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Young Fathers

Heavy Heavy

Young Fathers - Heavy Heavy
Chronique Album
Date de sortie : 03.02.2023
Label : Ninja Tune
45
Rédigé par Franck Narquin, le 31 janvier 2023
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Après cinq années de silence radio, Young Fathers signent leur grand retour avec un impeccable quatrième album, Heavy Heavy, sortant sur leur label de toujours, le mythique Ninja Tune, après s'être aguerris chez Big Dada, la subdivision dédiée aux jeunes pousses du hip-hop, où l'on a vu éclore des artistes tels que Kae Tempest, Hype Williams (le premier groupe de Dean Blunt), Roots Manuva ou bien encore les français de TTC.

Pourtant ce disque a failli ne jamais voir le jour, les écossais s'étant octroyés une pause délibérée après le succès public et critique de leur troisième opus, Cocoa Sugar, pause un peu trop prolongée par les confinements successifs. A deux doigts de la séparation, Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole et Graham « G. » Hastings ont finalement décidé d'opérer un salvateur retour aux sources, délaissant le confort des studios d'enregistrement et la production léchée de Cocoa Sugar pour composer et enregistrer Heavy Heavy dans un home studio installé dans leur sous-sol, permettant de capter sur le moment la moindre bribe d'inspiration et autorisant les expérimentations sans fins. Si le titre n'avait pas déjà été pris, on aurait bien vu cet album s'appeler Call Me When You Get Lost, tant il permet au trio de revenir à l'essence même de ce que sont Young Fathers. Interrogé sur les raisons d'une telle démarche, Massaquoi avouait que « ce qui nous correspond le mieux, c'est quand on enregistrait dans la chambre de Graham, avec un karaoké et une seule prise ».

Si aucun morceau du nouvel album n'est réellement rappé, on y retrouve pourtant l'énergie brute de titres comme Queen Is Dead ou GET UP ainsi que l'inspiration flamboyante de I Heard, issus de leur EP TAPE TWO et de DEAD, leur debut album, vainqueur en 2014 du prestigieux Mercury Prize au nez et à la barbe de la favorite de l'époque FKA Twigs ou de l'inusable Damon Albarn. Après ce démarrage en trombe, le groupe n'aura de cesse de faire évoluer son style, intégrant à des racines hip-hop, soul et trip-hop des éléments de musique électronique, de rock ou d'indie pop, en faisant ainsi des sortes de cousins édimbourgeois des new-yorkais de Williamsburg, mère patrie des hipsters du monde entier, TV On The Radio.
Si l'on a parlé à propos de Heavy Heavy d'un retour aux sources, celui-ci est avant tout dans son mode d'écriture et d'enregistrement car les trois compères n'ont certainement pas renié leur polyvalence multigenre. L'album n'a beau compter que dix plages, presque toutes sous les trois minutes trente, celui-ci se révèle d'une éclatante diversité stylistique et d'une impressionnante ampleur pour un projet d'à peine trente-trois minutes. Chaque morceau semble avoir été construit comme un objet possédant son propre univers, capable de faire cohabiter des styles a priori opposés, tantôt en les superposant, tantôt en les faisant se succéder dans d'étourdissantes chansons à tiroir. Une chose est sûre, aucun titre n'est ici présent uniquement pour faire le nombre. On compte d'ailleurs sur Heavy Heavy bien plus de trouvailles d'écriture et de production que sur nombres d'arrogants doubles albums, persuadés à tort que seule la durée compte.

Comme à leur habitude, Young Fathers accordent une attention particulière à leur univers visuel et ont confié la réalisation des deux premiers clips de l'album au talentueux artiste austro-nigérian de vingt-trois ans, David Uzochukwu, issu de l'écurie Iconoclast, cette société de production audiovisuelle d'où sortent les meilleurs photographes et clippeurs de demain. Avec son esthétique ultra chiadée et son univers entre zombies et chamanisme, la vidéo de I Saw s'accorde à merveille avec le chaos maitrisé de la chanson sur laquelle s'entrechoquent avec bonheur, rythmique martiale, chant heurté et cœurs gospel. Sur Tell Somebody, les plans grandioses, composés de lents travellings de paysages montagneux comme en apesanteur, viennent transcender la musique et donnent une tout autre envergure à ce beau morceau sous forme de long crescendo.

Deux autres singles sont déjà parus, dont Rice, titre d'ouverture enjoué associant l'aspect solaire de la musique spirituals à une section rythmique toute en basses ronflantes et en percussions détonantes, et Geronimo, dont le trip-hop sombre et inquiétant, hommage assumé au Bristol des années quatre-vingt-dix, fait place à un refrain épique et flamboyant aux allures grandiloquentes de rock de stade.
Les BPM s'affolent sur le sautillant Sink Or Swim et Holy Moly ainsi que sur Drum, avec ses rythmes haletants, ses chœurs haut-perchés et ses textes alternant anglais et yoruba (une des trois langue du Nigéria, pays d'origine des parents de Kayus). Les influences africaines ressurgiront de nouveau avec Ululation et ses enivrants youyous. Le hip-hop syncopé et déstructuré, marque de fabrique des débuts du groupe, fait son retour sur le premier tiers de Shoot Me Down, jusqu'à ce que le morceau ne décélère subitement et mute en soul calme avant de repartir de plus belle pour nous offrir un final tonitruant. L'album se clôture avec Be Your Lady, morceau bicéphale, qui débute et se termine en piano voix tout en douceur et léger comme l'air, mais qui se voit déchiré à mi-parcours par une cacophonie ultra-agressive.

En nommant leur album Heavy Heavy, Young Fathers semblent avoir voulu lancer une fausse piste à l'auditeur tant ils ne creusent jamais deux fois le même sillon et cherchent au contraire en permanence la dualité et l'opposition de styles. Ce nouveau disque s'avère donc fluide et complexe, groovy et tendu, mélodique et déstructuré, d'accès facile mais finalement assez exigeant. Connaissant l'atomique réputation scénique de Young Fathers, désormais armés de dix nouvelles armes de destruction massive, on commence déjà à se préparer en mode commando pour leur venue du vingt-quatre février prochain à l'Elysée Montmartre à Paris pour un concert qui s'annonce déjà comme du très lourd.
tracklisting
    01. Rice
  • 02. I Saw
  • 03. Drum
  • 04. Tell Somebody
  • 05. Geronimo
  • 06. Shoot Me Down
  • 07. Ululation
  • 08. Sink or Swim
  • 09. Holy Moly
  • 10. Be Your Lady
titres conseillés
    Rice - I Saw - Shoot Me Down - Be Your Lady
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