Samedi 15 juillet, Paris semble encore endormie et quasi déserte après le grand barouf des festivités du weekend au cours duquel les tirs de mortiers ont retrouvé leur vocation originelle, à savoir épater des badauds amassés autour du Champ-de-Mars (« Oh, la belle bleue ! »). La plupart des formations musicales pour jeunes des sept à cinquante-sept ans ayant pris la route des festivals d'été (les plus anciens accusant déjà le coup de ce rythme effréné, comme Pedro Winter, contraint d'annuler son set à Dour pour cause de dos bloqué. Dur dur d'être né en 1975 !), les (bons) concerts parisiens commencent à se faire rare. La programmation de Heartworms, venu défendre au Point Éphémère
A Comforting Notion, son brillant EP paru courant mars chez Speedy Wunderground, le label de qui vous savez, fait donc office d'oasis au milieu du désert. Si la prestation de la jeune anglaise en décembre dernier au festival des Inrocks n'avait pas fait l'unanimité au sein de l'équipe, on se dit qu'en sept mois, Jojo Orme et ses musiciens ont peut-être eu le temps de hausser leurs performances live au niveau de leur travail en studio.
Je sais que vous être nombreux à avoir autre chose à faire que lire cet article dans son intégralité, comme par exemple boire un spritz en terrasse, surfer sur la côte des basques ou draguer de joli(e)s touristes américain(e)s sur Saint-Sauveur, ainsi n'hésitons pas à nous auto-divulgâcher : le groupe déchire tout sur scène, les morceaux inédits sont de véritables tueries, Jojo est un fucking rock-star au charisme imparable et Heartworms s'annonce d'ors et déjà comme the « next big thing » de l'indie-rock anglais. C'est bon, maintenant que tu sais, tu peux aller à la plage.
T'es encore là toi ? Merci c'est sympa, parce que tu sais au fond on fait tout ça rien que pour toi et aussi un peu pour que Michka Assayas, l'ex-beau Fère de Maggie Cheung, puisse y piocher les meilleures nouveautés britanniques pour son excellente émission Very Good Trip sur France Inter. Reprenons donc le récit de notre soirée au cours de laquelle la première partie était assurée par le hipster
Arthur J. Reptilian, au look tellement typique de l'est parisien qu'il pourrait indifféremment être sommelier au Chateaubriand, artiste contemporain hébergé chez Poush et représenté par la galeriste Audrey Paillard Turenne ou bien encore acteur dans un film d'Antonin Peretjatko. On se moque gentiment (personnellement je prends ces trois jobs à tout moment) car malgré une balance et un son assez médiocre (c'est aussi ça le Point Éphémère, une programmation au top mais un son pas toujours tip-top), son set épate avec quelques titres bien sentis comme l'hilarant
Roman Polanski ou le micro-tube
I'm Good. Si on devait décrire sa musique en deux mots et à l'emporte-pièce, on dirait que ça ressemble à du Ariel Pink de gauche.
Il est presque 21h45 et nous allons enfin assister au clou du spectacle. On a vu la setlist avec ses sept titres (et encore il faudra une reprise pour faire le nombre), on le sait donc d'avance, le spectacle s'annonce particulièrement court. On ignore encore à ce moment qu'il sera aussi court qu'intense (soit l'exact contraire d'un film de Paul Thomas Anderson). Installe-toi bien, on va essayer de trouver les mots à la hauteur de notre émotion car je l'avoue je t'ai un peu menti avant pour que tu restes avec moi, on fait tout ça pour vivre ce genre d'épiphanie, assister à la naissance d'un(e) artiste qui comptera (pour nous seul, pour trois geeks ou pour toute la planète, là n'est pas le sujet). On aurait pu remettre deux Grammys à Wet Leg à l'instant où on les a rencontrées dans le vestiaire du Supersonic pour leur première sortie du Royaume-Uni, tellement leur succès foudroyant était une évidence. Comme dirait l'ami Liam « you don't become a fookin' rock star, you're born thar way or ya' shiites, and I'm fucking borne that way. Y'a know mate, the last fookin' rock star of footing' rockn'roll » (d'ailleurs on reparle très vite de tout ça très à l'occasion de la sortie de son album live
Knebworth 22).
