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beabadoobee

Beatopia

beabadoobee - Beatopia
Chronique Album
Date de sortie : 15.07.2022
Label : Dirty Hit
45
Rédigé par Adonis Didier, le 12 juillet 2022
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beabadoobee. Si vous savez utiliser Instagram et TikTok, nul doute que vous connaissez déjà ce nom. Dans le cas contraire, message de prévention, vous pourriez rester partiellement imperméable aux travaux de Beatrice Kristi Laus, abrégée Bea, ou beabadoobee.

Née en l'an 2000 à Illoilo City, aux Philippines, de parents philippins, puis élevée à Londres à partir de ses trois ans, Beatrice est, en effet, le reflet d'une époque. Une époque de réseaux sociaux, et d'accès illimité à la musique. Initialement bercée par de la musique Pinoy et de la pop-rock 80's, elle se nourrit en grandissant de grunge, de britpop, de folk, puis d'indie rock années 2000 et 2010, citant régulièrement Green Day, les Yeah Yeah Yeahs, ainsi que leur chanteuse Karen O, Florist, Alex G, et autres. Elle découvre un peu plus tard, comme beaucoup grâce au magnifique film Juno de Jason Reitman, le folk déglingué de Kimya Dawson, et son groupe principal, les Moldy Peaches. Oui, c'est indéniable, Beatrice développe une forte admiration pour cette génération nineties faite de bric et de broc, fondamentalement détraquée, menée entre autres par Kurt Cobain, Elliott Smith, Beck, Mark Everett, et caetera. Deux suicidés dans le lot, ça ne s'invente pas.

Sauf que Beatrice est plutôt issue d'une bonne famille, et sa seule tare semble être une tendance à admirer les musiciens dysfonctionnels. Poussée par sa mère, elle jouera du violon pendant sept ans, essayera d'être la meilleure dans tous les domaines, participera à tous les clubs de l'école, art, sport, tricot de vitesse en apesanteur compris. Jeune fille modèle sur le papier, Beatrice aurait sans doute pu mal tourner. Expulsée de l'école catholique, les choses semblent effectivement se compliquer pour l'adolescente, mais elle finira heureusement son cursus à la Hammersmith Academy, une école d'art et de médias numériques de l'ouest londonien. Elle découvre dans le même temps la guitare, apprend à en jouer à travers des tutos Youtube (on ne va pas se mentir, avoir sept années de violon derrière, ça aide), et trouve alors un mélange de bien-être et d'inspiration dans sa vie.
Où je veux en venir avec tout ça ? Au simple fait que la musique de beabadoobee, contrairement à ce que la pochette et la hype essayent de vous faire croire, n'a rien d'underground, de bricolée dans une chambre, de non-professionnelle, ou même de mal dans sa peau. Et ce second album, Beatopia, termine d'enterrer la mascarade pour le meilleur. En effet, Beatrice chante beaucoup trop bien pour chanter mal, joue de la guitare plus que correctement, et dispose d'une production sonore pop au mieux de ce qu'on sait faire en 2022. Réécoutez Mellow Gold de Beck ou The Moldy Peaches de... The Moldy Peaches, et voyez la différence, le fossé, le gouffre, que dis-je, la fosse des Mariannes.

A la poubelle, donc, le minimalisme bedroom pop de Coffee. Oubliées les velléités de faux rock alternatif/grunge de Fake It Flowers (nom ironique pour un album qui ne fait que transformer des influences rock alternatif en posts Instagram destinés à Coachella). beabadoobee version 2022, c'est plus naturel, plus fun, plus tendre, et beaucoup plus assumé. Premier exemple, Beatrice relâche la pression sur les deux singles ultra pop que sont 10:36 et Talk, auxquels on pourra adjoindre Don't Get The Deal et Tinkerbell Is Overrated, pour un résultat final entre Avril Lavigne et Hatsune Miku, énorme shoot de fun et de bonnes vibrations à consommer à toute heure de la journée. Le genre de chanson pour réveiller la super-héroïne coréenne de film indé qui sommeille en vous.
Comme on y est déjà jusqu'au cou, restons dans la vibe pop colorée, Flaming Lips, et Yoshimi contre les robots roses, avec une Fairy Song superposant les couches de chant et de distorsion électronique avec une surprenante mesure. Perfect Pair et Broken CD font, de leur côté, office de parfaites chansons de plage, parce qu'il faut bien des épisodes « filler » de vacances, où les héroïnes du manga jouent au beach-volley avec de gros ballons et de très petits bikinis.

Oh, attendez. Qu'entends-je ? Qu'est-ce donc que cette diablerie ? Des arrangements de corde ? Beatrice aurait-elle un quatuor à cordes planqué dans son appartement étudiant de 9m² ? Eh bien non. Beatrice a juste une maison de disques, et a enfin accepté qui elle était. Plutôt que de vouloir être quelqu'un qu'elle n'est pas, Bea a tiré avantage de tout son vécu, ses années de violon, ses joies, ses peines, et couché sur bande des chansons à l'honnêteté et à la maturité désarmante.
Je parle évidemment de Ripples et Lovesong, les deux véritables merveilles de cet album. De badines chansonnettes folks en guitare-voix, les arrangements de cordes et bois qui les entourent et les portent les transforment en deux cascades de cristal liquide à l'éclat lunaire, touchantes, tendres, mélancoliques, et belles, simplement belles. On entend Rachel Sermanni, on entend Elliott Smith et, surtout, on entend une version enfin accomplie d'une jeune femme qui semble être finalement bien plus qu'une Hannah Montana des années 2020.

Dernier hommage, tout en simplicité, à la pop anglaise, You're Here That's The Thing conclut Beatopia à la manière du Definitely Maybe d'Oasis ou du Either/Or d'Elliott Smith, en nous laissant paisiblement revenir à la vie qui était la nôtre avant d'appuyer sur play, comme on raconte une histoire à un jeune enfant, avant de le laisser s'endormir dans la peau d'un preux chevalier combattant des dragons, impatient de réentendre la même histoire le soir suivant, et celui d'après aussi.
tracklisting
    01. Beatopia Cultsong
  • 02. 10:36
  • 03. Sunny Day
  • 04. See You Soon
  • 05. Ripples
  • 06. The Perfect Pair
  • 07. Broken CD
  • 08. Talk
  • 09. Lovesong
  • 10. Pictures of Us
  • 11. Fairy Song
  • 12. Don't Get the Deal
  • 13. Tinkerbell Is Overrated (feat. PinkPantheress)
  • 14. You're Here That's the Thing
titres conseillés
    Lovesong, 10:36, You're Here That's The Thing
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