Ce samedi soir à Paris prenait des allures iodées de Route du Rock. Nous nous retrouvions en effet face à un choix qui représentait quelques jours avant l'affiche de la première soirée du festival collection hiver, soit les impétueux DITZ à la Maroquinerie et l'envoûtante Heartworms à Petit Bain. Afin d'éviter les coups et blessures et de passer notre dimanche en position fœtale sur le canapé, notre choix s'est donc tourné vers les quais de Seine qui accueillent Jojo Orme, venue nous présenter
Glutton For Punishment, son premier album paru il y a tout juste un mois.
Jojo Orme est une artiste en plein devenir. Depuis ses débuts parisiens timides sur la scène de la Boule Noire en décembre 2022, la jeune anglaise n'a eu de cesse d'expérimenter les genres afin d'embrasser ce qui la définit pleinement. Cette prestation lors de la soirée dédiée au label ultra hype Speedy Wunderground avait vu Heartworms en tenue de Che Gevara, un peu plus retranchée derrière ses musiciens et pas tout à fait à l'aise face à un public garni d'invités bien plus affairés à réseauter plutôt à qu'à s'intéresser à l'avant-garde du rock indé.
C'est au détour d'un séjour à Manchester, lors de l'inauguration des studios Aviva (« Home of Factory » si vous l'ignoriez) pour un premier festival gratuit dans les jardins de l'immense structure, que votre chroniqueuse retrouvait Heartworms alors en train de rôder son premier EP
A Comforting Notion, plus affirmée sur scène et rentrant petit à petit dans la peau de ce personnage hypnotisant qu'elle se construisait alors.

À la suite d'une première date en tête d'affiche à Paris ce même été, nous étions alors impatients de découvrir le travail de Jojo Orme sur album.
Glutton For Punishment ancre ainsi l'artiste dans un style imprégné de new-wave et de goth rock d'une beauté glaçante. C'est pour cette raison que nous nous rendons à cette soirée sold-out qui verra se réunir un panel très hétéroclite de spectateurs, de tout âge, certains plus ou moins grimés selon les codes gothiques, qui iront de pair avec l'aspect ténébreux de l'imagerie Heartworms. Une imagerie que la musicienne soigne énormément, du logo de son album représenté sur un grand rideau noir en fond de scène jusqu'aux setlists, elles-mêmes écrites en argentée sur feuille A4 noire, rendant alors ce simple artéfact objet de toutes les convoitises du premier rang.
L'entrée sur scène se fait dès 20h30, dans l'obscurité, sur le planant
In The Beginning. Engoncée dans un long manteau noir, cheveux en pétard et noir corbeau mais sans le rouge à lèvre anarchique, c'est seulement accompagnée d'un guitariste au look très nouveau romantique et d'un batteur que Joséphine va nous interpréter l'intégralité de son premier album et quelques autres titres extraits de son premier EP.
L'assurance n'est aujourd'hui plus un problème, Jojo Orme faisant montre d'un incroyable charisme. L'intégralité du set la verra incarner profondément ce personnage mystique, cette dernière accompagnant son chant de grands gestes langoureux, comme un ballet venant illustrer les titres doux amères que sont
Extraordinary Wings,
Just To Ask Dance et le puissant
Warplane. Usant selon les chansons de sa guitare, c'est une musicienne presque possédée qui interprète les morceaux très intenses comme ce
Beat Poem qui la voit seule sur scène, dans le noir, à déclamer telle une Patti Smith gothique ses tirades aussi noires que son long manteau porté avec un long bandeau noir en guise de brassard pour une imagerie militaire un brin dictatoriale.

Et pourtant, c'est lors de la fin du set que Jojo reviendra vers nous dépouillée de cet accessoire, pour les trois derniers morceaux où l'on assistera à une drôle de danse face au public, et où son chant résonnera le plus intensément. Une petite heure seulement qui en a bien valu deux grâce à l'incroyable présence de cette artiste qui semble avoir définitivement trouvé son style. Un concert interprété comme une tragédie grecque, qui séduira comme agacera les spectateurs interrogés à la sortie de la péniche (anonymes comme prestigieux, tel notre ami Michka Assayas tout sourire qui, comme nous, est convaincu).
Heartworms fait donc dans le sans concession, une formation dont l'unique actrice Joséphine Orme a l'entier contrôle et qui continuera probablement d'évoluer selon ses états d'âmes et ses inspirations, nous promettant tout sauf un groupe prévisible.