuis quelques semaines. Voilà qui en dit long sur la complicité entre les deux parties, mais surtout sur la direction que souhaite définitivement prendre le groupe. En soit, ce n'est pas vraiment une surprise, il y a longtemps que Editors n'est plus le groupe de ses débuts, celui que l'on comparait allègrement à ses cousins américains d'Interpol. Un premier virage est pris en 2009 avec l'album In This Light And On This Evening. Le premier single Papillon ne laisse pas de doute quant au chemin que Smith souhaite faire prendre à sa formation. Aujourd'hui, l'arrivée de Blank Mass semble sceller le temps des doutes et des approximations de l'album The Weight Of Your Love en 2013, quand Smith semblait hésiter entre habillage électronique ou pop songs organiques.

Ceux qui regrettent le temps passé doivent pourtant admettre l'évidence, Editors ne fonctionnent pas à contre-courant et ne luttent pas contre des vents contraires. Il ne sera donc pas surprenant de constater la tournure que prend EBM, en parfaite continuité des précédents travaux. L'excellent single Karma Climb conforte cette idée. Imparable dans son refrain et son accroche, il sied totalement à l'identité Editors avec ce petit quelque chose qui vous reste dans la tête sans jamais tomber dans la facilité.
Parfois, on se dit que Tom Smith aurait pu freiner les ardeurs de Blank Mass. Ainsi, sans parler d'électro body music pour autant, certains morceaux sont réellement poussés dans une optique électronique très, trop (?) physique, à l'image du final Strange Intimacy, et son intro un tantinet agaçante, ou sur Picturesque au son puissant. Pourtant la sortie de route est tout le temps évitée et le groupe reste droit dans ses bottes. Sur Strawberry Lemonade, ne soyez pas surpris d'entendre les intonations du Bowie des années 2000. Ce titre méritait cependant peut-être mieux que cette basse un tantinet lourdingue et ce son récurrent qui revient vous percer les tympans tout du long.

Malgré tout, Editors s'en sortent toujours bien et retombent sur leurs pattes comme un chat agile grâce à un talent de composition qui jamais n'est mis à défaut par l'abondance électronique, où la voix de Tom Smith prend sa place sans jamais trop en faire. Il y a parfois un monde entre des intros un peu lourdes et ce que les morceaux rendent au final. En ce sens il ne faut pas s'arrêter sur ce qui peut paraître comme un déballage électro parfois grossier. Par exemple, sur Kiss, se dévoile peu à peu un thème étrange, accrocheur et passionnant. Encore une fois, Tom Smith a l'intelligence de ne pas transformer Editors en une simple machinerie électronique sans âme. L'exigence de la composition est toujours présente, et les choix sonores parfois surpuissants ne sont là que pour habiller des mélodies solides. À cet égard, Serge Pizzorno serait peut-être bien inspiré de s'intéresser à ce qui se fait ici, Editors ont certainement beaucoup de choses à montrer en matière de cohérence artistique.
À ce propos, il faut réellement s'attarder sur Vibe, merveilleuse petite pièce électro rock parfaitement calibrée pour les prochains épisodes de la série Stranger Things. Certains diront que l'ensemble est trop marqué par l'empreinte des 80s, que tout est fait à l'excès, pourtant, tout se déroule comme prévu et il est difficile de ne pas se laisser emporter par le thème de ce titre absolument prenant de bout en bout. Même chose sur le magnifique Educate, incroyable de puissance dans son refrain ravageur. On atteint ici ce que le groupe a de meilleur à nous donner sur EBM. Nerveux dès son intro, le travail des claviers est remarquable sur ce titre qui allie densité sonore et légèreté pop.

Voilà comment Editors mettent tout le monde d'accord avec ce EBM qui réussit un amalgame parfait entre les mélodies accrocheuses qui ont fait leur réputation depuis leurs débuts et un son électro qu'ils cherchaient peut-être depuis des années sans le trouver réellement. Bien sûr, An End Has A Start ou Munich sont désormais de lointains souvenirs, et il est possible que cela vous chagrine. Mais contrairement à d'autres groupes, tout semble limpide dans l'évolution de la bande de Tom Smith. Chaque album sonne comme du Editors, nonobstant des périodes plus inspirées que d'autres.

Il faut aussi ne pas être allergique à ce revival qu'Editors explorent avec une passion que d'aucuns trouveront peut-être trop intense. C'est pourtant le chemin qu'a choisi le groupe, et il faudra vous faire à l'idée. Ne boudez pas votre plaisir, EBM place s'il en était encore besoin Editors comme un des groupes phares de sa génération. Il témoigne aussi d'une formidable capacité à s'adapter et évoluer, reprendre des idées passées sans tomber dans des schémas ridicules. D'autres, encore récemment, s'y sont méchamment cassé les dents, mais tout le monde n'a pas le talent de ces gars.