Spectres vivent dans une autre dimension, ils n'y sont visibles que par intermittence et le temps y suit sa propre trajectoire. Dans leur monde, les distorsions se sont arrêtées dans les années 90 de Sonic Youth et My Bloody Valentine, il n'y a pas de retour du shoegaze car il n'a jamais disparu, pas de post-punk car l'étiquette n'a pas encore été inventée. On parle de rock écorché, de mur du son et de voix d'outre-tombe. Comment peut-il en être autrement pour des spectres ?
En se connectant subitement avec notre époque, on peut prendre peur. Le risque d'apocalypse atomique des années 80 reposait sur un coup de folie des Hommes, celui de l'apocalypse climatique est garanti, sauf prise de conscience et d'action. Et comme notre époque moderne fait tout mieux, les conflits régionaux et les actions terroristes ont l'efficacité d'opérations militaires de grande ampleur. Pour mettre un peu de légèreté dans la découverte d'une époque on peut toujours se tourner vers la mode, pas le genre des spectres, ou les nouveaux tics, pas tocs, de langages.
Le terme "AM-DRAM" leur a tapé dans l'œil. Il ne s'agit pas de mémoire ultra vive pour ordinateur surpuissant, ça n'intéresse pas les spectres, c'est le théâtre amateur. De quoi plaire à notre quartet à double guitare qui aime planter des décors et prendre des airs graves pour partir dans les délires les plus fous. Les guitares cognent, la voix déclame, la batterie mécanique pousse les musiciens dans leurs retranchements, pas question de reprendre son souffle avant la fin du morceau.
Quitte à faire une apparition tous les cinq ans, Spectres n'ont rien voulu laisser au hasard. A la production, ils retrouvent Alex Greaves qui n'a pas chômé. Il a notamment produit ou participé à l'enregistrement de quelques-uns de nos albums préférés de 2024 (Yard Act, Gurriers ou Van Houten). Alors certes leur style n'est pas nouveau, mais l'exécution est particulièrement soignée. C'est déglingué comme The Fall ou Section 25, mais avec un son encore plus énorme que celui de Sonic Youth ou que Black Rebel Motorcycle Club. Les années 2020 ont quand même de bons côtés.
Ce sentiment de déchirement vient peut-être de l'éloignement géographique entre des membres qui vivent entre Bristol et Berlin, deux villes seulement rapprochées par une activité artistique foisonnante. Ou alors, par l'urgence : bien qu'ils n'aient pas joué ensemble pendant cinq ans, les musiciens se sont enfermés dans une ferme pendant seulement dix jours pour écrire et enregistrer AM DRAM. Ils ont bien réussi à capter la musique, mais il aura fallu deux ans pour enregistrer les parties vocales, profitant des passages de leur chanteur à Bristol.
Il y a tellement de folie dans ce grand disque de vingt-huit minutes qu'il en prend une dimension psychédélique, faisant de Spectres le groupe anglais le plus intéressant dans une veine où les américains de Protomartyr ou The Warlocks excellent.
tracklisting
01. The Mandela Effect
02. Rubbernecking
03. An Eye And A Tooth
04. Wishing Well / Horror Box
05. Nice Knowing You
06. Shaky Brain
07. The Death Of A Family
08. Untitled
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The Mandela Effect - Shaky Brain - The Death Of A Family