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Arlo Parks

My Soft Machine

Arlo Parks - My Soft Machine
Chronique Album
Date de sortie : 26.05.2023
Label : Transgressive Records
4
Rédigé par Bertrand Corbaton, le 21 mai 2023
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Il n'aura fallu qu'un seul album à Arlo Parks, de son véritable nom Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho, pour mettre à peu près tout le monde dans sa poche grâce à ses compositions pop R'N'b soul regroupées dans Collapsed In Sunbeams au début de l'année 2021. Il ne fait pas sans dire que l'attente d'une suite se faisait grandissante, et que la sortie du single Weightless avait de quoi aiguiser notre appétit.

Pour ceux d'entre vous qui auraient loupé les premiers pas de l'artiste, il est toujours temps de vous plonger dans cette merveille de premier album, avant de découvrir My Soft Machine, qui intéresse notre propos aujourd'hui, et dont le titre s'inspire de The Souvenir de Joanna Hogg. Peut-être avait-elle conscience de la difficulté à donner une suite à Collapsed In Sunbeams, peut-être avait-elle en tête l'impossibilité de refaire deux fois le même disque, toujours est-il que la jeune anglaise a décidé d'opérer un virage important dans l'approche de ce nouvel album. Cette annonce pourrait inquiéter ceux qui se sont laissés prendre dans les tessitures cotonneuses des premières compositions mais c'est malheureusement le cas et il n'y a rien que vous pourrez y faire.


Ce nouvel album est définitivement et foncièrement différent dans sa conception et ses intentions. À ce sujet, si Paul Epworth est toujours de la partie, exit Gianluca Buccellati, producteur et occasionnellement compositeur sur Collapsed In Sunbeams. La suite de l'aventure s'opère avec une équipe élargie qui ne laisse pas de doute quant à la volonté d'explorer différents chemins. À titre d'exemple, sur Pegasus, Arlo Parks s'offre un duo avec la chanteuse américaine Phoebe Bridgers. On a du mal à comprendre ce qui peut réellement rapprocher ces deux artistes de prime abord naviguant dans des univers différents. Ce titre plutôt évident et assez vite expédié fait preuve du désir désormais affirmé de s'ouvrir à de nouveaux horizons. Au final, il s'insère parfaitement dans le propos, alors qu'il aurait totalement dépareillé sur l'album précédent. Dog Rose finit de nous convaincre de la tentation pop qui plane sur My Soft Machine. Cette chanson à la structure folk pop affirmée et à la mélodie à la guitare redondante parvient à ses fins, et ce joli morceau en séduira plus d'un.

Les esprits chagrins pourraient surtout voir ici une démarche pour s'adjuger un public nouveau, s'ouvrir la porte de médias, et se servir de Collapsed In Sunbeams non pas comme un étendard mais comme un tremplin pour voir plus haut. On voudrait ne pas y croire, pourtant, les faits sont difficilement discutables. Mais comment ne pas l'imaginer ne pas aller dans cette direction après avoir fait des premières parties d'Harry Styles ou Billie Eilish ? Fréquenter des artistes d'une telle renommée aurait-il eu des répercussions sur la façon dont Arlo Parks appréhende la suite des événements ?
Pour se convaincre que l'artiste n'a pas vendu son âme au diable, il suffit d'aller plus loin et se pencher sur des titres comme Room (Red Wings), charpentée d'un R'n'B absolument brillant qui aurait eu toute sa place sur l'album précédent. On retrouve ici le flow soyeux du chant qui louvoie onctueusement sur une mélodie menée magnifiquement du début jusqu'à la fin, avec un refrain ravageur. Ghost a aussi en lui la sève qui coule dans le plus profond des titres de Collapsed In Sunbeams. Voici là les seules incursions sur des terres déjà connues, et ces deux titres sont des réussites. Arlo Parks est en terrain conquis et maîtrise son sujet sur le bout des doigts. Pourtant, la plupart du temps, nous voici embarqués vers de nouveaux rivages.

