Chronique Album
Date de sortie : 07.02.2025
Label : Speedy Wunderground
Rédigé par
Franck Narquin, le 5 février 2025
Avec A Conforting Notion, son premier EP sorti en mars 2023 sur Speedy Wunderground, Jojo Orme a immédiatement imposé son univers : un post-punk tendu, porté par des guitares abrasives et une voix aussi théâtrale qu'habitée. Signée sur le label de Dan Carey, producteur aux manettes de certains des disques les plus excitants du rock anglais récent (Wet Leg, black midi, Fontaines D.C.), Heartworms incarnait alors cette nouvelle vague britannique où l'urgence punk se mêle à une sophistication électronique et mélodique. L'attente autour de Glutton For Punishment, son premier album, était donc immense. Avec deux premiers excellent singles (Jacked et Warplane, on imaginait déjà un chef-d'œuvre brut et incandescent. Ce n'est pas tout à fait le cas. Heartworms livre un album très solide, ambitieux, mais parfois trop maîtrisé, là où un brin de chaos aurait pu le transcender.
Dès In The Beginning, très courte introduction bruitiste de bruit blanc, on sent l'influence de David Lynch, omniprésente dans l'univers visuel et sonore de Heartworms. Un choix qui fait écho au clip oppressant de Jacked, tourné en noir et blanc et baigné d'une esthétique gothique et inquiétante. Puis vient Just To Ask A Dance, morceau mid-tempo où Heartworms explore un territoire plus mélodique. Entre arrangements électroniques et cordes élégantes, ce titre évoque Bat For Lashes ou PJ Harvey dans ses moments les plus accessibles. Une ouverture douce et intrigante, qui tranche avec la tension post-punk de son premier EP. Heureusement, Jacked arrive pour remettre les pendules à l'heure. Avec sa guitare anguleuse, sa basse grondante et son beat acéré, c'est le seul morceau qui aurait pu figurer sur A Conforting Notion. Plus proche de l'urgence brute du post-punk que du reste de l'album, ce titre joue le rôle de passerelle entre l'ancienne et la nouvelle Heartworms.
Avec Mad Catch, on bascule dans une no wave modernisée, où se mêlent électro et post-punk dans une veine DFA Records. LCD Soundsystem et The Rapture viennent en tête, avec une production ultra-précise qui transforme ce titre en l'une des plus belles réussites du disque. Extraordinary Wings, s'appuie sur un beat trip-hop et un chant habité, flirtant encore une fois avec l'univers de PJ Harvey. Pourtant, malgré son statut de troisième single, il laisse une impression mitigée. L'ambiance est lourde, le rythme lent, mais il manque ce frisson qu'on attendait d'un tel morceau. Heureusement, Warplane redonne un coup de fouet à l'ensemble. Pièce maîtresse de cinq minutes et trente secondes, elle déploie des cordes luxuriantes, des arrangements électroniques subtils et une montée en puissance implacable. Les couplets, d'une rage contenue, explosent dans un refrain grandiose, porté par des chœurs démesurés. C'est un véritable grand huit émotionnel, et sans doute l'un des morceaux les plus marquants de l'album.
Sur la dernière partie, Heartworms s'aventure sur des terrains plus contemplatifs. Celebrate, morceau sombre et électronique, joue sur des contrastes entre douceur et déchaînements soniques, rappelant par moments le dernier Nick Cave & The Bad Seeds. Dans la même veine, Smugglers adopte une approche new wave en crescendo, prolongeant l'ambiance nocturne et hypnotique de son prédécesseur. Enfin, le titre éponyme Glutton For Punishment clôt l'album sur une note plus intime. Une ballade élégante à la guitare, sobre mais efficace, qui montre une autre facette de Jojo Orme et conclut l'album sur une respiration bienvenue.
Avec Glutton For Punishment, Heartworms ouvre de nouvelles voies et prouve qu'elle n'est pas qu'une énième artiste post-punk. Plus ambitieux, plus riche et plus travaillé que A Conforting Notion, ce premier album confirme tout le talent de Jojo Orme mais il lui manque parfois une part d'imperfection, ce grain de folie qui aurait fait la différence. Là où son EP brillait par son immédiateté et son côté brut, ce premier album joue la carte de la sophistication, au risque de trop bien faire.
Si des titres comme Warplane ou Mad Catch touchent au sublime, d'autres s'enlisent légèrement dans leurs références, l'ombre de PJ Harvey étant parfois trop marquée. Un constat d'autant plus frustrant que l'album flirte souvent avec le grandiose sans totalement l'atteindre. Reste un disque très solide, qui place Heartworms dans le haut du panier du rock anglais actuel. Glutton For Punishment ne s'avère peut être pas être le chef-d'œuvre que nous espérions, mais assurément une pierre angulaire dans l'ascension de Jojo Orme qui déploie par moment de si extraordinaires ailes qu'on s'attend à la voir atteindre les plus hauts sommets.