Intérieur nuit, fondu au noir, la salle du quai de Valmy se remplit peu à peu sans atteindre pleinement la jauge malgré un prix du billet des plus attractifs (8 euros, à peine le tarif d'une Heineken tiède à l'Accor Arena), la scène, elle, demeure encore vide, lumières blanches aveuglantes, effets stroboscopiques suivi d'un bruit sourd qui monte qui monte,
Heartworms
En une introduction instrumentale exaltante, six morceaux dont deux inédits addictifs dès la première écoute (
May I Comply et
Jacked) et une reprise aux petits oignons de The Sisters Of Mercy, la bande à Jojo, à savoir Marko Andic à la guitare, Elisabeth Walsh à la basse et Gian Luca De Gisi à la batterie et last but not least, Josephine Orme au chant, guitare et thérémine (dont elle joue mieux que Sacha Got de La Femme mais moins bien que Jimmy Virani, l'intouchable maestro de Clermont-Ferrand que le monde entier s'arrache de Kyoto à Hawaï), a mis tout le monde à genou. Porté par un son bien meilleur que pour la première partie (car c'est aussi ça le Point Ephémère, une programmation au top, un son parfois tip-top, des sandwichs de batard concoctés par Medhi que quelques lucky boys s'engouffrent avec un plaisir non feint et un choix de bières pression bien au-dessus de la moyenne), Heartworms a livré un set non pas d'anthologie, les conditions nécessaires n'étant pas réunies, mais qui l'a placée très (très) haut dans la liste des plus beaux espoirs de 2023.

Je peux bien entendu me tromper comme l'ont fait avant moi de nombreux journalistes de référence. Ainsi en 1992, Philippe Manœuvre assurait dans Rock & Folk que de Nirvana ou Pearl Jam, ce seraient les seconds qui entreraient dans la postérité. A sa sortie,
Homework de Daft Punk a été jugé par Christophe Conte des Inrockuptibles comme « un peu vert » avant que le magazine ne l'oublie carrément dans son top 50 des albums de l'année, lui préférant des œuvres aussi radicales et majeures que celles de Françoiz Breut, Alpha ou Kid Loco (et encore à l'époque, ils avaient des rédac chefs musiques pas encore totalement largués !).
Sur scène
Comforting Notion et
24 Hours paraissent nettement plus tranchants que sur EP tandis que le « hit »
Consistent Dedication nous fait chavirer aussi facilement qu'un bicoque mal engagé sur une mer déchainée au large d'Hoedic avant que le « tube »
Retributions Of An Awful Life (tellement fort et évident que Josephine en parle déjà, un peu lasse ; comme d'un morceau « trop facile ») nous donne l'impression d'être dans un club de l'est londonien le 17 novembre 1980.
Si le style d'Heartworms trouve ses racines à l'orée des années 80 et si ses influences revendiquées sont Paul Banks d'Interpol pour sa classe dark et dandy et PJ Harvey pour sa grâce féministe et guerrière, il y a un visage, un nom ou parfois même un riff qui nous revient sans cesse telle une évidence. Cette petite taille, cet air mutin, ce regard noir et affirmé, cette rage, cette certitude, alors que Blur sort ces jours un nouvel album nous fait irrémédiablement penser à Justine Frischmann, leader charismatique d'Elastica, qui a son petit (grand ?) rôle dans la guerre entre Blur et Oasis. Mais de tout ça on en reparle bientôt avec nostalgie et bienveillance entre anciens la Britpop, autour d'un thé et d'un poster de Tony Blair (« That fucker' wasn't so bad after all » nous glissera même Liam) pendant qu'Heartworms s'empare sans vergogne de tous les sons d'hier pour en faire la musique d'aujourd'hui. Car je ne sais pas si on vous l'avait dit mais Hearthworms est un fookin' rockstar (« Right Mate » nous susurrera même Liam).
Fin d'article, bisous, tout le monde à la plage !