Parfois, l'effet de surprise montre clairement ses limites, comme sur Blades, où l'enrobage électronique peine à fonctionner malgré l'accroche immédiate du refrain. Avec Devotion, c'est un parfait contre-pied qui est pris. Ce morceau à la basse omniprésente dévoile une structure très pop-rock qui termine par une guitare saturée des plus désarmantes. Si Arlo Parks s'en sort avec les honneurs là encore, la sensation de ne plus retrouver son chemin malgré le fil conducteur qu'est la voix et le talent de l'artiste commence à se faire de plus en plus prégnant, et quitte à nous surprendre, il eut été judicieux de ne pas nous laisser perdus dans ce labyrinthe auquel ressemble de plus en plus My Soft Machine.
Pourtant, la Londonienne a en elle assez de talent pour ne pas nous abandonner, et elle réussit avec brio à nous rattraper par des moments de grâce dont elle a le secret. On pourrait évoquer le nuageux Puppy et sa guitare légère et redondante. Mais la lumière vient surtout du remarquable Purple Phase. Ce titre absolument brillant par la mélodie de cet arpège ravissant a tout pour rester ancré dans votre tête. Le chant d'Arlo Parks est d'une profondeur et d'une force admirable. Voici un grand moment de cet album qui justifie à lui seul que vous vous penchiez dessus. C'est brillant.

L'intensité ne faiblit pas vraiment sur ce I'm Sorry aux contours pourtant simples mais emplit d'une mélancolie vaporeuse et délicate totalement enivrante. Voilà de quoi compenser utilement le single Impurities que l'on avait pu découvrir un peu plus tôt et qui, malgré des tentatives louables, fait preuve d'un manque d'originalité trop flagrant pour se mettre au niveau et réussir à nous emporter.
Car My Soft Machine, marqué par le sceau d'un éclectisme non feint, est aussi définitivement caractérisé par une absence d'homogénéité due aux nombreuses influences. À trop vouloir essayer de nouvelles choses, l'album est au final assez inégal, et pêche par un manque de densité qui faisait la force de Collapsed In Sunbeams. My Soft Machine est un album de clichés photographiques, ou elle tente de figer des situations vécues par elle ou par des proches. Cette ouverture amène un propos bien moins auto-centré que sur l'album précédent, mais illustre également une mise en danger tant dans le propos que dans les compositions, qui n'est pas toujours récompensée.

Une redite aurait été bien plus facile. Mais My Soft Machine dessine les traits d'une artiste qui cherche à se renouveler. La crainte de la voir tomber dans un monde mainstream est bien sûr présente, mais vous n'avez pas d'autre choix que de lui faire confiance. Néanmoins, rien ne tombe à plat et l'artiste parvient à maintenir l'ensemble à flot par un talent et une aura qui lui sont propres. Arlo Parks est sûre de son propos même lorsqu'elle se lance dans l'inconnu. La déception sera certainement grande pour ceux d'entre vous qui auraient souhaité rester dans l'intimité de l'artiste que vous offrait Collapsed In Sunbeams, mais ne vous gâchez pas le plaisir que vous offre My Soft Machine.

Cette artiste est brillante, et malgré tout, une telle maturité sur un second album est simplement saisissante.
tracklisting
    01. BRUISELESS
  • 02. IMPURITIES
  • 03. DEVOTION
  • 04. BLADES
  • 05. PURPLE PHASE
  • 06. WEIGHTLESS
  • 07. PEGASUS (feat.Phoebe BRIDGERS)
  • 08. DOG ROSE
  • 09. PUPPY
  • 10. I'M SORRY
  • 11. ROOM (RED WINGS)
  • 12. GHOST
titres conseillés
    PURPLE PHASE, I'M SORRY, WEIGHTLESS
notes des lecteurs
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