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James Blake

Playing Robots Into Heaven

James Blake - Playing Robots Into Heaven
Chronique Album
Date de sortie : 08.09.2023
Label : Republic Records
45
Rédigé par Franck Narquin, le 11 septembre 2023
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On ne présente plus James Blake, véritable star de l'électro-pop planante et mélancolique, à la voix reconnaissable entre mille et auteur de cinq beaux LP depuis 2011 et son premier album éponyme porté par sa mémorable reprise de Limit To Your Love de Feist. Il tracera le même sillon sur ses deuxième et troisième disques, imposant un son « James Blake », à savoir une voix soul blanche haut perchée posée sur des musiques atmosphériques à la croisée de la pop, de l'électro et de l'ambient. Mais c'est grâce à son génie du collage sonore qu'il se fait remarquer à tel point que tous les poids lourds de l'industrie US, parmi lesquels Frank Ocean, Beyoncé, Kendrick Lamar et Jay-Z, se sont arrachés ses talents de producteurs. Il ouvrira tout naturellement ses quatrième et cinquième disques aux collaborations de prestige (Rosalia, Andre 3000, Travis Scott, SZA...), gagnant en public et notoriété ce qu'il perdra en originalité et créativité.

Bien qu'un nouveau James Blake soit toujours une grosse sortie, on avoue aisément que le sixième album de l'auteur était loin de faire partie de ceux que nous attendions le plus en cette rentrée. Pourtant, Big Hammer, premier single issu de Playing Robots Into Heaven, nous avait mis la puce à l'oreille. Ce titre au son abrasif et agressif, sorte de dancehall mâtinée d'électro expérimentale samplant les voix des Ragga Twins, légendes de la jungle UK, préfigurait une orientation toute nouvelle de la musique du sorcier anglais et avait sacrément aiguisé notre curiosité. James Blake, belle au bois dormant, quelque peu assoupie sur ses lauriers, se serait-il subitement réveillé au milieu d'un night-club enfumé jamaïcain ? Ce n'est finalement pas tout à fait ça et si ce morceau demeure un réel ovni, il annonçait bien le virage à 180 degrés pris par le londonien de trente-quatre ans.
Composé de onze titres, dont près de la moitié instrumentaux et sans aucun featuring, Playing Robots Into Heaven est un véritable retour aux sources, renouant avec ses premiers EPs post-dubstep et électroniques. Une démarche faisant penser à celle de Disclosure avec leur Alchemy paru en juillet dernier. Pourtant James Blake ne se contente pas ici d'une simple et vivifiante cure de jeunesse tant cet album fait également figure d'œuvre somme, sur laquelle le brillant producteur y reprend et réinvente les diverses facettes de son univers musical. Bricolage électro et songwriting élégant, groove hip-hop et énergie dubstep, atmosphères flottantes et bangers dancefloor, on retrouve ici tous les styles visités par le passé par James Blake mais, et c'est là que réside la force et la beauté du disque, soit sous une forme totalement inédite (disons pour simplifier la face A), soit renouant avec le niveau de son apogée créative (en résumé, la face B).

A la manière du double album MK 3.5: Die Cuts / City Planning de ses amis de Mount Kimbie, auquel il avait collaboré, et qui présentait une première partie hédoniste fruit des collaborations hip-hop de Dom Marker suivie d'une seconde de musique électronique pure et dure et sans concession de Kai Campos, Playing Robots Into Heaven est un disque coupé en deux, offrant en face A des titres clubs aux BPM élevés et dévoilant une nouvelle facette de James Blake, plus musclée et rentre-dedans que jamais, alors que la face B fait la part-belle aux morceaux doux et introspectifs. On pouvait reprocher à l'album de Mount Kimbie l'absence de connexions entre ses deux parties, mais ici la face A se trouve en permanence infusée d'une mélancolie et d'un spleen « Blakien » tandis que la face B, d'apparence plus classique, voit ses compositions de haut-vol twistées par de réjouissantes trouvailles de productions électroniques.

L'écoute s'ouvre par Asking To Break qui se promène à la frontière des deux univers de l'album comme si la chanson n'avait de cesse de vouloir se défaire de son format de ballade pop pour endosser ses habits de pépite électronique. Puis vient Loading qui débute comme un titre classique de James Blake, un brin solennel et sentencieux, avant qu'au bout de quarante-cinq secondes les beats ne s'envolent, annonçant le virage club de cette première partie. Ne cessant de varier de rythme et de mélodie, cette chanson à tiroir semble être le fruit d'une heureuse rencontre entre Radiohead et Tyler, The Creator. Tell Me vient enfoncer le clou avec ses sirènes très rave 90's auxquelles succèdent un chant soul lascif laissant l'auditeur sur le qui-vive, ne pouvant anticiper la suite du morceau qui alternera longues montées, jouissifs drop techno et accalmies pop. Ce grand-huit musical extatique s'avère être un des sommets de l'album et peut être même de la discographie de l'anglais.

