C'est parti pour un troisième jour empli de délices musicaux au Reeperbahn Festival. Après quelques mésaventures de concerts complets, je décide de bien choisir mes lieux pour être sûr de voir les groupes attendus. Et d'excellents moments, il y en aura en ce vendredi puisque j'ai eu l'impression de voir le concert de l'année plusieurs fois dans la même journée.
L'après-midi débute paisiblement avec les Suisses de
Black Sea Dahu, portés par la voix grave et électrisante de de Janine Cathrein. Munie de sa guitare acoustique, elle parvient à nous envoûter d'un folk abrasif et précis. Accompagnée par violoncelle, synthé, batterie et guitares électriques, les morceaux prennent une dimension particulière avec ces arrangements tout en douceur, pouvant terminer dans des crescendos instrumentaux planants. La beauté s'inscrit devant nos yeux avec des passages folk rock rappelant Cat Power, entrecoupés de pont quasi a-capella où la voix toute en retenue s'anime au paroxysme de l'émotion. La gorge se serre lorsque Cathrien débute une chanson à propos de sa grand-mère atteinte d'Alzheimer, elle s'y livre totalement et parvient à nous transpercer le cœur... premières larmes du festival. Black Sea Dahu manie la simplicité brute et la porte hors du temps, comme si l'on ne se trouvait plus au beau milieu d'une avenue d'Hambourg où passent les alarmes d'ambulances, devant une scène géante, mais au coin du feu avec uniquement cette voix provenant d'une heureuse et vieille âme. Le concert s'achève dans l'euphorie générale du public : j'en ressors chamboulé et déjà prêt à tout arrêter de cette journée qui vient à peine de débuter.
Heureusement, une bonne nouvelle arrive sur Instagram :
Alice Phoebe Lou va donner un showcase de rue improvisé devant un disquaire de Hambourg. N'ayant pas réussi à avoir de place pour son concert du lendemain au sein de la prestigieuse Philharmonie de l'Elbe, je bouscule mon emploi du temps et me dirige vers Slam Records dans le nord de la ville. J'aperçois Alice qui explique qu'elle attend la fin de la marche pour le climat
« Fridays For Future », qui a lieu le même jour, pour débuter. Le public arrive finalement en nombre, s'assoit au beau milieu du trottoir, entourant l'artiste seule avec sa guitare pour un concert mémorable. La folkeuse sud-africaine est une habituée des concerts de rue à Berlin où elle habite mais c'est son premier dans une autre ville. Alice Phoebe Lou propose les nouveaux titres de son album
Glow, munie de sa guitare électrique et de son ampli portatif, qui a d'ailleurs failli tomber au sol. Le titre éponyme débute le set tout en simplicité avec ces trois notes traversées par cette voix aigüe et mystérieuse. D'abord timide, le public est invité à se rapprocher au plus près pour ressentir toute la beauté des compositions. Je ne suis qu'à quelques centimètres et me laisse juste transporter par cette folk brute et vivante, portée par cette voix lumineuse et candide. Le concert restera comme un instant tout simplement magique avec un public contemplatif et une artiste généreuse qui n'hésite pas à faire durer le plaisir. Bravo à Alice Phoebe Lou qui renoue avec l'essence même de la musique de rue, sans fioritures, sur les pavés de Hambourg.
La soirée va commencer et je suis de retour au Club Molotow pour l'un des groupes les plus attendus : les quatre irlandaises de
Pillow Queens. Leur disque
In Waiting figurait parmi mes préférés de 2020 et j'ai très hâte d'entendre les adaptations live. Un batteur les accompagne sur cette tournée car leur batteuse s'est blessée au bras mais est tout de même présente aux chœurs. Leur rock indé composé uniquement de tubes en puissance fait immédiatement mouche et on reconnait leur son particulier dès les premières notes de
HowDoILook. Une classe immense se dégage de ces quatre filles, davantage encore lorsque leur voix se mélangent, déclamant des refrains tellement catchy qu'on ne peut que remuer la tête. Leur son semble lier rock/grunge lourd et débridé rappelant les Pixies ou The Breeders à une délicatesse toute particulière. J'y pense particulièrement sur le refrain de
Gay Girls en quatre notes portées par ces envolées vocales « Marie, Marie » avec un petit Irish accent à la Dolores O'Riordan. Je frissonne au premier riff dévastateur de ce tube magique qu'est
Liffey, entamé par la voix rageuse de Pamela Connolly, rejointe sur les refrains par Sarah Corcoran qui enchaîne des textes différents en parallèle. L'effet est parfait lorsque les quatre voix se mélangent pour porter au sommet ce parfait titre de rock grandement sous-estimé. Les Pillow Queens annoncent finalement jouer le single qu'elles viennent de ressortir après avoir signé chez le label Royal Mountain :
Rats. Cela a le mérite de faire crier les quelques Irlandaises du public croisées dans la file d'attente, qui entonnent un « I'm not a rat if you're not a rat » bien senti. On retiendra ce passage a-cappella où les quatre reines reprennent ce refrain ensemble, avant de relancer les décibels avec une énergie folle. Je ne suis pas déçu du voyage, ayant enfin pu voir les fabuleuses Pillow Queens, un groupe plus que jamais à suivre.
Je termine cette soirée au Molotow avec les anglais de
Another Sky. Leur concert débute dans une certaine introspection avec la chanteuse Catrin Vincent assise simplement devant son clavier pour une mélodie toute en douceur. Sa voix androgyne est très particulière attirant immédiatement l'attention, provoquant l'écoute attentive du moindre délié subjuguant. Elle alterne entre passages graves et envolées aigües, un peu à l'image d'une chanteuse d'opéra classique. Elle s'installe finalement à l'avant de la scène avec sa guitare tandis que le groupe lance des explosions post-rock, tranchant avec la quiétude du début du set. Un coté dramatique assez prononcé ressort de ces compositions d'une certaine complexité, torturées entre le classicisme de la voix claire et les distorsions des instruments. On pense parfois à Lanterns On The Lake avec ce mélange de folk et de post-rock, même si Another Sky sont clairement sur un autre astéroïde bien plus rugueux. L'OVNI du soir venait de Londres avec les inclassables Another Sky.
Quelle journée ! Entre le rock fiévreux de
Pillow Queens, la douceur d'
Alice Phoebe Lou ou la tension élevée de
Black Sea Dahu, je n'avais pas vibré devant un enchainement de concert depuis si longtemps. Le Reeperbahn Festival a tenu toute ses promesses en ce vendredi, il ne reste qu'à repartir dans la nuit avec des mélodies plein la tête, en attendant le quatrième et dernier jour.