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Benjamin Clementine

Lyon, Nuits de Fourvière - 29 juin 2017

Live-report par Jean-Baptiste Bourgeois

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C'est dans un début d'été toujours aussi gris et capricieux que débute cette nouvelle soirée musicale entre Rhône et Saône. La pluie est encore tombée en ce 29 juin, et dans les gradins, les spectateurs ont troqué leurs paires de lunettes de soleil contre des vestes par peur de la récidive. Qu'importe, l'enceinte gallo-romaine encore pleine à craquer ce soir semble prête à entendre résonner les pianos.

Et c'est Dillon qui ouvre le bal vers 21h. Mains sur le clavier, l'artiste d'origine brésilienne lance dans les travées de pierres les premières notes de sa belle et douce voix empreinte de modernité (qui rappelle d'ailleurs un peu celle d'une certaine Lykke Li). Peut-être un peu trop timide ou à cause de ses sonorités tendres et berçantes, la jeune femme aura malheureusement du mal à capter son auditoire un peu dissipé. Quand on est face à un public principalement venu pour voir la tête d'affiche, c'est sûr, ça n'aide pas. Mais la chanteuse ne se laisse pas démonter aussi facilement et offre un joli Thirteen Thirtyfive tiré de son album This Silence Kills sorti en 2011. S'en suivent quelques morceaux très vite enchainés, tout en cherchant du regard une fosse un peu plus réceptive qui la poussera quand même jusque dans les dernières minutes. Des applaudissements polis mais soutenus pour sa dernière chanson et la belle laisse place sans demander son reste.

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Les derniers arrivants s'amassent devant la scène en attendant que le spectacle reprenne, il n'y a désormais plus aucune place dans les gradins. Pendant ce temps-là, la scène en pleine mutation prend peu à peu forme : ce soir nous n'aurons pas le droit qu'à un piano, même si ce dernier imposant, trône au premier plan (une batterie, une basse ainsi qu'un second clavier sont aussi de la partie). Et c'est avec pas moins de cinq femmes choristes que le tant attendu Benjamin Clementine fait son entrée. Il est environ 22h et le grand et longiligne chanteur démarre avec le tout nouveau Phantom Of Aleppoville, premier single de son second opus intitulé I Tell A Fly (prévu pour la rentrée prochaine). Sur fond de lumière rouge inquiétante, l'artiste anglais fait crier son piano pour la première fois dans cette démonstration aux allures de « freak show ». Avec une de ses musiciennes au clavecin (que l'on n'avait pas su apprécier depuis le Golden Brown des Stranglers dans les années 80), le hobo londonien fait l'étalage de son jeu de pianiste fluide et de sa voix puissante et charismatique. On comprend vite que le chanceux est bien entouré : un Nemesis qui met en valeur les qualités de son batteur, il lâche ensuite son instrument fétiche durant l'un des morceaux suivants pour se muer en chef d'orchestre avec ses choristes, elles aussi parfaitement dans le ton. Le tout résonne harmoniquement à la perfection. Le jeune homme se rassoit et lâche un timide « c'est bordel » (qu'il a dû apprendre du temps où il jouait dans le métro parisien) rendant la foule hilare.

Un petit rire nerveux et il est temps pour lui de déclamer son poétique Condolence qui arrivera très tôt dans ce set. Le titre phare de son tout premier album At Least For Now qui lui a valu le Mercury Music Prize en 2015 transpire la poésie des William Blake et James Baldwin. Le son prend littéralement aux tripes dès les premières notes tant l'aura dégagée à ce moment-là est puissante : comme l'impression de voir un Nina Simone des temps modernes (certes avec des « cojones »), dans l'interprétation comme dans les textes. Devant un Fourvière au souffle coupé par l'émotion qu'il essaie de faire chanter en chœur dans le dernier refrain, il décide de tout arrêter, mécontent du résultat. Et voilà que le concert part en cacahuète : tel un professeur d'anglais, il fait répéter à de multiples reprises le refrain au public totalement séduit. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la timide et bouleversante panthère se transforme en un insoupçonnable showman.

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Satisfait de sa petite leçon, le « teacher » reprend malicieusement place pour un sublime Cornerstone suivi des symphoniques Adios et London, accompagnés par un violoncelle poignant. Le gars prend à nouveau toute possession du lieu et en fait même oublier ses choristes et tout le patacaisse. Il n'y a que sa voix et son piano. Plongé dans son univers, le théâtre balayé par une petite bise nocturne l'écoute attentivement raconter ses histoires et ses galères. La nuit est belle. Mais s'il y a bien quelque chose qu'on a appris sur l'homme ce soir c'est qu'il fait ce qu'il veut : entre deux morceaux il peut tailler le bout de gras pendant de longues minutes, parler de politique et de Macron, imiter au piano la sirène d'une ambulance passée par là, ou encore vérifier que la leçon du début de concert n'a pas été oubliée. Et rebelote pour un refrain de Condolence, cette fois-ci en français. En fait, Benji c'est un vrai gamin : les musiciens derrière lui ont l'air désemparés, la setlist est jetée à la poubelle, aujourd'hui c'est sa soirée et ce, pour le plus grand bonheur des spectateurs envoutés par la schizophrénie du personnage.

Des morceaux sûrement zappés, le concert s'achève sur le très engagé God Save The Jungle, titre inédit qui fait référence aux migrants venus s'installer à Calais. Sous des tonnerres d'applaudissements, il s'amuse à éviter la traditionnelle et mythique pluie de coussins. Ses musiciens partent, et lui… non. Et ben oui le problème c'est que Benji a décidé de démarrer le rappel seul en tête à tête avec le public pour lui faire répéter une ultime fois ses condoléances, comme pour un déchirant au revoir. Il ne lui manquait plus que les pantoufles tant Fourvière était vraiment sa maison ce soir.