L'auditeur conquis par ces morceaux de bravoures rendus faciles d'accès grâce à des gimmicks aussi efficaces que roublards, James Blake décide alors de pousser peu à peu les curseurs vers une musique électronique plus complexe sur les trois prochains titres, quitte à déstabiliser ses fans les plus frileux. Avec son ambiance lugubre à la John Carpenter et sa rythmique syncopée à la Basement Jaxx, Fall Back donne envie de se déhancher tard la nuit sans se soucier du lendemain dans de sombres bouges interlopes. Construit autour d'un sample de Wonderful de Pastor T.L. Barrett, chant gospel de 1971, et de notes acides et syncopées de synthétiseur, He's Been Wonderful est un pur exercice de style qui ravira les amateurs de collages dadaïstes mais en laissera plus d'un perplexe. Cette première partie d'album sera conclue par Big Hammer, dont nous avons déjà parlé et qui sera surement tout aussi clivant. Si j'ai émis quelques réserves pour ne pas décevoir les lecteurs en partant trop dans l'emphase, je considère personnellement que James Blake fait ici preuve d'un incroyable panache pour un artiste d'une telle stature en proposant trois titres d'affilés d'une telle radicalité plutôt que d'inviter des rappeurs pour faire monter la température autant que le nombre de streams.

Après cette première face aussi flamboyante que surprenante, la seconde moitié déçoit un peu à la première écoute. Composée de cinq titres lents et mélancoliques, elle apparaît de prime abord comme un retour aux affaires courantes et nécessite un léger sas de décompression pour se remettre des sommets tutoyés par les six premiers morceaux. Pourtant après plusieurs écoutes, on constate que cette partie s'avère tout aussi passionnante que la première et que l'aspect répétitif et redondant de ses titres downtempo qui rendait certains de ses précédents albums un peu lassants ou trop uniformes est ici totalement évité. Sur une rythmique 2step adoucie par des nappes d'electronica soyeuse, James Blake sample Beautiful de Snoop Dogg et Pharrell Williams sur I Want You To Know et semble ainsi boucler la boucle en intégrant un standard du hip-hop californien à sa musique après avoir apporté tant de fois sa touche britannique à des tubes de rap américains. Night Sky est quant lui le seul titre peu convaincant de l'album, son electronica pointilliste à la Four Tet se perdant en cours de route.

Après les premières notes de Fire The Editor, on se dit que c'est typiquement le genre de ballade dépouillée et supposément envoutante que l'anglais a déjà composé mille fois et qu'on espérait pouvoir enfin éviter. Quatre minutes plus tard, les yeux embués on aura totalement changé d'avis. Ce petit chef d'œuvre de pop mélodique et nostalgique se voit sublimé par une production aussi subtile qu'inventive et s'impose comme un d'une des plus belles chansons de l'album. Ne rangez pas si vite vos mouchoirs, ils risquent de vous servir pour If You Can Hear Me, bouleversant piano-voix sur lequel James Blake s'adresse à son père, nous laissant pénétrer son intimité tout en conservant une pudeur toute britannique. Déjà au garde à vous, les poils sur nos bras resteront dressés comme des i jusqu'à la fin du titre éponyme, Playing Robots Into Heaven, dont l'ambient minimaliste évoque le grand Brian Eno.

Depuis quelques jours, ce sixième LP de James Blake tourne en boucle et refuse de quitter nos platines, chaque écoute apportant son lot de surprises et annonçant un album aussi long en bouche qu'immédiatement plaisant. Se réjouissant d'un tel retour en grâce, on s'est demandé depuis quand un des albums de l'artiste nous avait autant séduit, on a alors reparcouru consciencieusement toute sa discographie afin de se rafraîchir la mémoire pour finalement constater qu'avec Playing Robots Into Heaven, James Blake venait tout simplement de signer son meilleur disque.
tracklisting
    01. Asking to Break
  • 02. Loading
  • 03. Tell Me
  • 04. Fall Back
  • 05. He’s Been Wonderful
  • 06. Big Hammer
  • 07. I Want You to Know
  • 08. Night Sky
  • 09. Fire the Editor
  • 10. If You Can Hear Me
  • 11. Playing Robots Into Heaven
titres conseillés
    Loading - Tell Me - Fire The Editor
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