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HMLTD

The Worm

HMLTD - The Worm
Chronique Album
Date de sortie : 07.04.2023
Label : Lucky Number Music
45
Rédigé par Adonis Didier, le 3 avril 2023
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Le Ver vit profondément en vous, et vous vivez profondément à l'intérieur du Ver. Le Ver est haine. Le Ver est envie. Le Ver est ego. Le Ver a avalé l'Angleterre. Cette histoire débute alors qu'Henry du pays des Vers abat sa lance sur le grand Ver, dans l'intention de délivrer son amante, la princesse Moonbug, du sort qui l'a transformée en cette immondice rose et aveugle. Bien mal lui en a pris, car du corps défunt du grand Ver, des millions de personnes naissent et grouillent, rêvant un rêve dont la source dégouline du meurtre et de la violence, devenant elle-même le Ver, car le Ver vit profondément en chacun de nous, et nous vivons profondément à l'intérieur du Ver.

Détournant la ballade folklorique de Northumbrie « The Laidly Worm of Spindleston Heugh » (ndlr : La Femme-Ver de Spindleston Heugh), HMLTD transforment le prince embrassant trois fois le dragon-ver en un archange vengeur terrassant sans pitié l'hérétique créature, condamnant l'humanité à vivre une uchronie où Boris Johnson et Donald Trump se retrouvent à la tête d'un état par des moyens démocratiques. Attendez, ça a vraiment existé !? Eh oui, car ce monde de violence où le prince ne décide pas d'embrasser le ver géant mais préfère lui passer sa lance au travers du corps (n'y voyez rien de salace, ou pas), c'est le nôtre. Et comme à chaque fois que le monde part en couille, vous savez ce qu'il se passe ? Un opéra-rock. Presque vingt ans après L'Idiot Américain, et bien plus longtemps après Tommy, Arthur, ou encore Le Mur, HMLTD relancent le genre pour nous rappeler à quel point raconter une histoire à travers un album peut se transformer en une fantastique aventure humaine et musicale, lorsque la sincérité et le talent sont associés et résonnent dans la caisse d'un sujet universel.
Car ce qu'on appelle un opéra-rock, n'en déplaise à Mozart, n'est finalement qu'une histoire dont chaque chapitre est une chanson, avec un début, un milieu, et une fin. Et comme pour tout ce qui raconte une histoire, film, série, BD, comics, manga, et notamment l'opéra, ce qui fonctionne c'est d'avoir une histoire, et de se servir de la particularité de son média pour la transmettre d'une manière qui parvient à la transcender pour toucher intensément le spectateur, lecteur, auditeur ou autre. Combien de livres fantastiques à l'adaptation cinématographique navrante, combien de films réalisés avec beaucoup trop d'argent et pas assez de scénario ? Tout cela pour conclure que l'opéra-rock, c'est une histoire musicale, et pour que ce soit bon, ça demande de raconter une bonne histoire avec de la bonne musique.

Autant dire que le terrain de jeu est idéal pour un groupe dont le genre est de ne pas en avoir, ou en tout cas de ne jamais s'être correctement décidé entre électro, new wave, post-punk, country, funk, et j'en passe, dans un premier album West Of Eden à la direction incertaine et sans véritable consistance. Ce n'était donc pas tant le talent qui pêchait que l'absence évidente de cohérence et de fil conducteur. En bons élèves ayant relu leurs copies surmontées d'un « peut mieux faire », la nouvelle formule impliquera de maîtriser cette diversité stylistique à travers le récit d'une humanité changée en Vers emplis de vices par le meurtre originel. Une alliance entre le prince, la grenouille, et le jardin d'Eden qui va, en plus de servir de trame narrative à l'album, canaliser la musique vers l'histoire, ne laissant que le nécessaire, dégraissant les poses et les attitudes pour ne garder que la volonté de transmettre.
Et à ce petit jeu, ces anglais-là sont peut-être parmi les tout meilleurs, dans la lignée des Who, des Kinks, de Queen, et des Pink Floyd. Ainsi, Wyrmlands déblaye avec un swing-jazz-post-punk piqué à Opus Kink, The End Is Now mélange chœurs féminins de gospel et rock anglais 70's Bowiesque, Days est une lente douceur au piano virant progressivement dans le post-rock, avant que Saddest Worm Ever ne revienne vers le post-punk, rajoute des tiroirs, des chœurs, des arpèges acoustiques, pour un résultat où l'on discerne à peine les chansons tant chacune d'elles semble être un prolongement naturel de la précédente, bien aidée par les quelques passages de discours, prédications, et autres témoignages agrémentant débuts et fins de chansons pour ajouter à l'ambiance et à la compréhension. On suit Henry Spychalski, personnage de fiction et bien réel leader de HMLTD, sans ressentir le déroulement de l'album. On avale les chapitres les uns après les autres, l'histoire de ce meurtrier primal, Ver éclairé du fait qu'il est un Ver, dans sa quête pour rendre leur humanité aux Vers humains en leur faisant bisous et câlins, en leur rendant leur estime et leur confiance en l'avenir, un avenir fait d'un rêve ne provenant pas du sommeil d'un autre.

La fin de l'album, enchaînement The Worm, Past Life (Sinnerman's Song), et Lay Me Down, est indescriptible, tant la musique a dépassé la musique, se projetant par elle-même sur l'intérieur de nos paupières fermées, puisant ses effets spéciaux dans les limites de l'esprit humain, déroulant la création divine, les batailles épiques, la chute du héros, sa rédemption, et son voyage final dans le soleil couchant dans des éclats de cymbale, des cris de guitare, et des violons volant jusqu'au Valhalla, portant les héros tombés sur leur dos ailé.
L'histoire est universelle, l'être humain s'est perdu lui-même, non il n'est pas un gars bien, oui il a fait des erreurs, mais il a appris à se connaître, à s'aimer, ça l'a aidé à aimer les autres, pour devenir une meilleure personne, pour tuer le Ver. Le Ver est ce que l'on devient en s'oubliant dans l'acharnement à accomplir le rêve capitaliste, métro, boulot, BMW, MDMA et date Tinder. HMLTD se sont chargés de nous le rappeler dans un opéra-rock qui figure déjà parmi les meilleurs jamais composés, sans fioritures, sans boursouflures, que de la musique, que de l'histoire, et de la bonne.
tracklisting
    01. Worm's Dream
  • 02. Wyrmlands
  • 03. The End Is Now
  • 04. Days
  • 05. Saddest Worm Ever
  • 06. Liverpool Street
  • 07. The Worm
  • 08. Past Life (Sinnerman's Song)
  • 09. Lay Me Down
titres conseillés
    Past Life (Sinnerman's Song), Lay Me Down, Wyrmlands
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