Chronique Album
Date de sortie : 21.03.2025
Label : Invada Records
Rédigé par
Franck Narquin, le 18 mars 2025
Avec Nails (2023), Benefits signaient une déclaration de guerre, un premier album en forme d 'acte fondateur, de cri primal et de profession de foi. Sans aucune guitare mais furieusement punk, le disque pulvérisait les carcans du rock-business. Il fallait tout brûler et casser à grand coup de marteau le format guitare-basse-batterie, couplet-pont-refrain et métro-boulot-dodo. Jugé inaudible et grossièrement bruitiste par les uns ou d 'une radicalité salvatrice par les autres (dont Steve Albini, Frank Black, Sleaford Mods et Pete Doherty), NAILS avait au moins le mérite de ne laisser personne indifférent. Tout brûler, tout casser, c 'est bien joli mais que faire après ? Consolider son petit statut de sensation underground avec un « NAILS 2 » ou repartir de zéro et tout reconstruire ? Refusant la redite et la stagnation, Benefits entreprennent une refonte totale et optent pour une mutation radicale avec Constant Noise. Si l 'esprit contestataire reste intact, la forme, elle, change du tout au tout. Ce second LP n 'a plus rien à voir avec le premier mais reste du Benefits à l 'état pur : sec, puissant, aride, essentiel. Révolté et ironique. Cruel et nécessaire. Humble et ambitieux. Pragmatique et révolutionnaire. En deux mots, un putain d 'album.
Constant Noise, single éponyme, s 'ouvre sur une fièvre brûlante, une rage qui monte en pression. Kingsley Hall s 'interroge : est-ce une colère légitime ou juste le plaisir du combat ? (“I can 't remember my motive. Do I really care or do I just enjoy the fight?”). Une question qui résume parfaitement l 'état du monde moderne, où l 'indignation devient parfois une fin en soi, un moteur qu 'on alimente sans même se souvenir de ce qui l 'a déclenché. Sur ce disque monstre composé de longs textes scandés, parlés, rappés ou éructés et de morceaux oscillants entre fureur électronique et nappes ambient vaporeuses, Benefits dissèquent au scalpel la société anglaise avec une acuité chirurgicale sans oublier de soigner la forme. La production des titres les plus clubs (Land Of The Tyrants, The Victory Lap, Blame...) a été confiée à James Welsh (du label Phantasy), connu pour marier comme personne rock hardcore et dance music, tandis que James Adrian Brown (ex-Pulled Apart By Horses) signe notamment celle des titres les plus sombres et calmes (Constant Noise, Missiles, Everything Is Going To Be Alright...). On pourrait reprocher à Constant Noise son aspect protéiforme, sa densité parfois éprouvante et sa longueur exigeante (quatorze titres sur près d 'une heure) mais c 'est justement ce qui rend ce disque aussi singulier et passionnant. Benefits digèrent des décennies de musiques rebelles pour mieux exploser leurs propres codes, nous offrant à la fois la fête et sa gueule de bois.
Les fans de la première heure pourraient craindre que ce changement de direction ne s 'accompagne d 'une démarche plus consensuelle et moins authentique. On les rassure car désormais en duo (Robbie Major aux machines et Kingsley Hall au micro), Benefits continuent de boxer avec la même vigueur et s 'ils ont troqué la fureur du punk hardcore pour une musique électronique complexe et décomplexée, leurs coups font toujours autant de dégât. Ils ont simplement troqué les coups de massue de Mike Tyson pour le jeu de jambes de Mohamed Ali. Land Of The Tyrants marche sur les plates-bandes d 'Arab Strap, dont ils ont assuré les premières parties, tandis que The Victory Lap ou Blade sentent le houblon et la sueur des dancefloor comme sur les meilleurs titres d 'Underworld. Quand ils calment le jeu sur des plages telles que Continual et Everything Is Going To Be Alright, le groupe parvient à atteindre une hauteur et une grâce inattendue, mettant en exergue leurs textes acerbes et frondeurs. Une parfaite maîtrise de la langue de Margaret Thatcher et du contexte socio-économique du nord-est de l 'Angleterre pourrait s 'avérer nécessaire pour saisir toutes les subtilités du discours émanant du cerveau tourbillonnant de Kingsley Hall mais même sans cela on parvient aisément à capter aisément l 'essentiel, la substantifique moelle, l 'esprit punk entre révolte et désillusion.
Si NAILS fracassait tout sur son passage, Constant Noise creuse plus profondément, infiltre les failles et s 'y installe comme une guerre d'usure. Benefits refusent la posture figée de la radicalité pour mieux réinventer la contestation. Chaque morceau oscille entre l 'assaut et l 'érosion, l 'urgence et la persistance. Le punk n 'est pas mort, il danse désormais sur les cendres d 'un monde en feu.