Moreish Idols

Difficile de situer précisément Moreish Idols sur la carte du rock britannique actuel. Ce quintet londonien, issu des terres maritimes de Falmouth, refuse les étiquettes et brasse les influences avec une insouciance qui force le respect. Dans le sillage des têtes chercheuses de la scène Windmill – black midi, Squid, Black Country, New Road – ils mêlent post-punk anguleux, jazz libertaire, psychédélisme subtil et pop élégante. Mais là où certains de leurs contemporains s'aventurent dans la déconstruction pure, Moreish Idols conservent une oreille affûtée pour la mélodie et l'accroche immédiate. All In The Game, leur premier album produit par Dan Carey (Speedy Wunderground), en est la preuve éclatante : un disque aussi foisonnant qu'addictif, qui se dévoile pleinement au fil des écoutes.

Dès l'introduction avec Ambergrin, Moreish Idols posent une atmosphère douce et mélancolique. Ce titre est une pépite pop aérienne, portée par des cuivres discrets et une mélodie délicate, presque sucrée. Loin des tics abrasifs du post-punk contemporain, il ouvre l'album avec une élégance surprenante. Changement de ton avec Railway, où les guitares aiguisées et les rythmiques tendues prennent le relais, évoquant Wire ou Parquet Courts. Mais Moreish Idols ont l'intelligence de ne pas s'enfermer dans le cliché nerveux du genre, et le morceau s'épanouit dans un refrain plus pop et lumineux, en parfait contrepoint aux couplets sous tension.

Arrive alors All In The Game, titre éponyme et colonne vertébrale du disque. Véritable manifeste sonore du groupe, il synthétise toutes leurs facettes : mélodies pop accrocheuses, noirceur post-punk, expérimentations jazz et envolées psychédéliques, le tout sans jamais sombrer dans l'excès ou la démonstration. Ici, tout est parfaitement intégré, digéré et réinterprété avec brio. Sundog introduit un virage plus folk psychédélique, rappelant Beirut ou le MGMT de Congratulations, avec son crescendo dramatique et ses arrangements soignés. Une respiration bien placée avant l'un des sommets du disque, Pale Blue Dot. Ce titre est une merveille d'élégance nonchalante, qui convoque l'esprit slacker de Pavement sans pour autant sonner pastiche. Il y a là une grâce indolente qui séduit instantanément et qui reste en tête longtemps après l'écoute.

Si Pale Blue Dot joue sur la retenue, ACID explose les cadres avec un culot monstrueux. Jazz psyché, voix qui monte dans les aigus, basse doom vrombissante : un chaos organisé qui rappelle les divagations les plus dingues de O. ou black midi. C'est un titre taillé pour les amateurs de morceaux « zinzins qui osent », et réussissent. L'un des moments les plus hallucinés du disque. Après ces deux sommets, Slouch déçoit, et ce en dépit de son statut de premier single de l'album. Ce n'est pas un mauvais morceau, loin de là, mais il manque peut-être de ce petit grain de folie qui fait la différence sur d'autres pistes.

La fin du disque nous plonge dans une ambiance plus atmosphérique avec Out Of Sight, où le saxophone en réverbération et les nappes sonores font des clins d'œil aux mancuniens de Maruja. Si le cahier des charges est rempli avec brio, le morceau manque peut-être d'un élément plus distinctif pour réellement marquer. Vient ensuite Tiny Files, qui fait cohabiter une pop vocale 60's et un free jazz décomplexé. Une association surprenante mais qui fonctionne grâce à une production ultra-soignée. Puis Dream Pixel nous transporte dans un trip psychédélique évoquant les Beatles dernière époque, avec ses guitares en tremolo et son ambiance flottante. Enfin, le disque se referme sur Time's Waiting, un final impressionnant et envoûtant. Cette conclusion magistrale donne immédiatement envie de réécouter l'album pour en capter toutes les nuances.

Il y a chez Moreish Idols une énergie foisonnante et une ambition rare. Si All In The Game peut parfois donner l'impression de s'éparpiller, c'est aussi ce qui fait son charme. Chaque morceau dévoile une nouvelle facette du groupe, chaque écoute révèle de nouvelles subtilités. C'est un album aussi immédiat que complexe, aussi accessible qu'exigeant. Avec cette première œuvre riche et audacieuse, Moreish Idols s'imposent comme l'un des groupes les plus prometteurs du paysage rock UK. Si leur prochain disque parvient à resserrer encore un peu plus leur propos sans sacrifier leur inventivité, ils pourraient bien devenir une référence incontournable. En attendant, All In The Game s'avère être un disque fascinant, qui s'apprivoise patiemment mais qu'on aimera longtemps.