Depeche Mode

« Souviens toi que tu vas mourir » : c'est sous ce titre, Memento mori, que Depeche Mode viennent de sortir leur nouvel album. Au-delà de ce rappel et de sa pochette mortuaire en noir et blanc composée de deux ailes d'anges ornées de fleurs sur un fond noir, ce disque fait figure d'un des plus attendus de l'année. Tout d'abord parce qu'il marque le retour de Depeche Mode, que leur précédent album studio date de 2017, mais surtout parce que c'est un retour sans Andrew Fletcher, brutalement décédé en mai de l'année dernière. Tous ces éléments apportaient donc une saveur très particulière à leur quinzième livraison depuis 1981.

On s'est inévitablement interrogé si la disparition d'Andrew ne signifiait pas la fin de Depeche Mode. Même si tout n'a pas dû être simple, il n'en a finalement rien été. Si le claviériste de la formation occupait une place très importante au sein du groupe de Basildon, Dave Gahan et Martin Gore, les deux têtes pensantes du groupe, ont décidé de continuer l'aventure ensemble. Mais forcément, rien ne sera plus vraiment comme avant. Andrew Fletcher n'a jamais entendu le moindre morceau figurant sur ce nouveau disque et pourtant son empreinte semble omniprésente. Une atmosphère de deuil règne sur les cinquante minutes de Memento Mori. Ghosts Again, le premier extrait qui avait été dévoilé, pourrait s'apparenter à une forme de chagrin camouflé. Pop, assez facile mais relativement efficace, la chanson possède des accents de grande nostalgie avec un son presque daté dont certains passages ressemblent à s'y méprendre à la mélodie du Bizarre Love Triangle de New Order. Depeche Mode qui fait du New Order, c'est tout de même assez cocasse. Plus sérieusement, ce premier simple a principalement déçu par son aspect teenager et son côté assez éloigné de certains tubes imparables que le groupe avait l'habitude de sortir. Mais il est vrai que les hits se sont estompés avec le temps, principalement car les anglais ne cherchent plus à en produire. En conséquence il n'en figure pas sur Memento Mori.

Si le premier single a pu étonner, le second extrait n'en demeure pas moins déstabilisant. My Cosmos Is Mine est une ode sombre qui pourrait s'apparenter à une messe noire. Cette black celebration semble vouloir empêcher toute intrusion dans un monde auquel finalement plus rien ni personne ne pourra accéder. On est très loin de la presque naïveté de Ghosts Again. Si ce choix de single peut forcément paraître surprenant, il plante le décor du disque d'autant que la chanson en est l'ouverture. Cela signifie-t-il que l'on aura affaire à un disque immensément ténébreux ? Oui et non. Oui, car l'ambiance n'est vraiment pas à la fête sur le disque, ou peut-être alors une fête triste. Non, car My Cosmos Is Mine est le morceau le plus sombre de l'album. La ligne synthétique de Wagging Tongue rappelle Kraftwerk, à celle-ci vient s'enchaîner une mélodie électro-pop dont le groupe a le secret. Celle-ci est suivie de la majestueuse Don't Say You Love Me qui offre avec une élégance folle, une valse gothique et mortuaire. Depeche Mode semblent chercher à exorciser leur tristesse en déployant de somptueuses mélodies. On passe ensuite à une ambiance plus électrique mais surtout classieuse et angoissante sur My Favourite Stranger.

Martin Gore, comme sur chaque album, s'octroie une plage vocale: Soul With Me s'avère être plutôt un bon cru, évitant le côté un peu agaçant qu'on a pu trouver sur certains albums précédents. Caroline's Monkey devrait être potentiellement un futur single de Memento Mori. Sa struture electro pop (légèrement) sautillante est somme toute assez séduisante. Before We Drown marie à merveille le sombre et la douceur mais on lui préférera People Are Good, autre single potentiel, à la froideur exaltante, où on retrouve certains éléments sonores de I Feel You. La tension est omniprésente sur Never Let Me Go à travers son rythme froid et sec tout comme dans les guitares qui viennent étoffer la composition. Mais c'est surtout avec Speak To Me, le final de cet album, que Depeche Mode retrouvent le paroxysme de la détresse. Comme appelé par une voix, une force ou une personne, Dave Gahan chante une fois arrivé à destination : « I'm listening, I'm here now, I'm found » avant de disparaître dans un brouhaha sonore en clôture de cette marche funéraire qu'on sentait comme inéluctable.

Depeche Mode réussissent donc leur grand retour avec un disque immensément sombre. Délaissant le copier-coller des quelques morceaux blues figurant sur chacun de leurs derniers albums pour retrouver un univers qui leur colle plutôt bien à la peau, les Anglais devraient convaincre bon nombre des grands fans du groupe avec ces douze nouvelles compositions. On n'ira pas jusqu'à dire que Memento Mori est leur meilleur opus, mais il relève sensiblement le niveau du disque précédent grâce à quelques moments de grâce noirâtre.