Chronique Album
Date de sortie : 09.08.2024
Label : Dirty Hit
Rédigé par
Adonis Didier, le 8 août 2024
« Voici comment demain bouge » : l'histoire d'une artiste d'abord sensation internet, dépassée par la hype, écrasée par le nombre de ses références grunge et folk tirées des années 90, mais comme le talent trouve toujours sa voie, devenue aujourd'hui une musicienne sûre d'elle et de son œuvre, à la direction honnête et ne cherchant plus à être autre chose que beabadoobee.
Des tas de singles et d'EPs plutôt convaincants pour commencer, un premier album Fake It Flowers faussement grunge, plutôt beabadoobof, suivi de la révélation Beatopia en 2022, deuxième effort beaucoup plus pop, folk et Rn'B, reprenant la personnalité de Beatrice Kristi Ilejay Laus à la base, en enfance, album Peter Pan servant de déclic à la direction musicale de l'artiste, s'acceptant enfin telle qu'elle est dans un millénaire qui est le seul qu'elle ait jamais connu.
Une trilogie peu commune, qui se termine mieux qu'elle n'a commencé, escalier vers le paradis dont la dernière marche se nomme This Is How Tomorrow Moves, troisième album studio de beabadoobee achevant la métamorphose du papillon, et déployant ses grandes ailes en vibrantes aquarelles dans l'âge adulte. Un âge adulte qui semble déjà un peu plus doux, un peu plus facile à vivre maintenant que la musique de Beatrice Kristi s'y trouve, le long de ce collier de quatorze petites perles cristallines et sucrées toujours beabadoobien, souvent beabadootrèsbien, et pour une bonne moitié beabadoobrillant. Beabadoobref, est-ce que ça veut dire que Bea a grandi jusqu'à arrêter de se mettre des caisses dans le froid à Berlin la veille d'une interview à Paris qui n'aura donc jamais eu lieu ? Sans doute pas, mais l'âge adulte ne consiste pas spécialement à changer, simplement à se rendre compte de qui on est, et devenir capable de l'exprimer aux autres pour qu'ils ne soient pas trop surpris.
Une leçon tirée dès l'introductive Take A Bite, et autant croquer la vie à pleines dents, quitte à faire quelques conneries qu'on referait bien de toute façon. Le fantastique finish de One Time poursuit la vibe, « continue à faire genre, pour y arriver, et pourquoi gérer les problèmes ? », avant de conclure l'affirmation sur Real Man, dans un challenge probablement dédié à son nouveau compagnon Jake Erland : « si tu le veux, viens le chercher, et j'espère que tu tiendras la distance ». Une relation en cours depuis près de deux ans qui s'insinue partout dans l'album, si elle n'en pose pas carrément les bases, une relation qui a demandé aux deux éléments constitutifs de grandir avec elle, de sortir les poubelles, de rentrer moins tard le soir, et d'apprendre à communiquer correctement. En écrivant Coming Home, par exemple, magnifique valse conclue par un déluge de cymbales et de cuivres, dont on espère que ce n'est pas la batterie de cuisine qui vole dans l'appartement. La comédie romantique continue sur l'hyperpop Everseen, se transforme en chanson de plage sur A Cruel Affair, avant que l'air chaud du désert ne dévoile des notes d'iode et de vent marin.
Bienvenue à Shangri-La, Malibu, Californie. Pas de lamas et encore moins de moines tibétains, juste Rick Rubin, son studio construit à la base pour Bob Dylan et The Band, et une plage de sable blanc s'étalant sur plus de kilomètres que n'en court un marathonien. Le théâtre-ranch de l'enregistrement de l'album, et l'inspiration de la meilleure chanson de celui-ci, Beaches, fusion parfaite entre la pop brillante de Bea et le rock océanique californ-australien, revenant à la hauteur de The Beths et Ratboys jusqu'à les avoir légèrement dans le rétro, surfant l'air de rien dans le tube rock de l'été avant de s'effondrer, exténuée et heureuse, sur le sable chaud de l'absence de nuages. Un merveilleux album qui ne se réveillera pas de cette sieste crapuleuse dans la douce chaleur de l'été, Everything I Want, The Man Who Left Too Soon, et This Is How It Went enveloppent l'air de barbe à papa, de carillons, et du rire d'enfants jouant au ballon dans un parc, car la douceur, l'innocence, et la gentillesse sont encore les qualités qui nous font le plus de bien dans la musique de beabadoobee.
Comme un remède contre les maux à l'âme qui ne cessent de nous piquer, comme un bouclier repoussant l'aigreur et le cynisme d'un âge adulte qui voudrait nous transformer en méchant de Disney, chaque album de beabadoobee est une madeleine de Proust rappelant le bonheur dont on cherchait à oublier qu'il existait, peureux que l'on était de souffrir à nouveau de son absence. Une fragilité humaine contenue dans une enveloppe de sucres et de colorants naturels, This Is How Tomorrow Moves, chaque jour un peu plus dans la bonne direction lorsque Beatrice Kristi s'apprête à sortir un album.