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Benjamin Clementine

And I Have Been

Benjamin Clementine - And I Have Been
Chronique Album
Date de sortie : 28.10.2022
Label : Preserve Artists
5
Rédigé par Bertrand Corbaton, le 27 octobre 2022
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L'histoire des jeunes années de Benjamin Clémentine aurait pu servir de storytelling idoine pour charmer un public avide, à la fois impudique et voyeur. Celui-là même qui se délecte des histoires bâties de toutes pièces par des productions de programmes TV abjectes, des télé-crochets que l'on a vu fleurir vingt ans plus tôt, et que l'on tente aujourd'hui de réanimer sous de fallacieux prétextes d'anniversaire, pour en extraire le dernier jus rance. En y regardant de plus près, Benjamin Clementine avait tout pour devenir un vulgaire objet pseudo culturel de grande consommation, se voir happé, pour finir dans le rayon CD des supermarchés, vaguement rangé côté variétés internationales, à quelques encablures du dernier album de Christophe Maé, lui-même en face du présentoir mobile où trônent divers ouvrages de Musso.

Pourtant il n'en est rien, et même si l'artiste n'est pas à l'abri d'être un de ces quatre emporté par une hype soudaine, Benjamin Clementine a comme rempart une farouche idée de la liberté. Pour s'en persuader il faut se remémorer 2015, année de sortie At Least For Now son premier album. Dans celui-ci, l'artiste revendiquait déjà une exigence artistique et une certaine idée de ce que doit être sa musique. Certes, ce premier album était plutôt accessible, mais il laissait déjà apercevoir les contours de ce que veut Benjamin Clementine, de l'endroit où il veut aller.
Ce n'était visiblement pas suffisant pour l'artiste, qui expliquait deux ans plus tard à la sortie de I Tell A Fly sa volonté de présenter une matière plus personnelle, quitte à heurter les fans de la première heure. Effectivement ce second disque, sans renier sur la qualité, était pour le moins déroutant. Benjamin Clementine apparaissait dans une espèce de rôle de chef d'orchestre, déclamant une histoire sur le thème récurrent de l'immigration, du déracinement, tantôt avec émotion, tantôt avec humour noir. Cet album brillant à bien des égards était pourtant un dédale foisonnant d'idées et de libertés musicales susceptible de perdre l'auditeur. Mais qu'importe. Benjamin Clementine était libre. Plus que jamais libre.

Depuis ces deux sorties, de ces rencontres avec Charles Aznavour qu'il vénère, ou avec la grosse machine Gorillaz en 2017 sur le morceau Hallelujah Money, où en est aujourd'hui le garçon de Crystal Palace ? Il en est à son troisième album, nommé And I Have Been. Il s'agit d'une sorte de croisée des chemins, où Benjamin Clementine refuse toujours de se voir enchaîné à des principes qui ne sont pas les siens, où il n'est pas question de se voir grignoter une liberté que l'on sait précaire. Il est en revanche question de reprendre par la main les auditeurs qui s'étaient égarés lors de l'écoute de I Tell A Fly.
Benjamin Clementine nous propose donc des titres moins théâtraux, mais toujours aussi minimalistes, parfois seulement portés par un piano et un ensemble de cordes pour l'effet classieux et classique à l'image du délicat Copening, ou par une structure plus pop comme sur Auxiliary, à l'intro fragile et distinguée ou sur Difference et son ambiance de lever de soleil sur une grande ville.

Il est ici question de chansons que l'on peut écouter sans se faire bousculer ou malmener. L'émotion est toujours ici au centre des préoccupations, parfois dans un cadre minimaliste sur le touchant Gypsy,BC, parfois de façon plus physique sur l'accrocheur, bluesy et plein d'urgence Residue. Weakend, quant à lui, ressemble à un éveil progressif, la prise de conscience du sentiment d'abandon totalement opposé au positif et terriblement prenant Lovelustreman. Les cordes discrètes s'entremêlent avec bonheur avec le thème du piano pour soutenir la voix d'un Benjamin Clementine, sûr de sa force vocale mais qui jamais n'en abuse. Il est question de servir un propos, pas de se mettre en avant. Le résultat est réellement merveilleux.
Sur l'instrumental Last Moment Of Hope, l'anglais nous rappelle tout son attachement à un Paris disparu. Il s'agit ici d'une pièce au piano qui évoque sans se cacher l'esthétique des Gnossiennes d'Erik Satie. Certes, l'artiste prend quelques libertés mais qu'importe, l'objectif est réussi et l'ambiance étrange et surannée est un joli salut au pianiste de Montmartre.
Benjamin Clementine est surprenant dans sa façon de vous saisir, de s'emparer de votre attention pour vous guider. Pour ce faire, il sort parfois une artillerie émotionnelle qui arrache tout sur son passage comme sur cet incroyable Delighted, orchestral et cinématographique à souhait. Il y dans ce morceau grandiose un côté urbain et en même temps une ouverture sur les grands espaces. Cette ambivalence repose sur la voix et le chant de l'homme d'un côté et de l'autre sur la rythmique des cordes doublées par les chœurs absolument merveilleux. Vous avez ici une pièce majeure de And I Have Been et vous ne pouvez passer à côté de ce grand moment.

Mais, vous l'aurez certainement compris, ce n'est pas le seul grand moment de l'album. Il faut s'attarder sur Atonement et sa petite structure rythmique électronique timide mais nécessaire enjolivée par ce clavier discret pour ce titre décidément accrocheur au possible, ou sur le magnifique Genesis, et son ambiance de petit coté cabaret enfumé. C'est lyrique, précis, et ingénieux de part en part. Benjamin Clementine est toujours juste et frappe fort malgré une délicatesse de chaque instant.

Avec And I Have Been, il présente son meilleur album, comme un amalgame de tout ce qu'il a réalisé depuis ses débuts. Sans pour autant s'enfermer, il réussit à rester dans un cadre qu'il avait voulu exploser sur I Tell A Fly. En résulte un travail absolument unique mais terriblement efficace, un disque laissant cours à une certaine idée de la liberté, de la folie et de la chanson. Il y a quelque chose qui respire la nostalgie d'une époque révolue dans cette musique, et pourtant la poussière du temps passé ne vous étouffe pas, ne vous crispe pas la gorge. Elle vous enveloppe, vous fait traverser les époques. Le voyage ne se termine qu'avec les dernières notes du merveilleux Recommence et ses petits airs de Debussy.


Vous avez ici un objet absolument unique, mi-classique mi-pop, d'un artiste tout autant unique. Benjamin Clementine signe un album hors du temps, hors des conventions. C'est un monde à part, une expérience fantastique. Si vous ne le voyez pas aujourd'hui, vous le verrez demain. Résolument somptueux.
tracklisting
    01. RESIDUE
  • 02. DELIGHTED
  • 03. DIFFERENCE
  • 04. GENESIS
  • 05. GYPSY,BC
  • 06. ATONEMENT
  • 07. LAST MOVEMENT OF HOPE
  • 08. COPENING
  • 09. WEAKEND
  • 10. AUXILIARY
  • 11. LOVELUSTREMAN
  • 12. RECOMMENCE
titres conseillés
    DELIGHTED, ATONEMENT, RESIDUE, GENESIS, RECOMMENCE
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