Chronique Album
Date de sortie : 21.04.2023
Label : Invada Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 19 avril 2023
Attention, oreilles sensibles et catho-droitards s'abstenir. Benefits, le combo sonique ultra-engagé venu de Teesside, tout au Nord de l'Angleterre, sort enfin son très attendu premier album NAILS sur Invada Records, le label de Geoff Barrow (Portishead, Beak>).
Si l'association des oto-rhino-laryngologistes et la rédaction de Valeurs Actuelles déconseillent fortement son écoute, le groupe peut compter sur le soutien de la presse anglaise (et de quelques webzines français toujours bien inspirés) ainsi que celui de Frank Black, Sleaford Mods et Steve Albini. Du premier, ils ont retenu le « loud, quiet, loud » (avec une grosse dose de loud), des seconds le style vocal « 50% spoken-word, 50% rap, 100% punk » et du troisième, la production à l'os, sans concession ni fioriture. On conseille d'ailleurs vivement aux plus jeunes de se renseigner sur les albums produits par le grand Steve ainsi que sur ses méthodes de travail (cette lettre cultissime rédigée à Nirvana avant d'enregistrer In Utero !), car encore plus qu'un son caractéristique, c'est une certaine idée du rock, du music-business et de la déontologie nécessaire pour y survivre sans jamais s'y perde que prône Albini et que semblent aujourd'hui suivre Benefits.
Si de bonnes fées se sont penchées sur le berceau des anglais, leur leader et vocaliste, Kingsley Hall, ne semble pas être né avec une cuillère en argent dans la bouche mais plutôt la rage aux lèvres et les armes aux poings. C'est précisément cette colère viscérale qu'il tente de nous transmettre avec ses textes coups de poings sous formes de slogans impactants et cette musique bruyante, voire bruitiste, qui n'oublie pas, à coups de batterie bien carrée et de loops électroniques, de rester efficace. Fidèle à ses convictions, le groupe, formé en 2019, a évolué jusque-ici sans label ni management ou attaché de presse. Pourtant, en appliquant les recommandations même du groupe (« Question Everything » nous rappellent-ils dans Marlboro Hundreds), on ne peut s'empêcher de penser que Benefits maîtrisent à merveille tous les codes du combo punk aussi révolté que hype. De leur beau et sobre logo en Helvetica (la typo préférée de tous les graphistes d'agence de com) à leurs vidéo clips minimalistes mais assurément réseaux compatibles, en passant par leurs impeccables pochettes graphiques et leurs réseaux sociaux plus qu'actifs, le groupe fait un sans-faute dans sa communication. Pour autant cette ambivalence, ô combien humaine, ne vient en aucun cas discréditer la démarche des anglais car au-delà de toute analyse a posteriori, la première écoute de NAILS s'avère être une claque magistrale dont on ne peut que louer la radicalité.
Benefits ne sont pas du genre à attendre que vous ayez posé votre vinyle sur votre platine Pro-Ject et allumé votre ampli à lampes avant de confortablement vous poser dans votre canapé. L'idée est ici plutôt de prendre directement l'auditeur à la gorge et de lui asséner deux sacrés coups de boule avec Marlboro Hundreds, single de 2019 présenté ici dans une nouvelle version, moins brouillonne mais toujours aussi tonique et Empire, dont l'ambiance lourde et les hurlements viennent le faire flirter avec le death metal. Après une telle entrée en matière, digne d'une double droite de Francis Ngannou, le champion de MMA, vous pourriez être tentés de jeter l'éponge. Mais les anglais qui ambitionnent de se produire ailleurs que dans des bouges d'art contemporain ou des caves de Middlesbrough et conscients que la simple posture d'agitateurs ne mène qu'à une carrière à la Jean-Pascal, ont pris le temps d'écrire de vraies chansons. Avec sa batterie entrainante et sa boucle electro, Warhorse ressemble à du Sleaford Mods très énervé mais fait ici office de sympathique premier single tandis que Shit Britain et Mindset, garantis sans aucun cri, pourraient figurer sans peine sur le dernier album de Kae Tempest, calmes mais tendus à souhait et dévoilant les talents de story teller d'un Kingsley Hall au flow spoken-word à la limite du rap.
Les oreilles les plus furieuses ne seront pas en reste avec d'autres déferlantes de déluge sonore comme What More Do You Want, Meat Teeth ou Traitors. Mais le groupe semble trouver le juste équilibre entre diatribe politique, agression musicale et efficacité electro-punk avec Flag. Ce morceau concentre la substantifique moelle de chacun des autres titres et s'impose à la fois comme une porte d'entrée idéale dans l'univers de Benefits ainsi que son actuel sommet.
Que vous le détestiez ou que vous l'adoriez, qu'il tourne en boucle ou qu'il vous lasse dès la deuxième écoute, NAILS n'en demeure pas moins une proposition unique et un disque dont aucun adepte du Son de la Violence ne saurait se passer. Si la rumeur court que sur scène l'expérience est encore plus tellurique, on lui répondra que c'est à la fin du bal qu'on paie les artistes et nous attendrons ainsi la prestation du groupe en mai à Paris lors de la gargantuesque Block Party du Supersonic, à laquelle participent certaines des formations les plus prometteuses de la perfide Albion, pour voir si Benefits sont parés pour lancer une OPA sur le rock anglais.