Chronique Album
Date de sortie : 07.02.2025
Label : RCA
Rédigé par
Franck Narquin, le 6 février 2025
Depuis ses débuts au sein du collectif Nine8, Biig Piig s'est toujours placée dans une zone hybride, flirtant entre hip-hop alternatif, R&B feutré et pop indie. Une identité mouvante qui a fait sa force, mais aussi sa faiblesse. Si son EP The Sky Is Bleeding (2021) marquait une mue réussie vers une pop plus sensuelle et magnétique (Lavender, Kerosene), et que sa mixtape Bubblegum (2023) tentait une synthèse entre efficacité mainstream et esprit DIY, ce premier album 11.11 était attendu comme l'œuvre qui devait enfin révéler la vraie Biig Piig.
Le résultat ? Un disque disparate, plus encore que ses précédents projets. Dès les premières écoutes, 11.11 surprend par son manque de cohésion : une production ultra-léchée, un format ultra-court (dix titres sous la barre des trois minutes), et surtout un mélange de pop, d'électro et de R&B taillé pour le streaming, mais qui manque d'une ligne directrice claire. L'album donne parfois l'impression d'un cahier des charges plutôt que d'une vision artistique aboutie.
Difficile de nier le talent mélodique de Biig Piig. Elle sait poser sa voix aérienne sur des prods impeccables, insufflant un groove discret mais addictif à ses morceaux. Pourtant, ce qui frappait sur The Sky Is Bleeding – une esthétique sonore cohérente, un univers feutré et sensuel – semble ici sacrifié au profit de l'efficacité immédiate. Chaque titre de 11.11 semble conçu pour accrocher rapidement, mais peu restent en mémoire une fois l'écoute terminée.
Le disque s'ouvre sur 4AM, une entrée en matière soignée, avec une basse profonde et une tension qui rappelle les premiers albums de FKA twigs. Mais dès Ponytail, le virage pop est évident : un beat entraînant, des accords aériens, un refrain catchy et efficace... mais sans surprise. Cynical sort un peu du lot, avec son groove hip-hop et ses sonorités légèrement UK garage, une piste qui lui va bien et rappelle ses premières expérimentations avec Nine8. Mais c'est justement là que 11.11 perd en impact : Biig Piig donne parfois l'impression de naviguer entre ses influences sans jamais s'imposer. Favourite Girl et 9-5 s'inscrivent dans une veine pop-R&B ultra-propre qui aurait pu être interprétée par n'importe quelle artiste émergente sous contrat avec une major. On sent bien l'ambition d'atteindre un plus large public, surtout depuis sa signature chez RCA/Sony Music, où elle côtoie des mastodontes comme A$AP Rocky, Britney Spears ou Beyoncé. Mais à trop vouloir ratisser large, elle finit par se diluer.
Heureusement, quelques titres rappellent qu'elle est capable de bien plus. Decimal joue sur une électro minimaliste aux accents presque trip-hop, où sa voix chuchotée se pose avec une grâce rare. I Keep Losing Sleep flirte avec une pop onirique, rappelant certaines productions de Jamie xx ou de Kaytranada, tandis queOne Way Ticket et Stay Home offrent un visage plus intime, qui aurait mérité d'être développé davantage. Le final Brighter Day surprend par sa douceur presque nostalgique, mais s'avère un peu trop fade pour conclure l'album sur une note marquante. Et c'est peut-être là le principal problème de 11.11 : aucun morceau ne semble porter une réelle signature artistique, aucun ne semble aussi marquant que Switch ou Lavender en leur temps. L'album oscille ainsi entre le jukebox moderne et le fourre-tout sans âme, selon qu'on y cherche un plaisir immédiat ou une proposition artistique forte. Il se consomme rapidement, mais laisse peu d'empreinte.
Alors, qui est Biig Piig ? Une étoile montante de la pop alternative, capable d'injecter sa sensibilité unique dans des morceaux marquants ? Ou une artiste qui se cherche encore, diluée dans un son trop formaté pour se distinguer ? 11.11 ne répond toujours pas à la question. Loin d'être un mauvais disque, il montre qu'elle a les armes pour conquérir un public plus large. Mais en gommant trop ses aspérités, elle risque de perdre ce qui faisait son charme. Pour son prochain projet, il lui faudra choisir son camp : embrasser pleinement la popstar en devenir ou revenir à une vision plus personnelle et audacieuse.