Royal Blood

Qu'on aime ou qu'on déteste Royal Blood, l'accent mis sur le duo de Brighton est toujours centré sur sa nature élémentaire. Il faut dire que la basse, la batterie, le blues stoner sale et cette forme d'angoisse qui émanent de la musique du groupe ne cessent de revigorer depuis près de dix ans toute une génération en manque de rock. Il faut dire que cette dernière est en prise à une époque où ses valeurs sûres s'adonnent à des dérives plus ou moins convaincantes, mais il serait toutefois injuste de réduire Royal Blood à son panache et ses riffs accrocheurs. En témoigne le virage artistique négocié avec brio sur le troisième album Typhoons (2021) qui les a vus élargir leur palette sonore sans trahir les atouts qui ont fait sa renommée. Une belle preuve, s'il en fallait réellement une, pour celles et ceux qui doutaient de la possible évolution de ce duo et toutes les limites que cela incombent. Guidés par leur amitié et une musicalité intuitive, Mike Kerr et Ben Thatcher ont décidé de conserver cet esprit d'indépendance sur leur quatrième album Back To The Water Below qui paraît ce premier jour de septembre. Ils se sont donc terrés dans leur studio à Brighton, assurant eux-même pour la première fois l'intégralité de la production du disque, afin de garder la main sur les compositions mais aussi et surtout pour éviter de tomber dans la facilité en reproduisant les recettes à succès déjà bien usées. Ils ont ainsi découvert que les meilleures idées étaient le résultat de la poursuite de leurs instincts et de leur connexion tacite. Tout aussi important, les deux hommes ont mis de côté toute préconception sur ce que devrait être Royal Blood et se sont accordés la liberté d'embrasser d'autres idées : parfois être guidés par des mélodies plutôt que par des riffs - au grand dam de cette insupportable et sempiternelle (maigre) frange de leur public qui appellent de ses vœux les plus chers un retour aux ères Royal Blood et How Did We Get So Dark?. À quoi faut-il donc s'en tenir ?

Les profondeurs du titre de ce quatrième opus Back To The Water Below semblent servir de métaphore au chemin de croix qui mène jusqu'à la rédemption, sans fin et semé de tentations, arpenté par Kerr depuis qu'il a décidé de ne plus être aux prises de la drogue et de l'alcool. Décrivant le disque comme une exploration d'un « endroit angoissant mentalement », le tracklisting retrace ses pas à travers ce cycle perpétuel. L'album commence sur les chapeaux de roues avec Mountains To Midnight, un des morceaux les plus rapides de la discographie du groupe, qui aurait eu toute sa place sur les deux opus évoqués plus haut par son côté brut de décoffrage et sa filiation avec l'inspiration de toujours : Queens Of The Stone Age. Même peine pour Triggers et Tell Me When It's Too Late, reconnaissable par ses chœurs Kasabian-esques, conçues de manière véritablement « classiques », mais se distinguant par de petits ornements subtils et surtout bien moins tape à l'œil que sur Typhoons. Heureusement pour nous, le groupe est du genre à se renouveler et ne tarde pas à le démontrer.


Même si ses paroles peuvent être aussi franches que par le passé, l'obscurité y est beaucoup moins explicite, transmettant l'émotion en termes plus abstraits. Au lieu du ton confessionnel, il y a un regard plus embrumé sur la culpabilité et l'anxiété, parfaitement illustré sur Pull Me Through, une des pistes les plus intrigantes et réussies de Back To The Water Below. Il faut dire que la chanson a de quoi nous désarçonner avec son piano plaintif et son rythme sinistre pour illustrer ce moment où l'on décide d'abandonner le fait de persévérer seul et de trouver la force de demander de l'aide : « Heart swinging like a punch bag / Waiting on you / To pull me through », scande Kerr avec un air de reddition qui marque chaque mot. Ailleurs, Royal Blood présentent de nombreuses surprises sans jamais compromettre l'essence de leur identité et deviennent même particulièrement intéressants, lorsque des influences pop inattendues viennent s'immiscer telles qu'Oasis (How Many More Times) ou encore les Beatles (The Firing Line) où le groupe montre qu'il sait écrire des mélodies efficaces traversées de chœurs charmeurs. Un talent qu'on retrouve dans les deux belles ballades clôturant l'album There Goes My Cool - un morceau cérébral et psychédélique - et Waves qui, à la manière de Queen, Coldplay ou Muse, osent un lyrisme décomplexé. Une fin d'album orchestrée intelligemment qui vient parfaire la chute soudaine de l'élan que l'on retrouvait sur la piste de clôture de Typhoons. Au-delà de leur qualité intrinsèque, ces chansons permettront sans aucun doute à Royal Blood d'élargir le spectre musical de leur set sur scène, mais auront surtout pour bienfait d'amplifier la puissance de ces moments les plus tapageurs. À voir si les deux amis préféreront rester tous les deux sur scène, à l'image de la conception de l'album, où garniront leurs rangs de musiciens additionnels - passage presque obligé pour les groupes qui ne cessent de se développer.

En seulement trente minutes et dix morceaux, Royal Blood nous prouvent qu'ils sont sur une pente ascendante qu'ils ne sont pas prêts de quitter, mêlant ce qu'il savent faire de mieux à l'expérience et la maturité glanées au fil des années. En somme, étendre sa portée sans jamais se déraciner - comme une partie d'Age Of Empires parfaitement gérée. Écouter Royal Blood jusqu'alors était similaire à un film Marvel : être diverti, sans être réellement investi. Avec un disque quasi-concept, seulement altéré par l'ouverture subtile sur d'autres styles, le duo nous propose une musique plus fouillée et plus dense à la production parfaitement dosée. Exit les craintes de ne pas les voir se renouveler, il ne reste plus qu'à se laisser surprendre par la ou les directions qu'il décidera d'emprunter. La seule certitude est que ce ne sera pas sur un chemin balisé.