Belle And Sebastian

Qui, aujourd'hui, développe encore des photographies à la main en format A4 ? Qui, aujourd'hui, écoute encore les dernières sorties de Belle and Sebastian ? Sans doute les mêmes qui développent toujours leurs travaux dans leur salle de bains avec de l'eau vinaigrée, du liquide vaisselle, et des pinces à linge.
A l'image du héros de sa sublime pochette, Belle And Sebastian est un groupe d'un autre temps, vivant bien malgré lui en 2023. Vestiges de jours prétendument plus simples expérimentant le 21e siècle, ses membres tentent en vain de poster des photos numériques mal cadrées de développements argentiques sur des réseaux sociaux déjà obsolètes, se résignant les larmes aux yeux à vivre ainsi, coincés entre ce qu'ils étaient et ce qu'ils n'arrivent pas à être. Un constat dont fait allégrement l'étalage Late Developers, enregistré durant les mêmes sessions que le mitigé A Bit Of Previous, et sortant logiquement moins d'un an après son prédécesseur. Et qui dit mêmes sessions dit souvent mêmes intentions, mêmes réussites, et mêmes erreurs.

Ainsi, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle, et autant évacuer tout de suite la mauvaise. Car celle-ci peut heureusement se résumer en quelques mots seulement : I Don't Know What You See In Me. Clairement, on ne sait pas très bien ce que l'on pourrait voir dans cette chanson, si ce n'est qu'elle réussit, en plus de son mauvais goût mélangeant le pire de la musique dance commerciale des années 80, 90, et 2010, à rester toute la journée en tâche de fond, envoyant des labedi-labeda pendant la pause café, les courses du soir, et dès le matin lorsque le réveil sonne 4h trop tôt. Premier et seul single dispensé avant la sortie de l'album, ce crossover entre claviers kitchissimes et composition à la Mika augurait alors d'horreurs innommables et d'écoutes bien difficiles pour votre chroniqueur préféré (vous pouvez le dire, ça reste entre nous).
Mais comme en toute chanson de Belle And Sebastian, tout est bien qui finit bien version aigre-douce, enrobant la mélodie dans la mélancolie, ou l'inverse, et nous faisant d'une seconde sur l'autre passer du rire aux larmes jusqu'à une joie béate. Du très bas vers le très haut, on croise donc tout d'abord les affreuses tentatives d'aguichage I Don't Know What You See In Me et Do You Follow. Viennent ensuite quelques chansons ni vraiment bonnes ni vraiment mauvaises, que sont When We Were Very Young, When The Cynics Stare Back From The Wall, ou encore Juliet Naked, plus qu'intéressante mais incapable de décoller comme pouvait le faire Judy il y a de cela des décennies.

Et enfin, la récompense, le génie que l'on croyait presque disparu, résistant tant bien que mal à la prise des vampires du talent et du temps. Première chanson du tracklisting à nous ramener des années en arrière, Give A Little Time emporte dans un tourbillon de riffs et de voix enserrées les unes dans les autres, un joyeux bordel à la structure fuyante, où chaque instrument semble courir après le bus de la vie, celui qui a visiblement oublié de s'arrêter devant chez vous. Will I Tell You A Secret est littéralement à pleurer, une perle acoustique mêlant guitare douce, clavecin, violon, enchaînée sans coup férir avec So In The Moment, grand huit de pop teintée rock, du Belle And Sebastian à l'ancienne que l'on dirait écrit en 98 pour l'album à la pochette verte.
The Evening Star est une sublime ballade aux airs de Teenage Fanclub, pendant que When You're Not With Me fait office d'improbable réussite, et nous prouve que du Belle and Sebastian peut être dansant, disco, et funky sans s'abaisser à posticher les pires heures de la musique synthé. Le petit tube instantanément mise en playlist de soirée aux côtés d'ABBA et Boney M, l'album se clôt avec Late Developers. La chanson éponyme ressort les trompettes et les maracas pour notre plus grand bonheur déhanché, et malgré des moments mitigés, l'envie ne manque pas de retourner la galette pour replacer le saphir sur la première piste.

Late Developers est donc un album où le meilleur côtoie le pire, et nul doute qu'il y aurait eu matériel à n'en faire qu'un seul, entre celui-ci et son prédécesseur. Un album fantasme, au goût d'années 90, disponible en playlist sous des noms comme Late Previous ou A Bit Of Developers, rappelant aux jeunes cons et aux vieux fous que Belle And Sebastian sont l'un des, si ce n'est le, plus grand groupe de pop-folk de tous les temps. Il y a 25 ans, Belle and Sebastian nous rendaient nostalgique de nos joies, de nos peines, et de nos amours passés. Aujourd'hui, Belle And Sebastian nous rendent tout simplement nostalgique de Belle And Sebastian.